textes réunis et annotés par Laurent Cugny et Martin Guerpin, avec la collaboration éditoriale d’Alessandro Garino
Le projet Le Jazz dans la presse francophone est le fruit de près de 10 années de recherches menées par Martin Guerpin et Laurent Cugny sur l’histoire du jazz dans la France de l’entre-deux-guerres. Elle propose une édition critique de textes francophones sur le jazz publiés à partir de 1918 (date de publication du premier article francophone connu sur le jazz) jusqu’en 1929. Son objectif est triple :
- Réunir des textes parfois difficiles d’accès, souvent méconnus des mélomanes, des musiciens et des chercheurs, et dispersés dans diverses publications, bibliothèques ou fonds d’archives, afin de proposer un volume cohérent susceptible d’être utilisé par les chercheurs, les enseignants et les étudiants chez qui l’histoire du jazz (en général et dans l’espace francophone en particulier) suscite un intérêt croissant.
- Ne pas se limiter à la France et son Empire colonial, mais envisager l’espace francophone dans son ensemble : la Belgique, la Suisse et le Québec, notamment. Cet élargissement permettra de dépasser une historiographie du jazz encore dominée par les perspectives nationales, et d’étudier les circulations de textes et de savoirs propres à l’espace francophone.
- Enrichir les textes pour en faciliter la lecture. Chacun des textes est ainsi doté d’un appareil critique composé d’un chapeau introductif présentant l’auteur.e et le contexte de publication, et d’un appareil de notes des éditeurs. Afin de ne pas influencer la lecture des textes mais seulement de l’informer, ces notes se limitent à des éléments factuels. Elles renseigneront les lecteurs sur les personnes nommées dans chaque texte, les morceaux cités, ou encore les termes techniques employés. L’usage récurrent de mots tels que « nègre » peut choquer les sensibilités contemporaines, mais on comprendra qu’il est indispensable, dans un travail anthologique de ce type, de retranscrire exactement les textes concernés. Aux lecteurs et aux lectrices de replacer les termes utilisés dans le contexte de l’époque à laquelle ils ont été utilisés.
Cette édition annotée et commentée se compose de deux éléments :
- Un volume Écrits francophones sur le jazz (presse, essais, roman, théâtre, poésie). Une anthologie annotée et commentée (1918-1929), préparé par Martin Guerpin et Laurent Cugny, et qui paraîtra chez Vrin. Il réunit une soixantaine de textes jugés les plus représentatifs, accompagnés de plusieurs essais signés des auteurs, qui analysent le corpus global et en proposent plusieurs interprétations.
- La présente édition en ligne annotée et commentée. Elle complète l’anthologie papier par de nombreux autres textes.
1918
Mon film
Dès 1918, le jazz trouve sa place en première page du Journal, l’un des quatre quotidiens français les plus lus avec Le Petit Parisien, Le Matin et Le Petit Journal. L’auteur de cet article, l’un des premiers en français sur le jazz, est l’écrivain et chroniqueur franco-belge Clément-Henri Vautel (1876-1854) qui, après avoir collaboré à des journaux satiriques tels que Le Charivari ou Le Rire, devient entre 1918 et 1940 l’un des piliers du Journal. Comme dans la plupart des articles parus en 1918, le jazz y est associé avec les avant-gardes artistiques et avec le bruit de la Première Guerre mondiale qui vient à peine de se taire.
1919
[Correspondance avec Colette de Jouvenel]
En 1918, le directeur de l’Opéra de Paris, Jacques Rouché, propose à Colette de Jouvenel de travailler en collaboration avec Maurice Ravel à l’élaboration d’une pièce musicale à partir d’un de ses poèmes, Divertissement pour ma fille. Les deux protagonistes accueillent favorablement la proposition mais Ravel, de son propre aveu, n’est pas très assidu. L’œuvre verra finalement le jour, mais seulement en
1925, sous le titre L’Enfant et les sortilèges. En 1919, Ravel adresse une lettre à Colette qui y répond immédiatement. La correspondance montre que l’idée d’inclure un ragtime dans l’œuvre ressort plutôt de la trouvaille que d’une idée mûrement réfléchie. La légèreté du ton et un certain amusement provocateur laissent entrevoir à ce moment un rapport distant à des musiques qui peuvent servir à l’occasion – et vraisemblablement au mieux – d’appoint. Mais il faut dire que cette date de 1919 nous place très tôt dans le processus d’assimilation du jazz en France. Cet échange apparaît alors comme un indice de la progression de ce processus, confirmant le statut du jazz comme nouveauté potentiellement féconde pour un renouvellement de l’inspiration en matière de musique savante.
Américains – III
Robert de Traz (1884-1951) est un romancier et essayiste suisse. Dans ses premières œuvres, publiées avant la Première Guerre mondiale, il s’intéresse aux vertus militaires et à la vie quotidienne des soldats. Devenu pacifiste après avoir été confronté aux combats, il fonde en 1920 La Revue de Genève, dont la vocation internationale, explicitement démarquée de l’internationalisme communiste, se veut proche de l’esprit de Genève et de la Société des Nations. Dans cet article, publié alors que l’armée étatsunienne est encore présente en Europe, de Traz en décrit avec admiration la discipline, l’efficacité, mais aussi la bonne humeur. Autant de qualité qui reflètent de la « foi dans l’homme », « l’amour de la vie » et le « souci pratique de la race […] de l’Américain » (p. 1). Après avoir évoqué le rôle des pratiques sportives et de la Croix Rouge, Robert de Traz évoque celui de la Youth Men’s Christian Association (YMCA) dans le maintien du moral des troupes américaines. Cette organisation fondée à Londres en 1844 connaît un développement rapide dans de nombreux pays. En 1917, elle accompagna le contingent étatsunien débarqué en France pour contribuer aux soins des blessés de guerre et au maintien du moral des troupes, en organisant notamment des spectacles. À ce titre, la YMCA fut l’un des premiers acteurs
de la diffusion du jazz sur le territoire français.
Les origines de la musique à la mode
Identifié dès 1918 comme un phénomène de société, le jazz-band attire l’attention des plus grands quotidiens français. Après avoir fait la une du Journal en 1918, il trouve sa place en première page d’un autre grand quotidien français des années 1900, 1910 et 1920 : Le Matin (les deux autres sont Le Petit Parisien et Le Petit journal). Tirant comme eux à plus d’un million d’exemplaires, Le Matin soutient en 1919 les positions nationalistes et conservatrices du Président de la République Raymond Poincaré. Cette orientation politique explique peut-être la teneur de cet article où l’auteur refuse au jazz le statut de musique et retrace ses origines avec une ironie mordante.
Les origines du “jazz-band”
Créé à la Chaux-de-Fonds en 1882, L’Impartial fait partie en 1919 des quotidiens les plus lus dans le canton de Neuchâtel. Dans cet article, l’un des premiers consacrés au jazz dans la presse généraliste suisse, l’auteur cite un article français publié dix-sept jours auparavant dans Le Matin, Il y prolonge la discussion engagée par cet article sur les origines du jazz-band. En plus d’illustrer l’attention qu’apportent les journaux suisses à leurs confrères français, cet article montre que, dès 1919, la circulation des savoirs sur le jazz ne se limite pas à des transferts univoques des États-Unis vers l’un ou l’autre des pays de l’espace francophone. Il existe en effet des circulations internes à cet espace
L’Art nègre
Fondé en 1848 et publié jusqu’en 1933, le Journal amusant (intitulé Journal pour rire jusqu’en 1856) fait partie des grands titres de la presse satirique française, avec Le Charivari (1832-1837) et La Caricature (1830-1843). Dans ces trois journaux, fondés par le dessinateur et journaliste Charles Philippon (1800-1862), la caricature tient une place aussi importante que les textes, souvent anonymes. La « Fête nègre » organisée à la Comédie des Champs Élysées par Paul Guillaume le 10 juin 1919, en clôture de son exposition « L’Art nègre » (Galerie Devambez, 10-31 mai 1919), fournissait aux auteurs du journal un sujet de choix. La présence de hautes figures de la politique française dans une manifestation placée sous le signe du primitivisme est en effet une situation à fort potentiel burlesque ! Pour l’exploiter, l’article associe la musique des jazz-bands avec une folie collective, perçue comme une séquelle de la Première Guerre mondiale. De ce point de vue, la description à l’eau-forte proposée par le Journal amusant est parfaitement représentative de la première réception du jazz en France (entre 1918 et 1923), une réception influencée par de nombreux stéréotypes racistes. Elle contribue également à créer l’association entre le jazz et l’ « art nègre », et donc entre modernité et primitivisme.
[Observations sur la vie musicale parisienne (1919)]
Maurice Sachs (1906-1945) fait son entrée dans le monde littéraire à 17 ans, lorsqu’il entre au service de Jean Cocteau, en tant que secrétaire. Ce poste lui ouvre les portes de tout le réseau de lieux et d’artistes fréquentés par le poète, qui incarne alors une figure de la modernité artistique française (il sera proche de Max Jacob, mais aussi d’André Gide). C’est à ce titre qu’il fréquente les plages mondaines de Deauville et de Trouville, et qu’il devient un régulier du bar Le Bœuf sur le Toit, repaire de Cocteau et d’une partie des avant-gardes musicales et littéraires françaises. D’où le titre (Au Temps du Bœuf sur le toit) du journal qu’il tient entre 1919 et 1929. Il s’agit d’un document très intéressant sur la vie parisienne de cette période qui révèle les talents de chroniqueur de Sachs (la plupart de ces écrits, publiés à titre posthume, relèvent de ce genre). Certains passages sont consacrés à la vie musicale dans le Paris de l’immédiat après-guerre, à quelques-uns de ses acteurs et à l’atmosphère qui régnait parmi eux. Nous en avons extrait ici ceux touchant à l’émergence du jazz à Paris, d’autant plus précieux que les témoignages sur ces tout débuts, ici l’année 1919, sont très rares.
Le jazz-band d’Hervé
Fondée en 1915 par le journaliste Georges Schmitt et le publiciste Bernard de Puybelle et publiée jusqu’en 1934, La Rampe propose chaque semaine une revue des spectacles donnés dans les théâtres, les music-halls, les salles de concerts et les cinémas. Elle contient également des billets d’humeur traitant des sujets au goût du jour dans le monde artistique français. En 1919, le jazz en est un. Alors que plusieurs textes publiés la même année l’associent avec la folie du carnaval (Anonyme 1919a ; 1919b), de la guerre (Vautel 1918) ou – pour ses détracteurs – de l’avant-garde cubiste (Anonyme 1919c), l’auteur de cet article compare le jazz découvert par les Français l’année précédente avec une bouffonnerie musicale de Louis-Auguste-Florimond Ronger dit Hervé (1825-1892), considéré comme l’inventeur de l’opérette. Ici encore, le choc suscité par la nouveauté sonore des jazz-band pousse le commentateur à le rapprocher de référents associés à la déraison.
1920
Anathème
Dès 1920, le jazz est connu et débattu jusque dans les régions rurales du Québec, celle de Trois-Rivières en l’occurrence (la Mauricie), où est publié Le Bien public. Dans ce journal conservateur et clérical, fondé en 1909, un éditorialiste sous pseudonyme condamne violemment la vogue du jazz au Québec. L’imprécation prend ici un tour religieux : la nouvelle musique est présentée comme un sacrilège pour l’art, mais aussi comme une chute pour une humanité tombée en décadence sous les coups d’une « américanisation » dénoncée avec virulence. Autre fait notable, l’article souligne la filiation établie dès 1920 entre le ragtime et le jazz.
La musique à Paris – À bâtons rompus
Compositeur, chef d’orchestre, critique musical et écrivain suisse, Gustave Doret (1866-1943) a étudié à l’École supérieure de musique de Berlin et au Conservatoire de Paris. De 1910 à 1914, il travaille pour le journal libéral Berliner Tagelblatt en tant que correspondant à Paris. Devenu familier de la vie musicale française, il continue de la suivre après la Première Guerre mondiale, alors même qu’il devient professeur au Conservatoire de Genève et rédacteur de la chronique musicale de La Gazette de Lausanne, quotidien libéral du canton de Vaud. Dans cet article, Doret évoque le difficile retour à la normale du monde musical parisien, et surtout des concerts classiques. Selon lui, le renouveau musical français est menacé par le retour en vogue des « grosses sonorités » du wagnérisme d’avant-guerre, et surtout par celle, nouvelle, des jazz-bands. Comme très souvent entre 1919 et le début des années 1920, ceux-ci sont renvoyés au primitivisme, à l’hystérie, et à la décadence du goût contemporain.
Jazz-band
Dans cet article l’auteur se moque de l’engouement éprouvé par les Européens pour le jazz, au travers d’un renversement de point de vue et d’une micro-fiction d’anticipation. L’Afrique prend la place de l’Europe et le narrateur, professeur que l’on imagine malien puisqu’il enseigne à « Timbouctou », s’étonne de ce qu’une Europe arriérée et à coloniser pour être civilisée puisse s’enthousiasmer pour le jazz. On retrouvera ce renversement associé au genre de l’anticipation, dans une perspective de valorisation cette fois, dans le film Sur un air de charleston de Jean Renoir (1926). Le renversement de point de vue entre Européennes et Africains est également à l’œuvre dans la fantaisie opérette Olive chez les Nègres de Jean Wiéner (1926).
Après la pluie le beau temps
Georges Auric (1899-1983) fait partie des premiers compositeurs français à s’être intéressés au jazz. Son intérêt pour cette musique est indissociable de son admiration pour Erik Satie, mais aussi de l’amitié artistique et personnelle qui le lie à Francis Poulenc (1899-1963) et Darius Milhaud (1892-1974). Auric fait ainsi partie de ces jeunes artistes qui, faisant leurs débuts dans le monde musical français au lendemain de la Première Guerre mondiale, se démarquent de leurs prédécesseurs et tentent de renouveler la musique française, sous l’égide de Jean Cocteau (1889-1963) et de son manifeste, Le Coq et l’Arlequin (1918). Comme le poète, dont il partage alors la plupart des positions, Auric estime que la musique française, dominée par les figures de Claude Debussy (1862-1918), Maurice Ravel (1875-1937) et Richard Wagner (1813-1883), doit être renouvelée. Dans cette perspective, les premiers jazz-bands et leur répertoire lui apparaissent comme une source d’inspiration majeure. En 1920, cet intérêt pour le jazz rapproche Auric, Milhaud et Cocteau des milieux dadaïstes. Le rapprochement est même tout à fait concret : le 20 décembre 1920, Poulenc, Cocteau et Auric assistent au vernissage d’une exposition de Francis Picabia (1879-1953), au cours de laquelle ils forment un fantaisiste « Jazz-band de Paris ». Fondé par Cocteau en 1920, le journal Le Coq témoigne également de l’influence dadaïste : le ton des numéros est volontiers provocateur, les textes y voisinent de percutants aphorismes, disposés en tous sens
(horizontal, vertical) et publiés dans plusieurs polices de caractère de taille différente. Profession de foi artistique, cet article d’Auric peut donc être considérée comme celui d’un disciple de Cocteau, et comme un décalque du Coq et l’Arlequin. Le jeune compositeur en reprend d’ailleurs le style aphoristique, s’appuyant sur des phrases brèves et percutantes.
La Salopett-Redoute – Concours jazz Comœdia
Le 19 juin, Comœdia organise une « protestation officielle contre la vie chère » ciblant particulièrement le prix des vêtements. Cette protestation prend la forme d’une « journée des salopettes » pendant laquelle « artistes dramatiques, auteurs, peintres, musiciens, chansonniers, sportsmen, étudiants et humoristes », ainsi que tout ce que Paris compte de « célébrités mondaines » sont invités, lors des déjeuners et des dîners en ville puis aux spectacles du soir, à porter une salopette pour les hommes, une jupe de toile et une veste bleue pour les femmes. Annoncée à partir du 2 juin, cet événement placé sous le signe de l’humour s’achève sur une soirée à l’Olympia que les organisateurs intitulent « Salopette-redoute » (une redoute est un bal masqué), précédée de plusieurs attractions : une pêche miraculeuse, un championnat de mât de Cocagne, une bataille de serpentins et de confettis. De minuit à une heure du matin, le bal est animé par le « Famous Miami Four Entertainers » et le jazz-band féminin de Blanche Toutain. Cet événement mondain (y participent notamment Tristan Tzara et Francis Picabia, principaux animateurs du groupe dadaïste de Paris, les chansonniers Fursy Saint Granier et Georgius, qui interprète sa chanson « Il a mis sa salopette », Léon Volterra, directeur du Casino de Paris, Léo Statts, maître de ballet de l’Opéra, l’actrice et courtisane Émilienne d’Alençon) est également ponctué par un concours de jazz-band au cours duquel les participants sont invités à faire preuve de la plus grande fantaisie. Cette fête, organisée au profit de l’Association des artistes dramatiques, témoigne de l’idée que se font du jazz l’élite mondaine et artistique de Paris : une musique carnavalesque.
Autour du Dadaïsme – Vernissage Picabia
L’auteur de l’article est peut-être Thomas Auguste Esparbès, dit aussi Georges d’Esparbès (1863-1944), écrivain français, principalement de littérature militaire. Il rend compte ici du vernissage d’une exposition de Francis Picabia (1879-1953) dans le plus pur esprit Dada, où se produisit notamment un « jazz band » dirigé par Jean Cocteau, que Georges Auric évoquera dans ses mémoires sous le nom de « Jazz parisien ».
1921
Fêtes désuètes et charmantes
Francis Durand (1880-1959), dit Francis de Miomandre, est un écrivain français à la production très abondante (romans, nouvelles, essais, poèmes, chroniques en tout genre). Il reçoit le Prix Goncourt en 1908 pour son roman Écrit sur de l’eau… Le texte présenté ici suit une introduction où l’auteur égratigne les « personnes moroses » reprochant à leur époque de donner trop de place aux amusements. Miomandre leur répond malicieusement qu’au contraire, on ne sait plus s’amuser. L’article, précieux témoignage sur la présence des jazz-bands dans les salons privés, déplore avec humour que tout amusement se réduise désormais à la danse au son des jazz-bands. L’extrait précède une évocation de « fêtes d’autrefois » susceptibles de donner lieu à d’autres formes de réjouissances.
La dansomanie en Angleterre
Dans cet article où pointe une ironie mordante caractéristique des premiers textes francophones dénonçant la vogue du jazz, l’auteur fait de cette musique une mode aussi puissante que passagère, à laquelle cèdent, l’une après l’autre, des élites politiques, économiques et culturelles de chaque pays toutes enclines au snobisme. En plus de souligner que le jazz fut avant tout une musique de danse, cet article inaugure une longue série de textes qui, dès le début des années 1910, prédisent le déclin ou la disparition du jazz. En l’espèce, la critique de la « dansomanie » peut être comprise à la lumière des positions du Nationaliste, organe (entre 1904 et 1910) de la Ligue nationaliste canadienne fondée par Henry Bourassa. Le journal promouvait en effet une indépendance politique, économique et culturelle du Canada envers la Grande-Bretagne et les États-Unis.
Allocution pour Caramel mou
En mai 1921, Pierre Bertin monte un spectacle d’avant-garde dont le programme comprenait plusieurs actes, respectivement de Max Jacob, Raymond Radiguet (avec une musique de Georges Auric), Cocteau et Satie, ainsi que Caramel mou, une œuvre de Darius Milhaud composée en avril 1921, avant son voyage aux États-Unis. Milhaud indique dans son autobiographie Ma vie heureuse : « Le Noir Gratton dansa un shimmy de moi Caramel mou (pour lequel Cocteau avait écrit quelques paroles […]) » (Milhaud 1973, p. 100). Ces paroles témoignent de l’intérêt plusieurs fois manifesté par Cocteau pour le dadaïsme à la fin des années 1910 et au début des années 1920 mais aussi le lien qu’il fait entre la musique des jazz-bands et le mouvement fondé par Tristan Tzara. Le 7 avril 1919, dans une « Carte blanche » publiée dans Paris-Midi, cette association est clairement explicitée : « Tristan Tzara va venir publier à Paris deux numéros de la revue Dada qu’il dirige en Suisse et qui fait scandale. J’y trouve simplement l’atmosphère excitante de l’entracte au Casino de Paris où une foule cosmopolite se pressait pour entendre le jazz-band. Si on accepte le jazz-band (dont l’ancêtre est notre brave homme-orchestre), il faut accueillir aussi une littérature que l’esprit goûte comme un cocktail » (Cocteau 1919, p. 3).
L’origine du jazz-band
Fondé en 1901, et publié à Montréal, Le Pays est un journal hebdomadaire caractérisé par un engagement politique clairement affirmé contre l’emprise temporelle de l’Église catholique et contre la politique du Parti Libéral, qui régit la politique québécoise de manière ininterrompue entre 1897 et 1936. Cet article contient l’une des premières évocations connues du personnage de Jasbo Brown et de son rôle dans la généalogie du mot jazz.
Les œuvres et les hommes – Un orchestre nègre à Paris
Poète, romancier et critique d’art, fervent catholique, Maurice (Moïse de son vrai prénom) Brillant (1881-1953) fut secrétaire de rédaction de la revue bimensuelle Le Correspondant. Fondée en 1829, cette revue d’obédience catholique, alors proche des milieux royalistes modérés, compte parmi les revues intellectuelles et artistiques les plus sérieuses. Que Brillant lui accorde une place dans sa chronique « Les œuvres et les hommes », consacrée à l’actualité des expositions, au théâtre et aux concerts, montre qu’au début des années 1920, l’intérêt suscité par le jazz ne se limite pas aux seuls milieux avant-gardistes. Ce compte rendu porte sur l’un des événements majeurs de l’année 1921 dans la vie musicale parisienne : la série de concerts donnés entre le 7 et le 19 mai 1921 au Théâtre des Champs-Élysées par le Southern Syncopated Orchestra, formation issue de celle qui 2 ans plus tôt, à Londres, avait attiré l’attention d’Ernest Ansermet.
Musique et Jazz
En 1921, Jean Saucier (1899-1968) n’est pas encore l’éminent neuropsychiatre qui contribua à la réputation de la Faculté de médecine de Montréal et intégra le Collège royal des médecins du Canada. Doctorant en médecine, il est également mélomane et pratique lui-même le violon. Ardent défenseur de la tradition musicale classique, le futur fondateur (en 1948) de la Société Pro Musica fait également partie des plus virulents contempteurs du jazz. Publié contre ce dernier dans La Canadienne, un journal féminin dont le but affiché par ses fondateurs est d’ « instruire, d’amuser et de servir la famille », le réquisitoire de Saucier contre le jazz rassemble toutes les facettes de la rhétorique anti-jazz du début des années 1920 : exclusion du domaine de la musique ; flatterie des bas instincts du corps et de l’esprit ; association à l’humanité primitive. Ce texte, dont le style trahit parfois la culture médicale de Saucier, fait également apparaître une opposition souvent formulée en les années 1920, entre deux types de musiques populaires : les chansons traditionnelles rurales, censées incarner l’identité et la mentalité d’un peuple, et le jazz, incarnation d’un goût international et perçu pour cette raison comme une menace pour les premières.
Musique
Albert Jeanneret est un violoniste et compositeur suisse, frère de l’architecte Le Corbusier. À partir de 1919, il enseigne à la Schola Cantorum à Paris avant de fonder sa propre école, l’École française de rythmique et d’éducation corporelle. Il s’est particulièrement intéressé au travail musical avec les enfants. L’Esprit nouveau est une revue dirigée par Le Corbusier et Amédée Ozenfant, qui représente le mouvement puriste en France. Très ouverte sur l’avant-garde artistique, elle inclut un suivi systématique du music-hall, lequel dispose d’une rubrique. Dès 1920, Jeanneret place le rythme au centre de ses préoccupations, au point de lui consacrer un long essai (Jeanneret 1920a ; 1920b) axé sur les travaux sur la rythmique menés par Émile Jaques-Dalcroze.
Concerts Jean Wiéner
Le 6 décembre 1921, Jean Wiéner organise à la Salle des Agriculteurs, 8 rue d’Athènes à Paris, le premier de ses « concerts-salade » dont le propos est de présenter au même programme des musiques savantes et populaires. Lors de cette manifestation inaugurale, on entend « l’orchestre américain de Billy Arnold », des fragments du Sacre du printemps joué sur un Pleyela (piano mécanique conçu par la maison Pleyel) et la Sonate pour piano et instruments à vent de Darius Milhaud avec le compositeur au piano (Cugny 2014, p. 339). Ce premier concert donnera lieu à plusieurs commentaires, parmi lesquels il y a celui d’Auguste Mangeot, pianiste, critique musical et co-fondateur avec Alfred Cortot de l’École normale de musique de Paris.
1922
Blancs et noirs
Ce chapitre paraît dans un almanach, succession de courts textes consacrés à l’année 1921, illustrés par Édouard Halouze. Maurice-Verne signe une « Petite philosophie des modes autour de l’an 21 », tandis qu’Henry Prunières livre une courte chronique sur « La musique à Paris en 1921 ». À la fin du volume figure un texte intitulé « Blancs et noirs », signé d’un certain Raymond Zahm – auteur inconnu, peut-être un pseudonyme – qui est, de fait, consacré à une certaine actualité du jazz (le mot est utilisé, mais dans sa réduction de « jazz-band », désignant donc des orchestres). Ce texte est étonnant à plus d’un titre et précieux par la liste de musiciens présents à Paris à cette époque (en dépit d’orthographes erronées pour la plupart d’entre eux). L’impression générale est celle d’un auteur peu au fait de la réalité dont il a à rendre compte transcrivant comme il a pu des données transmises oralement par un ou plusieurs informateurs, peut-être anglophones. Il n’en reste pas moins que sont cités ici des noms rarement évoqués par les auteurs qui vont suivre, et que l’ensemble donne une idée somme toute assez réaliste de ce qui pouvait se jouer à Paris en 1921 (c’est-à-dire très tôt dans cette histoire) sous l’étiquette jazz. En cela, ce texte, pour approximatif qu’il soit, se démarque de la majorité de ceux qui figurent dans cette anthologie, dont le lien avec les réalités sonores des époques concernées est souvent plus que problématique (voir Cugny 2014, p. 415-417).
Musique – Les concerts Wiéner
Le 6 décembre 1921, Jean Wiéner organise à la Salle des Agriculteurs, 8 rue d’Athènes à Paris, le premier de ses « concerts-salade » dont le propos est de présenter au même programme des musiques savantes et populaires. Lors de cette manifestation inaugurale, on entend « l’orchestre américain de Billy Arnold, des fragments du Sacre du printemps joué sur un Pleyela (piano mécanique conçu par la maison Pleyel) et la Sonate pour piano et instruments à vent de Darius Milhaud avec le compositeur au piano » (voir Cugny 2014, p. 339). Ce premier concert donne lieu à plusieurs commentaires parmi lesquels celui d’Albert Jeanneret, violoniste et compositeur suisse, frère de l’architecte Le Corbusier. À partir de 1919, Jeanneret enseigne à la Schola Cantorum à Paris avant de fonder sa propre école, l’École française de rythmique et d’éducation corporelle. Il s’est particulièrement intéressé au travail musical avec les enfants. Dès 1920, Jeanneret place le rythme au centre de ses préoccupations, au point de lui consacrer un long essai (Jeanneret 1920a ; 1920b) axé sur les travaux sur la rythmique menés par Émile Jaques- Dalcroze. L’Esprit nouveau est une revue dirigée par Le Corbusier et Amédée Ozenfant, qui représente le mouvement puriste en France. Très ouverte sur l’avant-garde artistique, elle inclut un suivi systématique du music-hall, lequel dispose d’une rubrique. Le présent article est le deuxième d’Albert Jeanneret dans L’Esprit nouveau.
Une séance de musique moderne
Le 6 décembre 1921, Jean Wiéner organise à la Salle des Agriculteurs, 8 rue d’Athènes à Paris, le premier de ses « concerts-salade » dont le propos est de présenter au même programme des musiques savantes et populaires. Lors de cette manifestation inaugurale, on entend l’orchestre américain de Billy Arnold, des fragments du Sacre du printemps joué sur un Pleyela (piano mécanique conçu par la maison Pleyel) et la Sonate pour piano et instruments à vent de Darius Milhaud avec le compositeur au piano (voir Cugny 2014, p. 339). Ce premier concert donnera lieu à plusieurs commentaires parmi lesquels il y a celui de Roger Désormière (1898-1963), chef d’orchestre français et directeur des Ballets russes de 1925 à 1929. Désormière est avec Ernest Ansermet le grand créateur des œuvres des compositeurs de son temps, parmi lesquels Prokofiev, Messiaen, Poulenc ou Boulez. La tonalité très positive du commentaire sur l’orchestre de Billy Arnold est représentative de l’engouement d’un certain cercle de la musique savante en France (Auric, Milhaud, Stravinski, Ansermet, Cocteau…) qui voit dans le jazz une occasion de régénérer la musique contemporaine de cette époque.
Du jazz-band au roman nègre
En 1921, Paul Maran (1887-1960), écrivain d’origine guyanaise né en Martinique, se voit attribuer le Prix Goncourt pour son roman Batouala, sous-titré « Véritable roman nègre ». C’est la première fois qu’un auteur noir est récompensé. De nombreuses réactions hostiles se manifestent, dont celle de l’écrivain français Paul Gaultier (1872-1960). Secrétaire général de l’Union française ( « Association nationale pour l’expansion morale et matérielle de la France ») en 1916, il devient directeur de la Revue politique et littéraire en 1919, une publication fort sérieuse, aussi connue sous le nom de Revue bleue. Le racisme le plus décomplexé s’étale dans ces lignes qui, si elles portent sur un roman, ne manquent pas d’associer la musique noire dans le même opprobre.
Jazz-band
Au début des années 1920, Francis Picabia fait partie des principaux animateurs de la nébuleuse dadaïste parisienne. Il compte également parmi les premiers artistes à s’intéresser au jazz. Le 10 décembre 1920, lors du vernissage d’une exposition de ses œuvres à la Galerie La Cible, il invite un « jazz-band » dirigé par Jean Cocteau, que Georges Auric évoquera dans ses mémoires sous le nom de « Jazz parisien ». Au-delà de cette anecdote, l’intérêt d’un artiste dadaïste comme Francis Picabia pour le jazz vient du fait qu’il y perçoit une remise en cause des règles et des présupposés esthétiques sur lesquels reposait jusqu’alors la musique. Au même moment, Dada cherche à s’émanciper de l’Art avec son A majuscule et remet en cause les conventions régissant la hiérarchie des genres artistiques, la définition du Beau et même les frontières entre le domaine de l’art et celui de la vie quotidienne. Pour Picabia, le jazz doit inciter les compositeurs à entreprendre une démarche comparable à celle des poètes et peintres Dada : une « reconstruction totale de tous les systèmes ». Dans l’histoire de la musique toute personnelle que Picabia esquisse à grands traits dans la deuxième partie de cet article, les compositeurs susceptibles d’opérer cette reconstruction ne sont autres que ceux du Groupe des Six et de celui qui fut considéré comme leur aîné : Erik Satie (1866-1925). Picabia profite toutefois de l’exposition importante de son article publié dans le journal le plus lu dans le monde artistique français – Comoedia – pour adresser une pique à Jean Coteau (1889-1963) : le principal promoteur du Groupe empêcherait ses membres
La Musique – Les grands concerts
Émile Vuillermoz (1878-1960) a mené conjointement des études juridiques, littéraires et musicales. Renonçant rapidement à ses ambitions de compositeur, il devient l’un des observateurs les plus attentifs de la vie musicale de son époque, et plus particulièrement de toutes les innovations stylistiques et technologiques susceptibles de faire évoluer la musique. À ses yeux, le jazz constitue bien plus qu’une simple mode, comme certains chroniqueurs de l’époque peuvent l’écrire. Pionnier de la critique cinématographique, Vuillermoz est également l’un des initiateurs de la critique de jazz. Attentif à une musique dont il pressent les bouleversements qu’elle porte en elle, il en propose, dès 1918, dans le quotidien L’Éclair, la première analyse sérieuse (Vuillermoz 1923). Figure éminente du Paris musical de l’époque, collaborateur à la Revue musicale, L’Édition musicale vivante et autres publications, profite de l’une de celles-ci, donnée à l’Excelsior à l’occasion d’un concert au Châtelet, pour contester l’opinion d’un collègue sur le jazz. Roland Hayes (1887-1977) est avec Marian Anderson (1897-1993) l’un des représentants les plus prestigieux de ce que l’on appelle aujourd’hui le « spiritual de concert » qui consiste en une adaptation orchestrée des spirituals originels des esclaves afro-américains.
Une enquête…
Revue éphémère dont la durée de vie se limite à l’année 1922, Les Feuilles critiques se consacrent à la musique, au théâtre, aux lettres et aux arts contemporains. Son directeur, le jeune Philippe Parès (1901-1979), le fils du chef de l’orchestre de la Garde Républicaine, Gabriel Parès (1860-1934), la conçoit sur le modèle des Feuilles libres du poète Marcel Raval (1900-1956). En 1922, Parès n’a pas encore entamé la collaboration musicale dans le domaine de l’opérette avec son ami Georges van Parys (1902-1971), rencontré au lycée Charlemagne. Il suit toutefois de près l’actualité de la musique légère, ce qui le mène naturellement à s’intéresser au jazz. Son enquête, motivée par les écrits d’Émile Vuillermoz (1878-1960), critique pionnier de la légitimation du jazz en France, vise à interroger le rôle du jazz dans l’évolution de la musique contemporaine. Première du genre pour ce qui concerne le jazz, cette enquête a été éclipsée dans l’historiographie du jazz en France par celle réalisée trois ans après dans Paris- Midi par les critiques André Schaeffner (1895-1980) et André Cœuroy (1891-1976), autour de questions similaires.
1923
Rag-Time et Jazz-Band
Émile Vuillermoz (1878-1960) a mené conjointement des études juridiques, littéraires et musicales. Renonçant rapidement à ses ambitions de compositeur, il devient l’un des observateurs les plus attentifs de la vie musicale de son époque, et plus particulièrement de toutes les innovations stylistiques et technologiques susceptibles de faire évoluer la musique. À ses yeux, le jazz constitue bien plus qu’une simple mode, comme certains chroniqueurs de l’époque peuvent l’écrire. Pionnier de la critique cinématographique, Vuillermoz est également l’un des initiateurs de la critique de jazz. En 1923, il est l’un des critiques les plus en vue dans le monde musical français et contribue à la Revue musicale, L’Édition musicale vivante et autres publications. Signe de cette reconnaissance, l’éditeur Crès et Cie l’invite à reprendre une série de chroniques publiées dans différents journaux ou revues, notamment l’Excelsior, afin d’en faire un volume sur les musiques de son temps, dont il apparaît déjà comme l’un des plus fervents défenseurs. On retrouve dans cet article les thèmes privilégiés à cette époque du primitivisme et de la valeur générative du rythme, qui aurait été progressivement délaissé par la tradition savante de la musique occidentale.
Les idées – Jazz-band
Ami et proche d’Émile Vuillermoz, Léon Vallas (1879-1956) est un autre grand observateur de la vie musicale de la première moitié du XXe siècle. Il n’a pas de formation musicale mais a soutenu en 1908 une thèse d’université sur La musique à l’Académie de Lyon au XVIIIe siècle , puis en 1919 une thèse de doctorat d’État intitulée Un siècle de musique et de théâtre à Lyon (1688 -1789). Il crée en 1903 La Revue musicale de Lyon qui deviendra La Revue française de musique en 1912, puis La Nouvelle revue musicale entre 1920 et 1925. Il fonde en 1902 la Schola Cantorum de Lyon et enseigne dans cette même ville à l’université et au conservatoire (1908-1912). Critique musical au Progrès de Lyon (1919-1954), il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur Debussy et de monographies sur Vincent d’Indy et César Franck. Comme dans un autre article qui sera publié l’année successive (Vallas 1924), l’auteur se réfugie prudemment derrière d’autres commentateurs (ici Darius Milhaud) pour la description d’une musique à l’égard de laquelle il se montre très bienveillant.
1924
Dancing exotique
Léon Werth (1878-1955) est romancier et essayiste. En 1913, il manque de peu le Prix Goncourt en pour son roman La Maison blanche. Très proche d’Octave Mirbeau, il est l’ami de nombreux peintres et plus tard de Saint-Exupéry, qui lui dédicacera Le Petit prince. Il s’engage dès août 1914 dans l’infanterie où il servira pendant quinze mois avant d’être réformé pour maladie. Marqué par cette expérience, il se distingue après-guerre par des positions pacifistes et anticolonialistes, à contre-courant de son époque. Il critique également le stalinisme et le nazisme montant avant de se ranger derrière de Gaulle pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Dans l’article suivant, une description sans indulgence du public d’un dancing de Paris, l’auteur use d’une métaphore géographique en jouant sur les mots de la
topographie de la ville (la rue Argentine, située entre la place de l’Étoile, et la porte Maillot dans le 17e arrondissement) qui nous rappelle la proximité à cette époque de la musique dite de jazz avec le tango argentin, ainsi qu’une certaine vogue de l’imaginaire sud-américain. Werth s’attarde sur la mixité sociale du public des danseurs, composé de membres de l’aristocratie et d’une bourgeoisie nantie jusqu’aux milieux les plus interlopes. Une seule allusion à la musique, à la toute fin du texte, pour relever sa caractéristique principale : les musiciens sont noirs.
Au Music-hall – Le jazz et les nains du Casino de Paris
Émile Vuillermoz (1878-1960) a mené conjointement des études juridiques, littéraires et musicales. Renonçant rapidement à ses ambitions de compositeur, il devient l’un des observateurs les plus attentifs de la vie musicale de son époque, et plus particulièrement de toutes les innovations stylistiques et technologiques susceptibles de faire évoluer la musique. À ses yeux, le jazz constitue bien plus qu’une simple mode, comme certains chroniqueurs de l’époque peuvent l’écrire. Attentif à une musique dont il pressent les bouleversements qu’elle porte en elle, il en propose, dès 1918, dans le quotidien du matin L’Éclair la première analyse sérieuse (Vuillermoz 1923). Pionnier de la critique cinématographique, Vuillermoz fut également l’un des initiateurs de la critique de jazz. L’essentialisme racial que l’on trouve dans ce texte, monnaie courante à cette époque, ne doit pas éloigner d’un auteur dont le rôle fut décisif dans l’acclimatation du jazz en France.
Les dancings, choses vues
Francis Durand, dit Francis de Miomandre (1880-1959), est un écrivain français à la production très abondante (romans, nouvelles, essais, poèmes, chroniques en tout genre). Il reçoit le Prix Goncourt en 1908 pour son roman Écrit sur de l’ eau… Dans ce texte publié dans l’hebdomadaire Candide , il livre un compte-rendu documentaire passablement ironique sur les lieux de danse parisiens de 1924, dancings de l’après-midi et cabarets du soir. Le jazz et le jazz-band trouvent leur place dans les premiers, sous le regard bienveillant et raisonnablement paternaliste de l’auteur.
Les idées – Jazz
Ami et proche d’Émile Vuillermoz, Léon Vallas (1879-1956) est un autre grand observateur de la vie musicale de la première moitié du XXe siècle. Il n’a pas de formation musicale mais a soutenu en 1908 une thèse d’université sur La musique à Lyon au XVIIIe siècle, puis en 1919 une thèse de doctorat d’État intitulée Un siècle de musique et de théâtre à Lyon (1688 -1789). Il crée en 1903 la Revue musicale de Lyon qui deviendra la Revue française de musique en 1912, puis la Nouvelle revue musicale entre 1920 et 1929. Il co-fonde en 1902 la Schola Cantorum de Lyon et enseigne dans cette même ville à l’université et au conservatoire (1908-1912). Critique musical au Progrès de Lyon (1919-1954), il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur Debussy et de monographies sur Vincent d’Indy et César Franck. Comme dans un autre article publié l’année précédente (Vallas 1923), l’auteur se réfugie prudemment derrière d’autres commentateurs (ici Marion Bauer et Émile Vuillermoz) pour la description d’une musique à l’égard de laquelle il se montre très bienveillant.
La musique – Une volupté méconnue
Émile Vuillermoz (1878-1960) a mené conjointement des études juridiques, littéraires et musicales. Renonçant rapidement à ses ambitions de compositeur, il devient l’un des observateurs les plus attentifs de la vie musicale de son époque, et plus particulièrement de toutes les innovations stylistiques et technologiques susceptible de faire évoluer la musique. À ses yeux, le jazz constitue bien plus qu’une simple mode, comme certains chroniqueurs de l’époque peuvent l’écrire. Attentif à une musique dont il pressent les bouleversements qu’elle porte en elle, il en propose dans le quotidien du matin L’Éclair (fondé en 1888) la première analyse sérieuse (Vuillermoz1923). Pionnier de la critique cinématographique, Vuillermoz fut également l’un des initiateurs de la critique de jazz. Défenseur infatigable du jazz, dans ce texte donné à l’hebdomadaire Candide il s’insurge une nouvelle fois contre l’image d’un jazz tapageur et grossier.
Les jazz
Philibert de Puyfontaine, écrivain français né en 1870, est notamment l’auteur d’une pièce de théâtre, Dannémorah, représentée au Théâtre de l’Odéon en 1913. Symétriquement opposé au texte contemporain de Francis de Miomandre sur le même sujet, portant un regard amusé sur une certaine inconsistance de l’époque, l’auteur livre ici un portrait sombre et désabusé d’une période d’après-guerre qui ne se remet du cataclysme que par un abandon généralisé des valeurs et un grimaçant oubli de soi. Le jazz, qui prend sa part dans ce tableau crépusculaire, n’est pourtant pas vilipendé mais plutôt vu comme une bande- son lugubre et cependant salvatrice de temps par ailleurs mortifères.
Une volupté nouvelle – IV
Émile Vuillermoz (1878-1960) a mené conjointement des études juridiques, littéraires et musicales. Renonçant rapidement à ses ambitions de compositeur, il devient l’un des observateurs les plus attentifs de la vie musicale de son époque, et plus particulièrement de toutes les innovations stylistiques et technologiques susceptibles de faire évoluer la musique. À ses yeux, le jazz constitue bien plus qu’une simple mode, comme certains chroniqueurs de l’époque peuvent l’écrire. Attentif à une musique dont il pressent les bouleversements qu’elle porte en elle, il en propose dans le quotidien du matin L’Éclair (fondé en 1888) la première analyse sérieuse en 1919 (article repris dans Vuillermoz 1923). Pionnier de la critique cinématographique, Vuillermoz fut également l’un des initiateurs de la critique de jazz. Le texte présenté ici, quatrième d’une série parue en feuilleton dans L’Impartial français, constitue l’une des premières chroniques de disques substantielles. On peut y lire l’apologie d’un enregistrement de Paul Whiteman, unanimement considéré en France comme le « Roi du jazz ». La musique est louée à la fois pour ses qualités d’écriture et pour ce qui représente, selon Vuillermoz et de nombreux observateurs spécialistes de musique savante, une caractéristique du jazz : « une grande rigidité métrique conduisant à une extrême souplesse rythmique ».
De l’influence du jazz sur la musique américaine, d’après Paul Whiteman, l’empereur millionnaire du superjazz
Paul Whiteman (1890-1967), est un altiste et chef d’orchestre étatsunien formé à la musique classique. Musicien du rang dans le San Francisco Symhponic Orchestra, il forme son propre orchestre de danse en 1918. Les enregistrements qu’il réalise pour la Victor Talking Machine Company (la plus importante firme discographique aux États-Unis) fait de son orchestre le principal représentant du jazz dans les années 1920. Sa réputation, aussi importante aux États-Unis qu’en Europe, où sa première tournée a lieu en 1926, fait grand bruit et suscite de nombreux articles. Sa musique, qui privilégie les arrangements sophistiqués à l’improvisation individuelle, a suscité l’admiration de nombreux musiciens de jazz dans les années 1920. Dans son autobiographie Duke Ellington (1899-1974) a dit de lui que « personne n’a encore porté ce titre avec autant de conviction et de dignité » (Ellington 1973, p. 103, traduction de l’éditeur). Dans cet article, Whiteman met en récit son succès, qui a consisté, selon lui, à discipliner un jazz naguère primitif au moyen de procédés issus de la musique classique, afin de le rendre acceptable pour le grand public tout en conservant son énergie. Cet argumentaire sera repris et développé deux ans plus tard dans Jazz, autobiographie et manifeste publié avec la collaboration de Margaret McBride.
Sa traduction dans l’une des principales revues musicales québécoises des années 1920, La Lyre (rattachée à l’éditeur musical du même nom), constitue le premier texte francophone dans lequel un musicien de jazz s’exprime directement.
Le Crépuscule du Jazz-Band
Louis Schneider (1861-1934) est un critique musical, traducteur et auteur dramatique. Il a publié deux monographies, respectivement sur Jules Massenet (1908) et Claudio Monteverdi (1921). Il est l’auteur des paroles de La Reine et l’écuyer !… (1903, musique de Georges Charton) et de Noël de fleurs sur une musique de Massenet (1912). Il a également collaboré à La Revue de France en 1923. Dans cet article, il entonne le thème du déclin voire de la mort du jazz que l’on va voir enfler à partir de cette époque.
Réflexions sur le rythme du plain-chant et du jazz-band
L’on sait peu de choses sur Jean-Gustave Schencke si ce n’est qu’il a publié en plus de ce curieux article, deux autres petits essais dans l’une des revues les plus influentes dans le monde musical français du début des années 1920 : Le Courrier musical. Le premier, publié dans le numéro de décembre 1923, tente une mise en correspondance fondée scientifiquement entre le spectre des couleurs et celui des sons. Les « Réflexions sur le rythme du plain-chant et du jazzband » tentent un autre rapprochement inattendu, entre la souplesse de la prosodie du plain-chant et celle du blues. L’originalité de la comparaison mérite l’attention, car elle propose une vision inédite du jazz, et un lien avec le passé qui ne se réduit pas au « primitivisme nègre » déjà devenu un lieu commun du discours sur le jazz en 1924. Toutefois, les tentatives de Schencke pour établir une filiation historique et musicale (au moyen d’exemples musicaux) sont parfois difficiles à suivre.
La nuit snob
Pierre de Régnier (1898-1943), connu aussi par le pseudonyme de Tigre, est un écrivain, poète, dessinateur et chroniqueur français. Les recensions de revues et de concerts sont relativement nombreuses dans la littérature de l’époque, mais les clubs ne rencontrent apparemment pas le même intérêt de la part des chroniqueurs. Ce texte est l’un des rares qui évoquent les clubs parisiens, localisés pour la grande majorité dans le quartier de Pigalle. N’ont été retenu de ce texte que les passages directement reliés au jazz.
1925
Ce que pense du “Jazz” un chef d’orchestre russe
Serge Koussevitsky (1874-1951) est un contrebassiste et chef d’orchestre d’origine russe. À la tête de l’Orchestre philharmonique de Saint-Pétersbourg entre 1917 et 1920 (l’orchestre s’appelle alors Orchestre philharmonique d’État de Petrograd), il émigre à Paris. Il s’y fait rapidement un nom grâce aux concerts Koussevitsky (1921-1929) qu’il organise afin de faire découvrir au public la musique moderne et contemporaine, en particulier russe. Ces concerts sont le lieu de nombreuses premières auditions (le 26 octobre 1922 sont ainsi présentés Isabelle et Pantalon de Roland-Manuel, Le chant du rossignol d’Igor Stravinsky et des fragments de L’Amour des trois oranges de Sergeï Prokofiev. Pendant cette période, Koussevitzky se rend régulièrement aux États-Unis pour diriger le Boston Symphony Orchestra. Il reste à la tête de cette formation de 1924 à 1949. C’est à l’occasion de l’un de ses séjours américains et en tant que musicien ouvert à la création musicale qu’il est interrogé sur le jazz par le New York Times qui est alors le plus important journal étatsunien. L’entretien, publié le 19 octobre 1924 sous le titre « Boston’s Russian Conductor and Jazz. At All Events, Serge Koussevitzky Is Not Afraid of American Horn Blowing » a été traduit, résumé et commenté dans La Lyre (1922-1931), l’une des principales revues musicales québécoises des années 1920, rattachée à l’éditeur musical du même nom, un indice de l’intérêt porté par le monde musical québécois à l’actualité musicale étatsunienne. À une époque où la presse étatsunienne ne manque pas une occasion de souligner que des artistes européens s’intéressent au jazz et le considèrent comme une musique légitime, cet entretien nous apprend que le chef d’orchestre apprécie le jazz et le considère comme la musique de son temps, et comme un vecteur de promotion des instruments à vent souvent cantonnés à un rôle de second plan dans la musique classique.
Wend, O., « Notes de musique – Le jazz-band », L’Impartial, vol. 45, no 13572, 1er avril 1925, p. 2.
Notes de musique – Le jazz-band
Créé à La Chaux-de-Fonds en 1882, L’Impartial fait partie en 1919 des quotidiens les plus lus dans le canton de Neuchâtel. Dans cet article, l’auteur reprend les idées les plus communément admises à cette époque sur le jazz en se rangeant à l’opinion de ceux qui y voient un progrès musical. Il a été impossible de trouver des informations sur l’auteur. À la suite de la signature de celui-ci se trouve un codicille non signé qu’il est intéressant de faire figurer ici.
Au jour le jour – Jazz-band
Marcel Thiébaut (1897-1961) est un critique littéraire français. Il entre en 1919 au Journal des débats politiques et littéraires avant de diriger la Revue de Paris. Il assure ensuite la direction des éditions Calmann-Lévy et devient conseiller littéraire chez Hachette. Dans cet article, sans se positionner lui- même vis-à-vis du jazz, il adopte ce ton détaché et semi-ironique courant à cette époque, qui témoigne de la présence de ce thème dans la société française du moment.
Concerts divers – The Fisk Jubilee Singers, 5 mai
André Schaeffner (1895-1980) est un anthropologue et ethnomusicologue français. Maître de recherche au CNRS, il crée en 1929 le Musée d’ethnographie du Trocadéro, qui deviendra le département d’ethnomusicologie du Musée de l’Homme. Il le dirige jusqu’à sa retraite en 1965. Parmi ses nombreux ouvrages, l’Origine des instruments de musique (Schaeffner 1936) est longtemps restée une référence incontournable en matière d’organologie. Il est par ailleurs l’auteur principal de Le Jazz (Schaeffner et Cœuroy 1926), considéré comme l’un des tout premiers livres sur cette musique. Il livre ici un compte rendu très enthousiaste d’un concert du groupe le plus représentatif de ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui le « spiritual de concert ».
Revue des revues musicales – Jazz
Résumé disponible prochainement
La voix du peuple en matière musicale aux États-Unis
La Lyre est l’une des principales revues musicales québécoises des années 1920. Elle est rattachée à l’éditeur musical du même nom. Cet article illustre une pluralité de débats qui ont accompagné l’arrivée du jazz. Le premier est celui bien connu de sa légitimité. Si les réactions négatives à l’irruption de cette musique furent moins majoritaires qu’on le prétend parfois, elles n’en ont pas moins été bien présentes, et le texte qui suit en donne un bon exemple. Un autre débat est celui de la relation à la musique savante – donc légitime : celle-ci doit-elle se laisser influencer par le jazz et, en retour, ses tenants doivent-ils contribuer par des appréciations positives à le légitimer ? Enfin, débat plus proprement nord-américain : le jazz est-il habilité à représenter « la musique américaine » (c’est-à-dire la musique nord-américaine) ? L’approche nationale des écoles musicales est très prégnante à cette époque. On peut à ce propos se rapporter aux conférences prononcées aux États-Unis en 1928 par Maurice Ravel, lequel engage précisément les musiciens américains à fonder leur propre école sans se laisser influencer plus que de raison par l’Europe. En outre, le fait que cette question soit posée ici dans une publication canadienne francophone (donc américaine non-étatsunienne, à la fois géographiquement et linguistiquement) ajoute encore à l’intérêt de cette prise de position. Dans ce texte, les réponses à ces questions vont toutes dans le même sens, celui d’un rejet du jazz. Sans surprise, on y retrouve également l’approche racialiste et les allusions racistes propres à ce discours.
La naissance du jazz
Yvon Novy est un homme de lettres et un critique de théâtre. Le palindrome formé par son prénom et son nom suggère l’utilisation d’un pseudonyme. Outre de nombreux articles sur la vie théâtrale française, il est l’auteur, en 1927, d’une comédie dramatique en trois actes intitulée L’Ouragan co-écrite avec l’auteur dramatique René Bastien (1884-1960). Initialement publié dans Comœdia le 25 juin 1925, cet article est intégralement repris dans Les Spectacles, un journal régional créé en 1923 pour annoncer et commenter la vie musicale et théâtrale de l’agglomération lilloise.
Soirée nègre
Le lancement de La Revue nègre, dont la première a lieu le 2 octobre 1925, fait l’objet d’une véritable campagne de publicité de la part de Comœdia. Michel Georges-Michel (pseudonyme de Michel Georges Dreyfus [1883-1985], écrivain, journaliste et peintre français) livre dans le numéro du 28 septembre ce reportage sur une « Soirée nègre » qui se serait donnée « hier soir » (soit le 27). De quelle soirée s’agit-il ? La générale n’aura lieu que quatre jours plus tard. L’a-t-il anticipée ? S’agit-il d’une répétition ? Ou de quelques scènes présentées en avant-première (Gustave Fréjaville, dans sa chronique parue dans Comœdia du 4 octobre indique : « La direction des Champs-Élysées avait eu l’idée de nous présenter quelques scènes de cette revue en séance privée, avant de montrer le spectacle complet au public » [Fréjaville 1925, p. 2]) ? L’invente-t-il de toutes pièces ? Difficile de le dire. Il n’en reste pas moins que La Revue nègre est un événement au retentissement considérable, qui suscite un très grand nombre de réactions (sur l’histoire de cette revue, et sa réception voir Cugny 2014, p. 198-227).
Avant “La revue nègreˮ
Il a été impossible d’identifier l’auteur de cet article. La Revue nègre, dont la première a lieu le 2 octobre 1925 au Champs-Élysées Music-Hall (le Théâtre des Champs-Élysées momentanément rebaptisé) est un événement au retentissement considérable, qui suscite un très grand nombre de réactions.
Au théâtre des Champs-Elysées Music-hall – La revue nègre
Yvon Novy est un homme de lettre et un critique de théâtre. Le palindrome formé par son prénom et son nom suggère l’utilisation d’un pseudonyme. Outre de nombreux articles sur la vie théâtrale française, Novy est l’auteur, en 1927, d’une comédie dramatique en trois actes intitulée L’Ouragan co-écrite avec l’auteur dramatique René Bastien (1884-1960). La Revue nègre, dont la première a lieu le 2 octobre 1925 au Champs-Élysées Music-Hall (le Théâtre des Champs-Élysées momentanément rebaptisé) est un événement au retentissement considérable, qui suscite un très grand nombre de réactions.
Opéra-Music-hall – “La revue nègreˮ
Henri Jeanson (1900-1970) est très vraisemblablement l’écrivain et journaliste français qui s’est plus tard rendu célèbre par ses scénarios et dialogues pour le cinéma et ses chroniques parfois assassines dans la presse française (Combat, Le Canard enchaîné, L’Aurore notamment). La Revue nègre, dont la première a lieu le 2 octobre 1925 au Champs-Élysées Music-Hall (le Théâtre des Champs-Élysées momentanément rebaptisé) est un événement au retentissement considérable, qui suscite un très grand nombre de réactions (voir, entre autres, Bizet 1925, Fréjaville 1925, Georges-Michel 1925, Novy 1925 ou, encore, Régnier 1925 ; voir aussi Anthologie). Le compte-rendu qu’il en donne prend la forme d’un récit onirique. Il témoigne de ses convictions internationalistes et d’un certain anti-américanisme, qui pointe en fin de chronique.
Le Music-hall – La revue nègre
René Bizet (1887-1947) est un écrivain, poète et journaliste français. Il est notamment l’auteur d’un recueil de poèmes publié cette même année 1925, intitulé Saxophone (voir Anthologie). La Revue nègre, dont la première a lieu le 2 octobre 1925 au Champs-Élysées Music-Hall (le Théâtre des Champs-Élysées momentanément rebaptisé) est un événement au retentissement considérable, qui suscite un très grand nombre de réactions (Cugny 2014, p. 198-227). Cet article représente l’une des rares réactions négatives à la présentation de la revue. Il reprend le schéma évolutionniste, dans sa version la plus empreinte de racisme.
Le Music-hall – La revue nègre
Gustave Fréjaville (1877-1955), écrivain français, est un chroniqueur musical attitré de Comœdia. La Revue nègre, dont la première a lieu le 2 octobre 1925 aux Champs-Élysées Music-Hall (le Théâtre des Champs-Élysées momentanément rebaptisé) est un événement au retentissement considérable, qui suscite un très grand nombre de réactions (voir Cugny 2014, p. 198-227). L’auteur, tout en louant le spectacle et ses participants, laisse apparaître à la fin de l’article, la thèse évolutionniste qui était de règle à l’époque dans la réception généraliste mais aussi académique.
Aux Champs-Elysées – La Revue nègre
Pierre de Régnier (1898-1943), connu aussi par le pseudonyme de Tigre, est un écrivain, poète, dessinateur et chroniqueur français. La Revue nègre, dont la première a lieu le 2 octobre 1925 au Champs-Élysées Music-Hall (le Théâtre des Champs-Élysées momentanément rebaptisé) est un événement au retentissement considérable, qui suscite un très grand nombre de réactions (Cugny 2014, p. 198-227). Cette chronique est la plus tardive (la dernière représentation de la revue aura lieu le 19 novembre) et aussi la plus descriptive.
Jazz-Band
André Cœuroy (1891-1976), de son vrai nom Jean Belime, est l’un des critiques musicaux les plus influents de l’entre-deux-guerres. Germaniste de formation, il crée La Revue musicale avec Henry Prunières en 1920. Il est l’auteur de très nombreux ouvrages (sur Wagner, Puccini, la musique française, etc.) et d’innombrables articles. Il est aussi l’un des premiers défenseurs de la phonographie. En décembre 1925, peu après avoir mené avec André Schaeffner (1895-1980) l’importante « Enquête sur le Jazz-Band » dans Paris-Midi (voir Anthologie), il livre une entrée consacrée à ce type d’orchestre pour le dictionnaire Larousse.
La guitare et le jazz-band
Édouard Combe (1866-1942) est un critique musical suisse doté d’une solide formation musicale, reçue aux conservatoires de Genève et de Paris. Il est chroniqueur pour de nombreuses revues dont la Gazette musicale de la Suisse romande, La Vie musicale,, la Gazette de Lausanne, et la Tribune de Genève. À partir d’une pièce de théâtre créée au Théâtre des Nouveautés le 22 septembre 1924, il livre ici des considérations personnelles sur le jazz naissant (ainsi que, accessoirement, sur la guitare, le clavecin et la remise au goût du jour de répertoires anciens).
[Aux Lumières de Paris – Extraits]
Pierre Dumarchey, dit Pierre Mac Orlan, est un écrivain français (1882-1970). Il est l’auteur de très nombreux romans (dont Le Quai des brumes), essais, reportages et textes de chanson. En 1925, il fait paraître aux éditions Georges Crès un essai intitulé Aux Lumières de Paris, à la fois chronique et rêverie prenant la capitale pour toile de fond. Le jazz et la musique populaire y sont présents, par touches éparpillées mais insistantes. Mac Orlan y expose, dans son style si particulier, les idées qu’on lui connaît déjà sur la musique (on devrait peut-être plutôt parler d’impressions), plus exactement la musique populaire, tel qu’il les rappellera trois ans plus tard dans son article pour La Revue musicale (Mac Orlan 1928). On peut condenser l’idée principale ainsi : le jazz, porteur d’une énergie particulière et aidé par la technologie du phonographe, a supplanté la musique populaire française, celle des chansons. Nous proposons ici quelques extraits où il est plus précisément question du jazz.
1926
Le jazz serait-il français ?
Paul Le Flem (1881-1984) est compositeur et critique musical. Formé à la Schola Cantorum, il y devient professeur de contrepoint jusqu’en 1939. Il est critique à Comœdia de 1906 à 1960. Dans cet article, il évoque notamment une thèse, que l’on retrouvera jusque dans l’Histoire générale du jazz d’André Cœuroy, publiée en 1943, selon laquelle non seulement le mot « jazz », mais aussi la musique elle-même, auraient une origine française.
Ô vous qui jouiez du piano…
Petite-fille de Sarah Bernhardt, Lysiane Bernhardt (1896-1977) est elle-même comédienne et également femme de lettres. Elle est l’auteure de plusieurs romans et contes (Ombres et reflets, 1921, Le Loyal Séducteur, 1926) ainsi que de deux romans policiers sous le pseudonyme de M.-T. Bernard (Surprise- partie, 1941, L’Arbre qui saigne, 1944). En 1945, elle publie un livre dédié à sa grand-mère (Sarah Bernhardt, ma grand-mère). Elle évoque ici le jazz sur le mode de l’ironie pour un magazine féminin créé en 1901 par le patron de presse Pierre Lafitte. Si le lectorat (féminin) est principalement bourgeois et conservateur, pourtant le périodique traite notamment du sport féminin et prendra parti pour le vote des femmes. Un ton de légèreté parcourt le texte par une description mettant l’accent sur le cosmopolitisme, la variété sonore et le caractère souvent démonstratif des orchestres de jazz. L’auteure évite les jugements de valeur ou la réflexion musicale et anthropologique que l’on retrouve plus souvent à cette époque. Une myriade d’instruments sont évoqués, certains probablement inventés, sous la forme de conseils donnés à des lectrices possiblement intéressées par la pratique d’une musique présentée sous l’angle de l’amusement.
Le jazz est mort ! Vive le jazz
Irving Schwerké (1893-1975) est un critique musical, correspondant parisien pour de nombreuses revues étrangères (The Chicago Tribune, The Musical Digest, The Musical Courier, Nuova Italia musicale, The Musical Times). En 1931, il publie une étude sur Alexandre Tansman (Schwerké 1931) et, en 1936, il publie Views and Interviews (Schwerké 1936), une compilation de vingt-sept études parues sur des musiciens (Paul Dukas, Georges Migot, Jean Cartan notamment ; voir E. L. 1937). Cet article est la version française d’un article publié en anglais dans The Chicago Tribune les 21 et 28 mars 1926 sous le pseudonyme de Albert Franzke. Il a été republié l’année suivante dans le livre Kings Jazz and David (Jazz et David Rois). Relativement méconnu, sans doute parce qu’il a été publié la même année que Jazz d’André Scheffner et André Cœuroy, ce texte mérite d’être lu pour trois raisons au moins. Tout d’abord, il livre sur le jazz le point de vue d’un Américain qui continue de s’informer à des sources américaines tout en lisant assidûment la presse française. En deuxième lieu, il est l’un des premiers à engager une vraie discussion avec d’autres commentateurs du jazz, et à citer leurs publications. Enfin, il contient des intuitions qui anticipent celles dont un Hugues Panassié (1912-1974) se fera le champion à partir de 1930.
Par-delà l’Atlantique – Jazz-band roi
Créé à la Chaux-de-Fonds en 1882, L’Impartial fait partie des quotidiens les plus lus en Suisse, particulièrement dans le canton de Neufchâtel. L’article qu’y publie le juriste belge Charles du Bus de Warnaffe (1894-1965) s’intéresse aux questions liées au droit du travail aux États-Unis, un thème cher à ce membre actif du Parti Catholique et futur ministre belge. C’est dans ce contexte que Du Bus de Warnaffe consacre la seconde partie de son texte au jazz, dont il décrit l’importance socio-économique dans le monde musical new yorkais. L’étonnement dont témoigne Du Bus de Warnaffe est d’autant plus ironique qu’il ne tient pas le jazz en haute estime.
L’âge du “jazzˮ sur le déclin
Le Passe-temps est un périodique originellement bimensuel publié à Montréal à partir de 1895, sous-titré à ses débuts « Littérature – Musique – Théâtre – Mode – Sport ». L’éditorial du premier numéro, sorti le 2 février 1895, précise : « Le Passe-temps sera avant tout un journal de famille et les règles de la morale la plus rigoureuse présideront aux choix de ses feuilletons. On pourra sans crainte le confier à tout le monde et nous n’avons aucun doute qu’avant longtemps, il sera aux mains de tout le monde ». La réception négative du jazz peut prendre plusieurs formes. Ici est prononcée de façon très lapidaire la thèse de l’influence néfaste du jazz doublée du supposé constat d’un désintérêt du public. La consultation des textes publiés au Québec figurant dans la présente anthologie incite à penser que le rejet du jazz a pu être majoritaire dans la presse de ce pays entre 1920 et 1927. Les seuls contrepoids que l’on y trouve sont deux textes donnant la parole à des musiciens, Paul Whiteman et Serge Koussevitsky, tous deux dans La Lyre, respectivement en 1924 et 1925.
La musique de jazz
Maurice Delage (1879-1961) est un compositeur français, disciple et ami de Ravel, et membre du cercle des Apaches. Dans cet article, il s’essaie à un exercice de passage en revue des différents éléments de la musique nouvelle. Le résultat est un exemple très caractéristique des représentations de l’époque.
Le jazz – La musique syncopée pour piano
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Aux Ambassadeurs : Black Birds
Le 28 mai 1926, quelques mois après le triomphe de La Revue nègre, ouvre aux Théâtre des Ambassadeurs – alors dirigé par Edmond Sayag – Black Birds of 1926, dont la vedette afro-américaine Florence Mills présente un contraste très net par rapport à la référence qu’est devenue Joséphine Baker. Là où cette dernière s’était imposée par ce qui fut perçu comme une animalité sauvage, d’une vitalité débridée, la première avait présenté au contraire une image de fragilité et de délicatesse en complète opposition. À son propos, Maurice Chevalier déclare : « Vous allez voir Florence Mills. C’est une grande artiste. Vous n’avez pas idée de ce qu’est le véritable art noir » (Schmitt 1926, p. 16). L’auteur de cet article – Louis Léon-Martin ou Louis-Léon Martin (1883-1944) – est un écrivain français, auteur principalement d’ouvrages historiques. Il ne se contente pas de l’inévitable comparaison avec Joséphine Baker mais décrit en détail l’ensemble de la revue, ce qui confère à ce texte un caractère documentaire intéressant (voir aussi Bizet 1926, Achard 1927 et Cugny 2014, p. 227-233).
Le music-hall – La revue Black Birds aux Ambassadeurs
Le 28 mai 1926, quelques mois après le triomphe de La Revue nègre, ouvre aux Théâtre des Ambassadeurs – alors dirigé par Edmond Sayag – Black Birds of 1926, dont la vedette afro-américaine Florence Mills présente un contraste très net par rapport à la référence qu’est devenue Joséphine Baker. Là où cette dernière s’était imposée par ce qui fut perçu comme une animalité sauvage, d’une vitalité débridée, la première présente au contraire une image de fragilité et de délicatesse en complète opposition. À son propos, Maurice Chevalier déclare : « Vous allez voir Florence Mills. C’est une grande artiste. Vous n’avez pas idée de ce qu’est le véritable art noir » (Schmitt 1926, p. 16). René Bizet (1887-1947), écrivain, poète et journaliste français, est notamment l’auteur d’un recueil de poèmes publié en 1925, intitulé Saxophone (voir Anthologie). Inévitablement, il procède à la comparaison avec La Revue nègre, représentée l’année précédente avec le succès que l’on sait. Le ton est ici résolument critique, au nom précisément de l’« instinct » et du « primitif » qui seraient absents dans cette production (voir aussi Léon-Martin 1926, Achard 1927, et Cugny 2014, p. 227-233).
Le jazz – La musique syncopée pour piano
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“J’adore le jazz!” Voilà ce que nous dit M. André Messager, le compositeur de tant de belles œuvres françaises
Ce texte répond à un usage répandu consistant à consulter des personnalités éminentes pour recueillir leur opinion, en l’occurrence ici sur le jazz. André Messager, élu donc en ce panthéon, est l’une de ces éminences les plus sollicitées : en 1923 par Philippe Parès dans Les Feuilles critiques, en 1925 par André Cœuroy dans son enquête pour Paris-Midi (voir Anthologie) et en 1926 par un auteur anonyme dans L’Intransigeant (C. R. 1926). Ici, il réitère son soutien au jazz dans un vibrant hommage à la modernité et au mouvement. La référence musicale en termes de jazz est toujours l’omniprésent Paul Whiteman.
[Une question du Soir] – Aimez-vous le jazz…? [I] : M. Gabriel Astruc nous dit
Depuis la fin du XIXe siècle, l’enquête journalistique, variante de l’interview, s’impose comme un genre à part entière dans la presse généraliste. Dans les sujets abordés, la musique ne fait pas exception et, dans les années 1920, pas moins de trois enquêtes d’ampleur sont consacrées au jazz. La plus connue est celle menée par André Cœuroy et André Schaeffner pour le compte de Paris-Midi en 1925. Les travaux menés dans cette anthologie ont permis d’en redécouvrir deux autres : celle de 1922-1923, engagée par Philippe Parès dans Les Feuilles critiques et cette enquête, feuilletonnée dans onze numéros de l’un des principaux quotidiens français : Le Soir. Du 15 juin au 18 juillet 1926, Philippe Georges Emmanuel Gordolon, dit Paul Gordeaux (1891-1974) – que l’on retrouve sous le pseudonyme de Philippe d’Olon – a interrogé de nombreuses personnalités du monde musical français, avec la collaboration de René Jolivet (1898-1975) et de Pierre Lazareff (1907-1972). Journaliste, romancier et scénariste, dont les sympathies se tournèrent vers le courant royaliste dans les années 1930, le premier est alors un collaborateur régulier du Soir. Le second, ami du musicien de jazz Ray Ventura, devient journaliste dès 1925, lorsque Gordeaux l’engage pour tenir la rubrique théâtrale du Soir. Dans ce journal, comme dans Paris-Midi, il s’impose comme l’un des chroniqueurs les plus appréciés de la vie artistique et mondaine française. Les réponses des quatorze musiciens, compositeurs, critiques et romanciers qui répondent à cette enquête dessinent un panorama aussi varié que représentatif des différents discours sur le jazz en circulation au milieu des années 1920. L’un des aspects de ce discours que l’on ne retrouve pas de manière aussi saillante dans l’enquête de Cœuroy et Schaeffner est le rôle du jazz pour l’évolution du statut du saxophone. Cela deviendra un enjeu important pour les compositeurs classiques français à la fin des années 1920. La première personnalité à y répondre, Gabriel Astruc (1864-1938), a été le principal impresario parisien de la Belle-Époque. On lui doit notamment la venue des Ballets russes de Serge Diaghilev (1872-1929) à Paris en 1909. Co-directeur, avec Pierre Lafitte (1872-1938), de la luxueuse revue Musica, Astruc a également été un organisateur de concerts infatigable. De 1905 à 1912, il organise au Pavillon de Hanovre les fastueuses « Grandes saisons de Paris », avant de faire construire le Théâtre des Champs-Élysées, dont il a été à partir de 1913 le premier directeur. Chroniqueur actif de la vie artistique parisienne, Astruc livre sur le jazz sa vision d’impresario : cette musique est la nouveauté du moment, une nouveauté à laquelle il serait impossible de ne pas prêter attention, une nouveauté préparée par l’arrivée du cake-walk au début des années 1900, et une nouveauté à laquelle il attribue des antécédents français.
[Une question du Soir] – Aimez-vous le jazz…? II : Le jazz est né d’une invention française. Ce que dit M. Adolphe Sax, fils de l’inventeur du saxophone
Depuis la fin du XIXe siècle, l’enquête journalistique, variante de l’interview, s’impose comme un genre à part entière dans la presse généraliste. Dans les sujets abordés, la musique ne fait pas exception et, dans les années 1920, pas moins de trois enquêtes d’ampleur sont consacrées au jazz. La plus connue est celle menée par André Cœuroy et André Schaeffner pour le compte de Paris-Midi en 1925. Les travaux menés dans cette anthologie ont permis d’en redécouvrir deux autres : celle de 1922-1923, engagée par Philippe Parès dans Les Feuilles critiques et cette enquête, feuilletonnée dans onze numéros de l’un des principaux quotidiens français : Le Soir. Du 15 juin au 18 juillet 1926, Philippe Georges Emmanuel Gordolon, dit Paul Gordeaux (1891-1974) – que l’on retrouve sous le pseudonyme de Philippe d’Olon – a interrogé de nombreuses personnalités du monde musical français, avec la collaboration de René Jolivet (1898-1975) et de Pierre Lazareff (1907-1972). Journaliste, romancier et scénariste, dont les sympathies se tournèrent vers le courant royaliste dans les années 1930, le premier est alors un collaborateur régulier du Soir. Le second, ami du musicien de jazz Ray Ventura, devient journaliste dès 1925, lorsque Gordeaux l’engage pour tenir la rubrique théâtrale du Soir. Dans ce journal, comme dans Paris-Midi, il s’impose comme l’un des chroniqueurs les plus appréciés de la vie artistique et mondaine française. Les réponses des quatorze musiciens, compositeurs, critiques et romanciers qui répondent à cette enquête dessinent un panorama aussi varié que représentatif des différents discours sur le jazz en circulation au milieu des années 1920. L’un des aspects de ce discours que l’on ne retrouve pas de manière aussi saillante dans l’enquête de Cœuroy et Schaeffner est le rôle du jazz pour l’évolution du statut du saxophone. Cela deviendra un enjeu important pour les compositeurs classiques français à la fin des années 1920. Dans cet épisode, Pierre Lazareff donne la parole à Adolphe Sax fils (né en 1859), fils de l’inventeur du saxophone et continuateur de l’œuvre de son père dont il a repris l’entreprise. Adolphe Sax fils a joué un rôle décisif dans l’amélioration de la facture du saxophone. C’est donc tout naturellement qu’il aborde le rôle du cet instrument dans le jazz, mais aussi et surtout le rôle du jazz dans le développement du saxophone. Afin d’attirer le lecteur, Lazareff propose une variation du topos des origines françaises du jazz déjà établi dans quelques textes de 1919.
[Une question du Soir] – Aimez-vous le jazz…? [III] : C’est un enfer sonore…
Depuis la fin du XIXe siècle, l’enquête journalistique, variante de l’interview, s’impose comme un genre à part entière dans la presse généraliste. Dans les sujets abordés, la musique ne fait pas exception et, dans les années 1920, pas moins de trois enquêtes d’ampleur sont consacrées au jazz. La plus connue est celle menée par André Cœuroy et André Schaeffner pour le compte de Paris-Midi en 1925. Les travaux menés dans cette anthologie ont permis d’en redécouvrir deux autres : celle de 1922-1923, engagée par Philippe Parès dans Les Feuilles critiques et cette enquête, feuilletonnée dans onze numéros de l’un des principaux quotidiens français : Le Soir. Du 15 juin au 18 juillet 1926, Philippe Georges Emmanuel Gordolon, dit Paul Gordeaux (1891-1974) – que l’on retrouve sous le pseudonyme de Philippe d’Olon – a interrogé de nombreuses personnalités du monde musical français, avec la collaboration de René Jolivet (1898-1975) et de Pierre Lazareff (1907-1972). Journaliste, romancier et scénariste, dont les sympathies se tournèrent vers le courant royaliste dans les années 1930, le premier est alors un collaborateur régulier du Soir. Le second, ami du musicien de jazz Ray Ventura, devient journaliste dès 1925, lorsque Gordeaux l’engage pour tenir la rubrique théâtrale du Soir. Dans ce journal, comme dans Paris-Midi, il s’impose comme l’un des chroniqueurs les plus appréciés de la vie artistique et mondaine française. Les réponses des quatorze musiciens, compositeurs, critiques et romanciers qui répondent à cette enquête dessinent un panorama aussi varié que représentatif des différents discours sur le jazz en circulation au milieu des années 1920. L’un des aspects de ce discours que l’on ne retrouve pas de manière aussi saillante dans l’enquête de Cœuroy et Schaeffner est le rôle du jazz pour l’évolution du statut du saxophone. Cela deviendra un enjeu important pour les compositeurs classiques français à la fin des années 1920. René Wisner (1872-1970) était un auteur et critique dramatique assez connu en 1926 pour que Paul Gordeaux ne juge pas nécessaire de le présenter en introduction de cet épisode de son enquête. Ses comédies légères et ses articles de critique théâtrale et d’opérette ont pourtant disparu des mémoires. Le récit d’un concert de jazz qu’il propose ici reprend tous les topoi de ceux de la fin des années 1910 et du début des années 1920 : insistance sur les bruits produits par l’orchestre, sur les corps des musiciens et sur l’atmosphère de folie créée par l’orchestre. On peut par exemple le rapprocher des extraits de La Ronde de nuit dans lesquels Sem (Georges Coursat, 1863-1934) décrit un jazz-band en train de jouer lors d’une soirée dansante.
Une question du Soir – Aimez-vous le jazz…? IV
Depuis la fin du XIXe siècle, l’enquête journalistique, variante de l’interview, s’impose comme un genre à part entière dans la presse généraliste. Dans les sujets abordés, la musique ne fait pas exception et, dans les années 1920, pas moins de trois enquêtes d’ampleur sont consacrées au jazz. La plus connue est celle menée par André Cœuroy et André Schaeffner pour le compte de Paris-Midi en 1925. Les travaux menés dans cette anthologie ont permis d’en redécouvrir deux autres : celle de 1922-1923, engagée par Philippe Parès dans Les Feuilles critiques et cette enquête, feuilletonnée dans onze numéros de l’un des principaux quotidiens français : Le Soir. Du 15 juin au 18 juillet 1926, Philippe Georges Emmanuel Gordolon, dit Paul Gordeaux (1891-1974) – que l’on retrouve sous le pseudonyme de Philippe d’Olon – a interrogé de nombreuses personnalités du monde musical français, avec la collaboration de René Jolivet (1898-1975) et de Pierre Lazareff (1907-1972). Journaliste, romancier et scénariste, dont les sympathies se tournèrent vers le courant royaliste dans les années 1930, le premier est alors un collaborateur régulier du Soir. Le second, ami du musicien de jazz Ray Ventura, devient journaliste dès 1925, lorsque Gordeaux l’engage pour tenir la rubrique théâtrale du Soir. Dans ce journal, comme dans Paris-Midi, il s’impose comme l’un des chroniqueurs les plus appréciés de la vie artistique et mondaine française. Les réponses des quatorze musiciens, compositeurs, critiques et romanciers qui
répondent à cette enquête dessinent un panorama aussi varié que représentatif des différents discours sur le jazz en circulation au milieu des années 1920. L’un des aspects de ce discours que l’on ne retrouve pas de manière aussi saillante dans l’enquête de Cœuroy et Schaeffner est le rôle du jazz pour l’évolution du statut du saxophone. Cela deviendra un enjeu important pour les compositeurs classiques français à la fin des années 1920. Dans cet épisode, sous le pseudonyme de Philippe d’Olon, Paul Gordeaux donne la parole à Vincent d’Indy (1851-1931) et à Alfred Bruneau (1857-1934). En 1926, d’Indy (1851-1931) est une figure majeure de la vie musicale française, dont il est un acteur central depuis les années 1890 et la création de son action lyrique en trois actes, Fervaal (1897). Ce compositeur anti-dreyfusard et monarchiste est également théoricien : au-delà de ses œuvres musicales, son autorité provient de la publication de son Cours de composition musicale (1902), réalisé avec le concours d’Auguste Sérieyx (1865-1949). D’Indy est aussi connu et reconnu pour avoir fondé la Schola Cantorum en 1894 avec les compositeurs Charles Bordes (1863-1909) et Alexandre Guilmant (1837-1911). Le but de cette école de musique privée consistait alors à réhabiliter le chant grégorien, qui n’était pas enseigné au conservatoire de Paris. La composition y est également enseignée dans la perspective de la défense d’une identité française de la musique fondée sur le recours aux chants populaires. Ces différentes données permettent de comprendre l’ignorance teintée de mépris dans laquelle d’Indy maintient le jazz. Alfred Bruneau appartient à la même génération que d’Indy : celle qui connut le jazz après l’âge de soixante ans. Critique musical actif dans les années 1890, pour le journal Gil Blas, Le Figaro et Le Matin, notamment, il se fit surtout connaître en tant que compositeur d’opéra, genre pour lequel il tenta d’adapter les théories naturalistes d’Émile Zola (1840-1902). En 1926 à près de soixante-dix ans, Bruneau adopte une attitude prudente face au jazz, qu’il avoue ne pas connaître, pas plus que les dancings dans lesquels le public parisien peut l’entendre tous les soirs.
Une question du Soir – Aimez-vous le jazz…? V
Depuis la fin du XIXe siècle, l’enquête journalistique, variante de l’interview, s’impose comme un genre à part entière dans la presse généraliste. Dans les sujets abordés, la musique ne fait pas exception et, dans les années 1920, pas moins de trois enquêtes d’ampleur sont consacrées au jazz. La plus connue est celle menée par André Cœuroy et André Schaeffner pour le compte de Paris-Midi en 1925. Les travaux menés dans cette anthologie ont permis d’en redécouvrir deux autres : celle de 1922-1923, engagée par Philippe Parès dans Les Feuilles critiques et cette enquête, feuilletonnée dans onze numéros de l’un des principaux quotidiens français : Le Soir. Du 15 juin au 18 juillet 1926, Philippe Georges Emmanuel Gordolon, dit Paul Gordeaux (1891-1974) – que l’on retrouve sous le pseudonyme de Philippe d’Olon – a interrogé de nombreuses personnalités du monde musical français, avec la collaboration de René Jolivet (1898-1975) et de Pierre Lazareff (1907-1972). Journaliste, romancier et scénariste, dont les sympathies se tournèrent vers le courant royaliste dans les années 1930, le premier est alors un collaborateur régulier du Soir. Le second, ami du musicien de jazz Ray Ventura, devient journaliste dès 1925, lorsque Gordeaux l’engage pour tenir la rubrique théâtrale du Soir. Dans ce journal, comme dans Paris-Midi, il s’impose comme l’un des chroniqueurs les plus appréciés de la vie artistique et mondaine française. Les réponses des quatorze musiciens, compositeurs, critiques et romanciers qui répondent à cette enquête dessinent un panorama aussi varié que représentatif des différents discours sur le jazz en circulation au milieu des années 1920. L’un des aspects de ce discours que l’on ne retrouve pas de manière aussi saillante dans l’enquête de Cœuroy et Schaeffner est le rôle du jazz pour l’évolution du statut du saxophone. Cela deviendra un enjeu important pour les compositeurs classiques français à la fin des années 1920. Dans cet épisode, Paul Bordeaux donne la parole à Charles Levadé (1869-1948) et à Darius Milhaud (1892-1974). Si Levadé n’est pas resté dans les histoires de la musique, il n’en fut pas moins un compositeur renommé dans la France de la Belle-Époque, après l’obtention du Prix de Rome en 1899 et la création de son opéra Les Hérétiques en 1905. Selon lui, l’influence que peut avoir le jazz sur la musique classique concernera avant tout l’orchestration. En 1926, Milhaud s’est déjà amplement exprimé sur le jazz. Son article de 1923 reste alors l’une des analyses les plus fouillées qui en ait été produite en français. Au début des années 1920, le compositeur de La Création du monde est à l’avant- garde de la reconnaissance du jazz, en le décrivant comme une nouveauté féconde, sur la base d’un voyage aux États-Unis pendant lequel il fréquenta les bars de Harlem (de décembre 1922 à février 1923). Trois ans plus tard, cet article annonce un changement d’attitude que l’on retrouvera développé dans deux autres textes publiés dans L’Humanité en août 1926 puis dans son livre Études en 1927 : « Déjà l’influence du jazz est passée, comme un orage bienfaisant après lequel on redécouvre un ciel pur, un temps plus sûr. Petit à petit le classicisme renaissant remplace les halètements brisés de la syncope ».
Une question du Soir – Aimez-vous le jazz…? VI
Depuis la fin du XIXe siècle, l’enquête journalistique, variante de l’interview, s’impose comme un genre à part entière dans la presse généraliste. Dans les sujets abordés, la musique ne fait pas exception et, dans les années 1920, pas moins de trois enquêtes d’ampleur sont consacrées au jazz. La plus connue est celle menée par André Cœuroy et André Schaeffner pour le compte de Paris-Midi en 1925. Les travaux menés dans cette anthologie ont permis d’en redécouvrir deux autres : celle de 1922-1923, engagée par Philippe Parès dans Les Feuilles critiques et cette enquête, feuilletonnée dans onze numéros de l’un des principaux quotidiens français : Le Soir. Du 15 juin au 18 juillet 1926, Philippe Georges Emmanuel Gordolon, dit Paul Gordeaux (1891-1974) – que l’on retrouve sous le pseudonyme de Philippe d’Olon – a interrogé de nombreuses personnalités du monde musical français, avec la collaboration de René Jolivet (1898-1975) et de Pierre Lazareff (1907-1972). Journaliste, romancier et scénariste, dont les sympathies se tournèrent vers le courant royaliste dans les années 1930, le premier est alors un collaborateur régulier du Soir. Le second, ami du musicien de jazz Ray Ventura, devient journaliste dès 1925, lorsque Gordeaux l’engage pour tenir la rubrique théâtrale du Soir. Dans ce journal, comme dans Paris-Midi, il s’impose comme l’un des chroniqueurs les plus appréciés de la vie artistique et mondaine française. Les réponses des quatorze musiciens, compositeurs, critiques et romanciers qui répondent à cette enquête dessinent un panorama aussi varié que représentatif des différents discours sur le jazz en circulation au milieu des années 1920. L’un des aspects de ce discours que l’on ne retrouve pas de manière aussi saillante dans l’enquête de Cœuroy et Schaeffner est le rôle du jazz pour l’évolution du statut du saxophone. Cela deviendra un enjeu important pour les compositeurs classiques français à la fin des années 1920. Dans cet épisode, Paul Gordeaux donne la parole à Henri Christiné (1867-1941). Dans la France des années 1920, Christiné fait partie des compositeurs de chansons et d’opérettes les plus en vue. Qu’il s’agisse de La Petite tonkinoise (1906) ou de Phi-Phi (1918), opérette qui connut le plus de représentation en France pendant l’entre-deux-guerres, sa musique fait partie de la bande son quotidienne des Français d’alors, au concert comme au disque et à la radio. Bien que réputé pour avoir créé la formule moderne de l’opérette, Christiné se défend de toute influence du jazz qu’il considère comme une musique de mauvais goût.
Des Ambassadeurs à l’avenue Montaigne
Le 16 juillet 1925, La Lanterne dans un entrefilet, annonce : « Le célèbre jazz américain de Paul Whiteman sera de nouveau cet automne à Londres. Cet orchestre toucherait 1750 livres par semaine [souligné dans le texte original]. Nous ne l’entendrons pas de sitôt à Paris » (Anonyme 1925). Pourtant, Paul Whiteman débarque à Paris avec son orchestre en 1926. Sa notoriété est très forte en France, dans les milieux musicaux informés tout au moins. Il est associé au jazz dans sa généralité. On peut même dire qu’il incarne le jazz pour l’essentiel de la critique française, en bon « roi » qui se plaît à régner sur cette musique. La Rhapsody in Blue qu’il a commandée à Gershwin deux ans plut tôt, dans sa pureté, est unanimement considérée comme l’apogée du genre. Sa venue parisienne de 1926 est présentée – et préparée publicitairement – comme un événement. S’il était initialement prévu une venue en avril 1926, peut-être à l’Opéra, et en mai aux Ambassadeurs, ce n’est que fin juin que le groupe arrive. Le 1er juillet, Le Figaro révèle : « Le célèbre orchestre jazz Paul Whiteman que présentera M. Edmond Sayag vendredi 2 juillet et pour neuf représentations seulement, aux Champs-Élysées Music-hall, est arrivé hier après-midi à 3h30 à la gare du Nord » (Anonyme 1926a). Dans la même colonne, la production publie un encart publicitaire indiquant : « Demain Paris connaîtra aux Champs-Élysées Music-Hall : la merveille des merveilles, le célèbre orchestre jazz de Paul Whiteman ; 32 virtuoses qui ont bouleversé le monde ». Le lendemain, une curieuse confusion s’étale à la page 4 du même Figaro. Deux spectacles sont annoncés séparément. D’une part : « Aux Nouveaux-Ambassadeurs (Théâtre-Restaurant). Pendant le dîner, Florence Mills dans La Revue américaine Black Birds de Lew Leslie, avec Johnny Hudgins, Jones et Jones, Edith Wilson et l’orchestre du Plantation avec Shrimp Jones et Johnny Dunn ». De l’autre : « Aux Champs-Élysées-Music-Hall, à 8h30, Paul Whiteman et son célèbre orchestre-jazz de 32 musiciens. Dans la première partie le danseur Harland Dixon » (Anonyme 1926b). Et enfin, quelques lignes plus loin, un encart publicitaire indiquant : « Ce soir, aux Ambassadeurs, première du nouveau spectacle avec le célèbre orchestre Paul Whiteman et la revue américaine Dixie to Paris, avec Florence Mills et Johnny Hudgins ». En réalité, il semble que l’orchestre de Whiteman devait prendre la suite de Black Birds aux Ambassadeurs, mais le succès de la revue a poussé Edmond Sayag à prolonger et à déplacer Whiteman aux Champs-Élysées-Music-hall, tout en lui laissant assurer la première partie aux Ambassadeurs au moins entre le 2 et le 5 juillet, tel que l’affirme le biographe de Paul Whiteman, Don Rayno. Cela est confirmé par quatre articles parus dans Comœdia, le premier – repris ici – dans le numéro du 3 juillet 1926, les autres (Anonyme 1926c, 1926d, 1926e) dans celui du lendemain, tous en page 5, traditionnellement consacrée aux annonces et comptes-rendus d’événements musicaux et théâtraux. L’article du 3 juillet est de Pierre Darius, l’administrateur du théâtre des Ambassadeurs, l’un des deux établissements où se produit l’orchestre de Paul Whiteman. Deux des trois articles du 4 juillet sont anonymes, le troisième est signé P.D., probablement les initiales de Pierre Darius. Cette abondance et les contenus extrêmement louangeurs sont un bon indicateur de la notoriété dont jouissaient alors à Paris Paul Whiteman et son orchestre, dont la prestation est un événement aussi bien musical que mondain, mais aussi d’un certain système de promotion des spectacles où la ligne entre promoteurs et critiques est loin d’être précisément tracée.
L’orchestre Whiteman
Le 16 juillet 1925, un entrefilet de La Lanterne annonce : « Le célèbre jazz américain de Paul Whiteman sera de nouveau cet automne à Londres. Cet orchestre toucherait 1750 livres par semaine [souligné dans le texte original]. Nous ne l’entendrons pas de sitôt à Paris » (Anonyme 1925). Pourtant, Paul Whiteman débarque à Paris avec son orchestre en 1926. Sa notoriété est très forte en France, dans les milieux musicaux informés tout au moins. Il est associé au jazz dans sa généralité. On peut même dire qu’il incarne le jazz pour l’essentiel de la critique française, en bon « roi » qui se plaît à régner sur cette musique. La Rhapsody in Blue qu’il a commandée à Gershwin deux ans plut tôt, dans sa pureté, est unanimement considérée comme l’apogée du genre. Sa venue parisienne de 1926 est présentée – et préparée publicitairement – comme un événement. S’il était initialement prévu une venue en avril 1926, peut-être à l’Opéra, et en mai aux Ambassadeurs, ce n’est que fin juin que le groupe arrive. Le 1er juillet, Le Figaro révèle : « Le célèbre orchestre jazz Paul Whiteman que présentera M. Edmond Sayag vendredi 2 juillet et pour neuf représentations seulement, aux Champs-Élysées Music-hall, est arrivé hier après-midi à 3h30 à la gare du Nord » (Anonyme 1926a). Dans la même colonne, la production publie un encart publicitaire indiquant : « Demain Paris connaîtra aux Champs-Élysées Music-Hall : la merveille des merveilles, le célèbre orchestre jazz de Paul Whiteman ; 32 virtuoses qui ont bouleversé le monde ». Le lendemain, une curieuse confusion s’étale à la page 4 du même Figaro. Deux spectacles sont annoncés séparément. D’une part : « Aux Nouveaux-Ambassadeurs (Théâtre-Restaurant). Pendant le dîner, Florence Mills dans La Revue américaine Black Birds de Lew Leslie, avec Johnny Hudgins, Jones et Jones, Edith Wilson et l’orchestre du Plantation avec Shrimp Jones et Johnny Dunn ». De l’autre : « Aux Champs-Élysées-Music-Hall, à 8h30, Paul Whiteman et son célèbre orchestre-jazz de 32 musiciens. Dans la première partie le danseur Harland Dixon » (Anonyme 1926b). Et enfin, quelques lignes plus bas, un encart publicitaire indiquant : « Ce soir, aux Ambassadeurs, première du nouveau spectacle avec le célèbre orchestre Paul Whiteman et la revue américaine Dixie to Paris, avec Florence Mills et Johnny Hudgins ». En réalité, il semble que l’orchestre de Whiteman devait prendre la suite de Black Birds aux Ambassadeurs, mais le succès de la revue a poussé Edmond Sayag à prolonger et à déplacer Whiteman aux Champs-Élysées-Music-hall, tout en lui laissant assurer la première partie aux Ambassadeurs au moins entre le 2 et le 5 juillet, tel que l’affirme le biographe de Paul Whiteman, Don Rayno. Cela est confirmé par quatre articles parus dans Comœdia , le premier (Darius 1926) dans le numéro du 3 juillet 1926, les autres – repris ici – dans celui du lendemain, tous en page 5, traditionnellement consacrée aux annonces et comptes rendus d’événements musicaux et théâtraux. L’article du 3 juillet est de Pierre Darius, l’administrateur du théâtre des Ambassadeurs, l’un des deux établissements où se produit l’orchestre de Paul Whiteman. Deux des trois articles du 4 juillet sont anonymes, le troisième est signé P.D., probablement les initiales de Pierre Darius. Cette abondance et les contenus extrêmement louangeurs sont un bon indicateur de la notoriété dont jouissaient alors à Paris Paul Whiteman et son orchestre, dont la prestation est un événement aussi bien musical que mondain, mais aussi d’un certain système de promotion des spectacles où la ligne entre promoteurs et critiques est loin d’être précisément tracée.
Un jazz symphonique
Le 16 juillet 1925, un entrefilet de La Lanterne annonce : « Le célèbre jazz américain de Paul Whiteman sera de nouveau cet automne à Londres. Cet orchestre toucherait 1750 livres par semaine [souligné dans le texte original]. Nous ne l’entendrons pas de sitôt à Paris » (Anonyme 1925). Pourtant, Paul Whiteman débarque à Paris avec son orchestre en 1926. Sa notoriété est très forte en France, dans les milieux musicaux informés tout au moins. Il est associé au jazz dans sa généralité. On peut même dire qu’il incarne le jazz pour l’essentiel de la critique française, en bon « roi » qui se plaît à régner sur cette musique. La Rhapsody in Blue qu’il a commandée à Gershwin deux ans plut tôt, dans sa pureté, est unanimement considérée comme l’apogée du genre. Sa venue parisienne de 1926 est présentée – et préparée publicitairement – comme un événement. S’il était initialement prévu une venue en avril 1926, peut-être à l’Opéra, et en mai aux Ambassadeurs, ce n’est que fin juin que le groupe arrive. Le 1er juillet, Le Figaro révèle : « Le célèbre orchestre jazz Paul Whiteman que présentera M. Edmond Sayag vendredi 2 juillet et pour neuf représentations seulement, aux Champs-Élysées Music-hall, est arrivé hier après-midi à 3h30 à la gare du Nord » (Anonyme 1926a). Dans la même colonne, la production publie un encart publicitaire indiquant : « Demain Paris connaîtra aux Champs-Élysées Music-Hall : la merveille des merveilles, le célèbre orchestre jazz de Paul Whiteman ; 32 virtuoses qui ont bouleversé le monde ». Le lendemain, une curieuse confusion s’étale à la page 4 du même Figaro. Deux spectacles sont annoncés séparément. D’une part : « Aux Nouveaux-Ambassadeurs (Théâtre-Restaurant). Pendant le dîner, Florence Mills dans La Revue américaine Black Birds de Lew Leslie, avec Johnny Hudgins, Jones et Jones, Edith Wilson et l’orchestre du Plantation avec Shrimp Jones et Johnny Dunn ». De l’autre : « Aux Champs-Élysées-Music-Hall, à 8h30, Paul Whiteman et son célèbre orchestre-jazz de 32 musiciens. Dans la première partie le danseur Harland Dixon » (Anonyme 1926b). Et enfin, quelques lignes plus bas, un encart publicitaire indiquant : « Ce soir, aux Ambassadeurs, première du nouveau spectacle avec le célèbre orchestre Paul Whiteman et la revue américaine Dixie to Paris, avec Florence Mills et Johnny Hudgins ». En réalité, il semble que l’orchestre de Whiteman devait prendre la suite de Black Birds aux Ambassadeurs, mais le succès de la revue a poussé Edmond Sayag à prolonger et à déplacer Whiteman aux Champs-Élysées-Music-hall, tout en lui laissant assurer la première partie aux Ambassadeurs au moins entre le 2 et le 5 juillet, tel que l’affirme le biographe de Paul Whiteman, Don Rayno. Les trois textes parus le 4 juillet 1926 dans Comœdia à la page 5, apparemment de trois auteurs différents (Anonyme 1926c, 1926d, 1926e), sembleraient confirmer cette hypothèse. Cette abondance et les contenus extrêmement louangeurs sont un bon indicateur de la notoriété dont jouissaient alors à Paris Paul Whiteman et son orchestre, dont la prestation est un événement aussi bien musical que mondain.
L’auteur de cet article, Maurice Bex (1886-?), est un homme de lettres français. Il se joint ici au cœur des louanges pour un orchestre qu’une réputation très flatteuse avait précédé. À noter l’apparition de l’expression « jazz symphonique ».
Au Théâtre des Champs-Elysées – Petit dialogue sur l’orchestre de Paul Whiteman
Le 16 juillet 1925, La Lanterne dans un entrefilet, annonce : « Le célèbre jazz américain de Paul Whiteman sera de nouveau cet automne à Londres. Cet orchestre toucherait 1750 livres par semaine [souligné dans le texte original]. Nous ne l’entendrons pas de sitôt à Paris » (Anonyme 1925). Pourtant, Paul Whiteman débarque à Paris avec son orchestre en 1926. Sa notoriété est très forte en France, dans les milieux musicaux informés tout au moins. Il est associé au jazz dans sa généralité. On peut même dire qu’il incarne le jazz pour l’essentiel de la critique française, en bon « roi » qui se plaît à régner sur cette musique. La Rhapsody in Blue qu’il a commandée à Gershwin deux ans plut tôt, dans sa pureté, est unanimement considérée comme l’apogée du genre. Sa venue parisienne de 1926 est présentée – et préparée publicitairement – comme un événement. S’il était initialement prévu une venue en avril 1926, peut-être à l’Opéra, et en mai aux Ambassadeurs, ce n’est que fin juin que le groupe arrive. Le 1er juillet, Le Figaro révèle : « Le célèbre orchestre jazz Paul Whiteman que présentera M. Edmond Sayag vendredi 2 juillet et pour neuf représentations seulement, aux Champs-Élysées Music-hall, est arrivé hier après-midi à 3h30 à la gare du Nord » (Anonyme 1926a). Dans la même colonne, la production publie un encart publicitaire indiquant : « Demain Paris connaîtra aux Champs-Élysées Music-Hall : la merveille des merveilles, le célèbre orchestre jazz de Paul Whiteman ; 32 virtuoses qui ont bouleversé le monde ». Le lendemain, une curieuse confusion s’étale à la page 4 du même Figaro. Deux spectacles sont annoncés séparément. D’une part : « Aux Nouveaux-Ambassadeurs (Théâtre-Restaurant). Pendant le dîner, Florence Mills dans La Revue américaine Black Birds de Lew Leslie, avec Johnny Hudgins, Jones et Jones, Edith Wilson et l’orchestre du Plantation avec Shrimp Jones et Johnny Dunn ». De l’autre : « Aux Champs-Élysées-Music-Hall, à 8h30, Paul Whiteman et son célèbre orchestre-jazz de 32 musiciens. Dans la première partie le danseur Harland Dixon » (Anonyme 1926b). Et enfin, quelques lignes plus loin, un encart publicitaire indiquant : « Ce soir, aux Ambassadeurs, première du nouveau spectacle avec le célèbre orchestre Paul Whiteman et la revue américaine Dixie to Paris, avec Florence Mills et Johnny Hudgins ». En réalité, il semble que l’orchestre de Whiteman devait prendre la suite de Black Birds aux Ambassadeurs, mais le succès de la revue a poussé Edmond Sayag à prolonger et à déplacer Whiteman aux Champs-Élysées-Music-hall, tout en lui laissant assurer la première partie aux Ambassadeurs au moins entre le 2 et le 5 juillet, tel que l’affirme le biographe de Paul Whiteman, Don Rayno. Cela est confirmé par quatre articles parus dans Comœdia, le premier (Darius 1926) dans le numéro du 3 juillet 1926, les autres (Anonyme 1926c, 1926d, 1926e) dans celui du lendemain, tous en page 5, traditionnellement consacrée aux annonces et comptes rendus d’événements musicaux et théâtraux. L’article du 3 juillet est de Pierre Darius, l’administrateur du théâtre des Ambassadeurs, l’un des deux établissements où se produit l’orchestre de Paul Whiteman. Deux des trois articles du 4 juillet sont anonymes, le troisième est signé P.D., probablement les initiales de Pierre Darius. Cette abondance et les contenus extrêmement louangeurs sont un bon indicateur de la notoriété dont jouissaient alors à Paris Paul Whiteman et son orchestre, dont la prestation est un événement aussi bien musical que mondain, mais aussi d’un certain système de promotion des spectacles où la ligne entre promoteurs et critiques est loin d’être précisément tracée.
Pierre Maudru (1892-1992), l’auteur de cet article, est un cinéaste, écrivain et musicien de film français. Il met ici en scène un dialogue permettant de présenter les arguments pour et contre la nouvelle musique. Tout en louant les qualités techniques de l’orchestre Whiteman, il ne cache pas, en conclusion, son peu d’estime pour la musique de jazz en général.
Une question du Soir – Aimez-vous le jazz…? VII
Depuis la fin du XIXe siècle, l’enquête journalistique, variante de l’interview, s’impose comme un genre à part entière dans la presse généraliste. Dans les sujets abordés, la musique ne fait pas exception et, dans les années 1920, pas moins de trois enquêtes d’ampleur sont consacrées au jazz. La plus connue est celle menée par André Cœuroy et André Schaeffner pour le compte de Paris-Midi en 1925. Les travaux menés dans cette anthologie ont permis d’en redécouvrir deux autres : celle de 1922-1923, engagée par Philippe Parès dans Les Feuilles critiques et cette enquête, feuilletonnée dans onze numéros de l’un des principaux quotidiens français : Le Soir. Du 15 juin au 18 juillet 1926, Philippe Georges Emmanuel Gordolon, dit Paul Gordeaux (1891-1974) – que l’on retrouve sous le pseudonyme de Philippe d’Olon – a interrogé de nombreuses personnalités du monde musical français, avec la collaboration de René Jolivet (1898-1975) et de Pierre Lazareff (1907-1972). Journaliste, romancier et scénariste, dont les sympathies se tournèrent vers le courant royaliste dans les années 1930, le premier est alors un collaborateur régulier du Soir. Le second, ami du musicien de jazz Ray Ventura, devient journaliste dès 1925, lorsque Gordeaux l’engage pour tenir la rubrique théâtrale du Soir. Dans ce journal, comme dans Paris-Midi, il s’impose comme l’un des chroniqueurs les plus appréciés de la vie artistique et mondaine française. Les réponses des quatorze musiciens, compositeurs, critiques et romanciers qui répondent à cette enquête dessinent un panorama aussi varié que représentatif des différents discours sur le jazz en circulation au milieu des années 1920. L’un des aspects de ce discours que l’on ne retrouve pas de manière aussi saillante dans l’enquête de Cœuroy et Schaeffner est le rôle du jazz pour l’évolution du statut du saxophone. Cela deviendra un enjeu important pour les compositeurs classiques français à la fin des années 1920. Dans cet épisode, Paul Gordeaux donne la parole à Adolphe Borchard (1882-1967). Pianiste classique de formation, Borchard fit quelques incursions dans le domaine de la composition dans les années 1910 et 1920 avant de devenir une figure de la musique de film française dans la décennie suivante. Il fut également actif dans le domaine de la presse musicale et dirigea à partir de 1925 la revue Musique et théâtre, qui privilégiait des articles de critique musicale rédigée par des compositeurs et des artistes. Dans cet entretien, il développe le topos du jazz comme révélateur de l’intérêt du saxophone et, de manière secondaire, comme source de renouvellement des genres classiques inspirés par des danses populaires.
Une question du Soir – Aimez-vous le jazz…? VIII : M. Alexandre Georges [et] M. Vincent Scotto
Depuis la fin du XIXe siècle, l’enquête journalistique, variante de l’interview, s’impose comme un genre à part entière dans la presse généraliste. Dans les sujets abordés, la musique ne fait pas exception et, dans les années 1920, pas moins de trois enquêtes d’ampleur sont consacrées au jazz. La plus connue est celle menée par André Cœuroy et André Schaeffner pour le compte de Paris-Midi en 1925. Les travaux menés dans cette anthologie ont permis d’en redécouvrir deux autres : celle de 1922-1923, engagée par Philippe Parès dans Les Feuilles critiques et cette enquête, feuilletonnée dans onze numéros de l’un des principaux quotidiens français : Le Soir. Du 15 juin au 18 juillet 1926, Philippe Georges Emmanuel Gordolon, dit Paul Gordeaux (1891-1974) – que l’on retrouve sous le pseudonyme de Philippe d’Olon – a interrogé de nombreuses personnalités du monde musical français, avec la collaboration de René Jolivet (1898-1975) et de Pierre Lazareff (1907-1972). Journaliste, romancier et scénariste, dont les sympathies se tournèrent vers le courant royaliste dans les années 1930, le premier est alors un collaborateur régulier du Soir. Le second, ami du musicien de jazz Ray Ventura, devient journaliste dès 1925, lorsque Gordeaux l’engage pour tenir la rubrique théâtrale du Soir. Dans ce journal, comme dans Paris-Midi, il s’impose comme l’un des chroniqueurs les plus appréciés de la vie artistique et mondaine française. Les réponses des quatorze musiciens, compositeurs, critiques et romanciers qui répondent à cette enquête dessinent un panorama aussi varié que représentatif des différents discours sur le jazz en circulation au milieu des années 1920. L’un des aspects de ce discours que l’on ne retrouve pas de manière aussi saillante dans l’enquête de Cœuroy et Schaeffner est le rôle du jazz pour l’évolution du statut du saxophone. Cela deviendra un enjeu important pour les compositeurs classiques français à la fin des années 1920. Ce huitième épisode de l’enquête de Paul Gordeaux (qui utilise ici le pseudonyme de Philippe d’Olon) donne la parole au compositeur et organiste Alexandre Georges (1850-1938) qui se fit connaître pour son opéra Miarka (1905) et pour deux cycles de mélodies : Les Chansons de Miarka (1888) et Les Chansons de Leïlah (1899). Son opinion positive sur le jazz ne l’empêche pas de critiquer toute tentative de le mélanger avec la musique classique. Quant à Vincent Scotto (1874-1952) ami et collaborateur occasionnel d’Henri Christiné, il reprend la vision progressiste et en partie raciste du jazz alors partagée par un grand nombre de critiques. Musique « nègre » à ses origines, le jazz aurait été raffiné par des chefs d’orchestre blancs qui auraient ainsi révélé sa valeur esthétique. On retrouve également dans sa réponse le topos de la valorisation du saxophone à travers le jazz.
La Musique – Paul Whiteman
Le 16 juillet 1925, La Lanterne dans un entrefilet, annonce : « Le célèbre jazz américain de Paul Whiteman sera de nouveau cet automne à Londres. Cet orchestre toucherait 1750 livres par semaine [souligné dans le texte original]. Nous ne l’entendrons pas de sitôt à Paris » (Anonyme 1925). Pourtant, Paul Whiteman débarque à Paris avec son orchestre en 1926. Sa notoriété est très forte en France, dans les milieux musicaux informés tout au moins. Il est associé au jazz dans sa généralité. On peut même dire qu’il incarne le jazz pour l’essentiel de la critique française, en bon « roi » qui se plaît à régner sur cette musique. La Rhapsody in Blue qu’il a commandée à Gershwin deux ans plut tôt, dans sa pureté, est unanimement considérée comme l’apogée du genre. Sa venue parisienne de 1926 est présentée – et préparée publicitairement – comme un événement. S’il était initialement prévu une venue en avril 1926, peut-être à l’Opéra, et en mai aux Ambassadeurs, ce n’est que fin juin que le groupe arrive. Le 1er juillet, Le Figaro révèle : « Le célèbre orchestre jazz Paul Whiteman que présentera M. Edmond Sayag vendredi 2 juillet et pour neuf représentations seulement, aux Champs-Élysées Music-hall, est arrivé hier après-midi à 3h30 à la gare du Nord » (Anonyme 1926a). Dans la même colonne, la production publie un encart publicitaire indiquant : « Demain Paris connaîtra aux Champs-Élysées Music-Hall : la merveille des merveilles, le célèbre orchestre jazz de Paul Whiteman ; 32 virtuoses qui ont bouleversé le monde ». Le lendemain, une curieuse confusion s’étale à la page 4 du même Figaro. Deux spectacles sont annoncés séparément. D’une part : « Aux Nouveaux-Ambassadeurs (Théâtre-Restaurant). Pendant le dîner, Florence Mills dans La Revue américaine Black Birds de Lew Leslie, avec Johnny Hudgins, Jones et Jones, Edith Wilson et l’orchestre du Plantation avec Shrimp Jones et Johnny Dunn ». De l’autre : « Aux Champs-Élysées-Music-Hall, à 8h30, Paul Whiteman et son célèbre orchestre-jazz de 32 musiciens. Dans la première partie le danseur Harland Dixon » (Anonyme 1926b). Et enfin, quelques lignes plus loin, un encart publicitaire indiquant : « Ce soir, aux Ambassadeurs, première du nouveau spectacle avec le célèbre orchestre Paul Whiteman et la revue américaine Dixie to Paris, avec Florence Mills et Johnny Hudgins ». En réalité, il semble que l’orchestre de Whiteman devait prendre la suite de Black Birds aux Ambassadeurs, mais le succès de la revue a poussé Edmond Sayag à prolonger et à déplacer Whiteman aux Champs-Élysées-Music-hall, tout en lui laissant assurer la première partie aux Ambassadeurs au moins entre le 2 et le 5 juillet, tel que l’affirme le biographe de Paul Whiteman, Don Rayno. Cela est confirmé par quatre articles parus dans Comœdia, le premier – repris ici – dans le numéro du 3 juillet 1926, les autres (Anonyme 1926c, 1926d, 1926e) dans celui du lendemain, tous en page 5, traditionnellement consacrée aux annonces et comptes-rendus d’événements musicaux et théâtraux. L’article du 3 juillet est de Pierre Darius, l’administrateur du théâtre des Ambassadeurs, l’un des deux établissements où se produit l’orchestre de Paul Whiteman. Deux des trois articles du 4 juillet sont anonymes, le troisième est signé P.D., probablement les initiales de Pierre Darius. Cette abondance et les contenus extrêmement louangeurs sont un bon indicateur de la notoriété dont jouissaient alors à Paris Paul Whiteman et son orchestre, dont la prestation est un événement aussi bien musical que mondain, mais aussi d’un certain système de promotion des spectacles où la ligne entre promoteurs et critiques est loin d’être précisément tracée.
Émile Vuillermoz (1878-1960), l’auteur de cet article, a mené conjointement des études juridiques, littéraires et musicales. Renonçant rapidement à ses ambitions de compositeur, il devient l’un des observateurs les plus attentifs de la vie musicale de son époque, et plus particulièrement de toutes les innovations stylistiques et technologiques susceptibles de faire évoluer la musique. À ses yeux, le jazz constitue bien plus qu’une simple mode, comme certains chroniqueurs de l’époque peuvent l’écrire. Attentif à une musique dont il pressent les bouleversements qu’elle porte en elle, il en propose dans le quotidien du matin L’Éclair (fondé en 1888) la première analyse sérieuse en 1919 (article repris dans Vuillermoz 1923). Pionnier de la critique cinématographique, Vuillermoz fut également l’un des initiateurs de la critique de jazz.
Une question du Soir – Aimez-vous le jazz…? [IX]
Depuis la fin du XIXe siècle, l’enquête journalistique, variante de l’interview, s’impose comme un genre à part entière dans la presse généraliste. Dans les sujets abordés, la musique ne fait pas exception et, dans les années 1920, pas moins de trois enquêtes d’ampleur sont consacrées au jazz. La plus connue est celle menée par André Cœuroy et André Schaeffner pour le compte de Paris-Midi en 1925. Les travaux menés dans cette anthologie ont permis d’en redécouvrir deux autres : celle de 1922-1923, engagée par Philippe Parès dans Les Feuilles critiques et cette enquête, feuilletonnée dans onze numéros de l’un des principaux quotidiens français : Le Soir. Du 15 juin au 18 juillet 1926, Philippe Georges Emmanuel Gordolon, dit Paul Gordeaux (1891-1974) – que l’on retrouve sous le pseudonyme de Philippe d’Olon – a interrogé de nombreuses personnalités du monde musical français, avec la collaboration de René Jolivet (1898-1975) et de Pierre Lazareff (1907-1972). Journaliste, romancier et scénariste, dont les sympathies se tournèrent vers le courant royaliste dans les années 1930, le premier est alors un collaborateur régulier du Soir. Le second, ami du musicien de jazz Ray Ventura, devient journaliste dès 1925, lorsque Gordeaux l’engage pour tenir la rubrique théâtrale du Soir. Dans ce journal, comme dans Paris-Midi, il s’impose comme l’un des chroniqueurs les plus appréciés de la vie artistique et mondaine française. Les réponses des quatorze musiciens, compositeurs, critiques et romanciers qui répondent à cette enquête dessinent un panorama aussi varié que représentatif des différents discours sur le jazz en circulation au milieu des années 1920. L’un des aspects de ce discours que l’on ne retrouve pas de manière aussi saillante dans l’enquête de Cœuroy et Schaeffner est le rôle du jazz pour l’évolution du statut du saxophone. Cela deviendra un enjeu important pour les compositeurs classiques français à la fin des années 1920. Dans cet épisode, Paul Gordeaux reproduit ici le dialogue fictif que Pierre Maudru (1892-1992) – un personnage à la carrière multiple de journaliste, de romancier, de librettiste, de scénariste et de parolier – publia dans Comoedia le 5 juillet 1926. Ce dialogue concerne l’orchestre de Paul Whiteman, que le public parisien avait pu découvrir pour la première fois sur scène du Théâtre des Champs-Élysées à partir du 2 juillet 1926. Ensuite, Gordeaux donne la parole à Reynaldo Hahn (1874- 1947), l’une des principales figures du monde musical français des années 1920. Ami proche et conseiller musical de Marcel Proust, dont il fut le compagnon jusqu’en 1896, il se fit connaître pour ses cycles de mélodies (Les Chansons grises, 1892) et ses ballets, en particulier Le Dieu bleu, composé pour les Ballets russes en 1912. Après la Première Guerre mondiale, Hahn fait partie des compositeurs défendant le plus farouchement une identité française de la musique. Il est donc peu surprenant de le retrouver parmi le cercle d’Alfred Cortot, chef de file du nationalisme musical français, et parmi ses collègues à l’École Normale de Musique de Paris. Il n’est pas moins surprenant que Hahn s’oppose fermement à toute influence étatsunienne, néfaste selon lui pour la musique française. Cette opposition concerne autant le jazz que l’opérette.
Music-Hall du Théâtre des Champs-Élysées – Orchestre de Paul Whiteman
Le 16 juillet 1925, La Lanterne dans un entrefilet, annonce : « Le célèbre jazz américain de Paul Whiteman sera de nouveau cet automne à Londres. Cet orchestre toucherait 1750 livres par semaine [souligné dans le texte original]. Nous ne l’entendrons pas de sitôt à Paris » (Anonyme 1925). Pourtant, Paul Whiteman débarque à Paris avec son orchestre en 1926. Sa notoriété est très forte en France, dans les milieux musicaux informés tout au moins. Il est associé au jazz dans sa généralité. On peut même dire qu’il incarne le jazz pour l’essentiel de la critique française, en bon « roi » qui se plaît à régner sur cette musique. La Rhapsody in Blue qu’il a commandée à Gershwin deux ans plut tôt, dans sa pureté, est unanimement considérée comme l’apogée du genre. Sa venue parisienne de 1926 est présentée – et préparée publicitairement – comme un événement. S’il était initialement prévu une venue en avril 1926, peut-être à l’Opéra, et en mai aux Ambassadeurs, ce n’est que fin juin que le groupe arrive. Le 1er juillet, Le Figaro révèle : « Le célèbre orchestre jazz Paul Whiteman que présentera M. Edmond Sayag vendredi 2 juillet et pour neuf représentations seulement, aux Champs-Élysées Music-hall, est arrivé hier après-midi à 3h30 à la gare du Nord » (Anonyme 1926a). Dans la même colonne, la production publie un encart publicitaire indiquant : « Demain Paris connaîtra aux Champs-Élysées Music-Hall : la merveille des merveilles, le célèbre orchestre jazz de Paul Whiteman ; 32 virtuoses qui ont bouleversé le monde ». Le lendemain, une curieuse confusion s’étale à la page 4 du même Figaro. Deux spectacles sont annoncés séparément. D’une part : « Aux Nouveaux-Ambassadeurs (Théâtre-Restaurant). Pendant le dîner, Florence Mills dans La Revue américaine Black Birds de Lew Leslie, avec Johnny Hudgins, Jones et Jones, Edith Wilson et l’orchestre du Plantation avec Shrimp Jones et Johnny Dunn ». De l’autre : « Aux Champs-Élysées-Music-Hall, à 8h30, Paul Whiteman et son célèbre orchestre-jazz de 32 musiciens. Dans la première partie le danseur Harland Dixon » (Anonyme 1926b). Et enfin, quelques lignes plus loin, un encart publicitaire indiquant : « Ce soir, aux Ambassadeurs, première du nouveau spectacle avec le célèbre orchestre Paul Whiteman et la revue américaine Dixie to Paris, avec Florence Mills et Johnny Hudgins ». En réalité, il semble que l’orchestre de Whiteman devait prendre la suite de Black Birds aux Ambassadeurs, mais le succès de la revue a poussé Edmond Sayag à prolonger et à déplacer Whiteman aux Champs-Élysées-Music-hall, tout en lui laissant assurer la première partie aux Ambassadeurs au moins entre le 2 et le 5 juillet, tel que l’affirme le biographe de Paul Whiteman, Don Rayno. Cela est confirmé par quatre articles parus dans Comœdia, le premier – repris ici – dans le numéro du 3 juillet 1926, les autres (Anonyme 1926c, 1926d, 1926e) dans celui du lendemain, tous en page 5, traditionnellement consacrée aux annonces et comptes-rendus d’événements musicaux et théâtraux. L’article du 3 juillet est de Pierre Darius, l’administrateur du théâtre des Ambassadeurs, l’un des deux établissements où se produit l’orchestre de Paul Whiteman. Deux des trois articles du 4 juillet sont anonymes, le troisième est signé P.D., probablement les initiales de Pierre Darius. Cette abondance et les contenus extrêmement louangeurs sont un bon indicateur de la notoriété dont jouissaient alors à Paris Paul Whiteman et son orchestre, dont la prestation est un événement aussi bien musical que mondain, mais aussi d’un certain système de promotion des spectacles où la ligne entre promoteurs et critiques est loin d’être précisément tracée.
André Schaeffner (1895-1980) est un anthropologue et ethnomusicologue français. Maître de recherche au CNRS, il crée en 1929 le Musée d’ethnographie du Trocadéro, qui deviendra le département d’ethnomusicologie du Musée de l’Homme. Il le dirigera jusqu’à sa retraite en 1965. Parmi ses nombreux ouvrages, l’Origine des instruments de musique (Schaeffner 1936) restera longtemps une référence incontournable en matière d’organologie. Il est par ailleurs l’auteur principal de Le Jazz (Schaeffner et Cœuroy 1926), considéré comme l’un des tout premiers livres sur cette musique. Le dernier chapitre de ce livre (rédigé par André Cœuroy) posait précisément l’orchestre de Paul Whiteman comme le modèle le plus abouti de ce qu’était le jazz et ce vers quoi il devait tendre. Dans toute cette première critique francophone du jazz des années 1920 se pose un conflit entre, d’une part une vitalité, une rugosité « nègre », qui vient renouveler le paysage quelque peu grandiloquent de la musique (le wagnérisme) ou somnolent (l’impressionnisme) et de l’autre une nécessaire évolution vers des formes plus « civilisées » que seuls les Blancs seraient capables de produire. Schaeffner semble ici revenir à la première (le primitivisme) après avoir loué la seconde (l’évolution civilisée), avant de reconnaître à la fin du texte qu’il a joui de la grande technicité musicale de l’orchestre.
Une question du Soir – Aimez-vous le jazz…? [X]
Depuis la fin du XIXe siècle, l’enquête journalistique, variante de l’interview, s’impose comme un genre à part entière dans la presse généraliste. Dans les sujets abordés, la musique ne fait pas exception et, dans les années 1920, pas moins de trois enquêtes d’ampleur sont consacrées au jazz. La plus connue est celle menée par André Cœuroy et André Schaeffner pour le compte de Paris-Midi en 1925. Les travaux menés dans cette anthologie ont permis d’en redécouvrir deux autres : celle de 1922-1923, engagée par Philippe Parès dans Les Feuilles critiques et cette enquête, feuilletonnée dans onze numéros de l’un des principaux quotidiens français : Le Soir. Du 15 juin au 18 juillet 1926, Philippe Georges Emmanuel Gordolon, dit Paul Gordeaux (1891-1974) – que l’on retrouve sous le pseudonyme de Philippe d’Olon – a interrogé de nombreuses personnalités du monde musical français, avec la collaboration de René Jolivet (1898-1975) et de Pierre Lazareff (1907-1972). Journaliste, romancier et scénariste, dont les sympathies se tournèrent vers le courant royaliste dans les années 1930, le premier est alors un collaborateur régulier du Soir. Le second, ami du musicien de jazz Ray Ventura, devient journaliste dès 1925, lorsque Gordeaux l’engage pour tenir la rubrique théâtrale du Soir. Dans ce journal, comme dans Paris-Midi, il s’impose comme l’un des chroniqueurs les plus appréciés de la vie artistique et mondaine française. Les réponses des quatorze musiciens, compositeurs, critiques et romanciers qui répondent à cette enquête dessinent un panorama aussi varié que représentatif des différents discours sur le jazz en circulation au milieu des années 1920. L’un des aspects de ce discours que l’on ne retrouve pas de manière aussi saillante dans l’enquête de Cœuroy et Schaeffner est le rôle du jazz pour l’évolution du statut du saxophone. Cela deviendra un enjeu important pour les compositeurs classiques français à la fin des années 1920. Dans cet épisode, Paul Gordeaux donne la parole à Raoul Laparra (1876-1943). Comme Charles Levadé et Alexandre Georges, Laparra fait partie des compositeurs français occupant le devant de la scène dans les années 1920, mais dont la mémoire s’est perdue après la Seconde Guerre mondiale. Grand Prix de Rome en 1903, il s’est taillé une solide réputation en 1908 grâce à La Habanera, drame lyrique en trois actes créé à l’Opéra-Comique. La vision du jazz qu’il propose est marquée par des conceptions racistes simplistes, faisant correspondre à chaque race des aptitudes musicales particulières au sein d’un système de valeurs hiérarchisé. Dans les années 1920, une partie non négligeable du monde musical français partageait ces conceptions.
Wiéner et Doucet, ou les plaisirs du jazz
Roland-Manuel (ou Roland Manuel), de son vrai nom Roland Alexis Manuel Levy (1891-1966), compositeur d’origine belge, est un proche de Satie et de Ravel. Outre les activités de musique de film et d’enseignement, il est l’auteur de plusieurs ouvrages musicologiques, notamment des essais sur l’œuvre de Ravel et d’une poétique musicale écrite avec Igor Stravinsky. Il livre ici un vibrant éloge du duo Wiéner-Doucet, considéré avec l’orchestre de Paul Whiteman comme les modèles les plus représentatifs et éminents du jazz et de ce qu’il doit devenir, en l’occurrence une forme « civilisée » qui a pris le meilleur de la musique « primitive », celle des Noirs, mais qui parviennent à l’« élever », forts de leur savoir musical académique (qui est de fait l’apanage des Blancs).
Une question du Soir – Aimez-vous le jazz…? XI
Depuis la fin du XIXe siècle, l’enquête journalistique, variante de l’interview, s’impose comme un genre à part entière dans la presse généraliste. Dans les sujets abordés, la musique ne fait pas exception et, dans les années 1920, pas moins de trois enquêtes d’ampleur sont consacrées au jazz. La plus connue est celle menée par André Cœuroy et André Schaeffner pour le compte de Paris-Midi en 1925. Les travaux menés dans cette anthologie ont permis d’en redécouvrir deux autres : celle de 1922-1923, engagée par Philippe Parès dans Les Feuilles critiques et cette enquête, feuilletonnée dans onze numéros de l’un des principaux quotidiens français : Le Soir. Du 15 juin au 18 juillet 1926, Philippe Georges Emmanuel Gordolon, dit Paul Gordeaux (1891-1974) – que l’on retrouve sous le pseudonyme de Philippe d’Olon – a interrogé de nombreuses personnalités du monde musical français, avec la collaboration de René Jolivet (1898-1975) et de Pierre Lazareff (1907-1972). Journaliste, romancier et scénariste, dont les sympathies se tournèrent vers le courant royaliste dans les années 1930, le premier est alors un collaborateur régulier du Soir. Le second, ami du musicien de jazz Ray Ventura, devient journaliste dès 1925, lorsque Gordeaux l’engage pour tenir la rubrique théâtrale du Soir. Dans ce journal, comme dans Paris-Midi, il s’impose comme l’un des chroniqueurs les plus appréciés de la vie artistique et mondaine française. Les réponses des quatorze musiciens, compositeurs, critiques et romanciers qui répondent à cette enquête dessinent un panorama aussi varié que représentatif des différents discours sur le jazz en circulation au milieu des années 1920. L’un des aspects de ce discours que l’on ne retrouve pas de manière aussi saillante dans l’enquête de Cœuroy et Schaeffner est le rôle du jazz pour l’évolution du statut du saxophone. Cela deviendra un enjeu important pour les compositeurs classiques français à la fin des années 1920. Dans cet épisode, Paul Gordeaux donne la parole à Francis Casadesus (1870- 1954). Il fait partie de la première génération de la célèbre famille de musiciens français du même nom. Formé au Conservatoire de Paris, il devient chef d’orchestre à l’Opéra et à l’Opéra-Comique avant de fonder le Conservatoire américain de Fontainebleau. Casadesus adopte la vision d’un « jazz pur » d’origine africaine, dévoyé par des musiciens étatsuniens en quête d’identité musicale qui n’auraient pas encore réussi à en réaliser une appropriation valable du point de vue esthétique (possibilité que Casadesus n’exclut pas).
La Musique par disques
Henry Prunières (1986-1942) est un musicologue français. Il est notamment un spécialiste de Lully, dont il est l’éditeur scientifique de la première édition monumentale des œuvres. En 1919, il crée avec André Cœuroy – ou plus exactement recrée – La Revue musicale, avec à ses côtés quelques collaborateurs réguliers : Émile Vuillermoz, Robert Godet, Lionel de La Laurencie, Marc Pincherle, Roland-Manuel, Boris de Schlœzer, Léon Vallas et quelques autres. Jusqu’en 1940, la revue est l’observateur privilégié de la vie musicale contemporaine. Prunières est avec Cœuroy, Vuillermoz, André Schaeffner, l’un des premiers et grands défenseurs du jazz au sein des cercles de la musique savante. Entre 1926 et 1931, il donne régulièrement des chroniques dans La Revue musicale où il commente certaines sorties de disque. Quelques extraits sont ici sélectionnés, où il apparaît que l’auteur reste longtemps concentré sur les productions du jazz straight, lequel sera à partir de la décennie 1930 opposé au jazz hot, plus improvisé, notamment par des auteurs comme Robert Goffin et Hugues Panassié. Le jazz hot, que Prunières tarde à reconnaître, sera présenté par ces auteurs comme le jazz « authentique », dont le jazz straight ne serait qu’une pâle contrefaçon.
La dernière chronique de Prunières apparaît dans le numéro 112 de La Revue musicale. Il n’y est pas question de jazz. Dans les numéros 113 et 114, la rubrique « La musique par disques » est interrompue. Elle reprend au numéro 115 (1er mai 1931) avec un paragraphe « Chansons-jazz, etc. » où l’on lit notamment: « Cette rubrique devient bien pauvre depuis quelque temps. Je ne vois guère à signaler parmi les disques qui m’ont été envoyés qu’un disque de Damia […] » (Prunières 1931, p. 453).
Le jazz – La musique syncopée pour piano
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Le jazz
André Cœuroy (1891-1976), de son vrai nom Jean Belime, est l’un des critiques musicaux les plus influents de l’entre-deux-guerres. Germaniste de formation, il crée La Revue musicale avec Henry Prunières en 1920, il est l’auteur de très nombreux ouvrages (sur Wagner, Puccini, la musique française, etc.) et d’innombrables articles. Il est aussi l’un des premiers défenseurs de la phonographie. Cet article emprunte largement aux chapitres écrits par André Schaeffner dans Le Jazz (Schaeffner et Cœuroy 1926).
J. Nr., « À propos de jazz-band », La Gazette de Lausanne, vol. 122, no 244, 5 septembre 1926, p. 4.
À propos de jazz-band
Au milieu des années 1920, le succès du jazz se traduit par une présence de plus en plus importante dans les programmes radiophoniques. Afin de répondre à une demande croissante, plusieurs stations de radio choisissent de créer leur propre orchestre. En résulte une surcharge budgétaire parfois insurmontable. C’est pour cette raison que le chroniqueur musical de La Gazette de Lausanne ne reproche pas à Radio-Lausanne de dissoudre son orchestre de jazz. En revanche, il s’insurge contre les arguments esthétiques invoqués contre le jazz par la station pour justifier cette fermeture. Comme beaucoup de défenseurs du jazz de l’époque, il évoque l’influence que le jazz a eu sur les compositeurs savants comme une raison pour valoriser cette musique.
Le jazz – La musique syncopée pour piano
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Romantisme du jazz
André Schaeffner (1895-1980) est un anthropologue et ethnomusicologue français. Maître de recherche au CNRS, il crée en 1929 le Musée d’ethnographie du Trocadéro, qui deviendra le département d’ethnomusicologie du Musée de l’Homme. Il le dirige jusqu’à sa retraite en 1965. Parmi ses nombreux ouvrages, l’Origine des instruments de musique (Schaeffner 1936), restera longtemps une référence incontournable en matière d’organologie. Schaeffner est par ailleurs l’auteur principal de Le Jazz (Schaeffner et Cœuroy 1926), considéré comme l’un des tout premiers livres sur cette musique. André Cœuroy (1891-1976), de son vrai nom Jean Belime, est l’un des critiques musicaux les plus influents de l’entre-deux-guerres. Germaniste de formation, il crée La Revue musicale avec Henry Prunières en 1920, il est l’auteur de très nombreux ouvrages (sur Wagner, Puccini, la musique française, etc.) et d’innombrables articles. Il est aussi l’un des premiers défenseurs de la phonographie. Le premier paragraphe de ce texte, reprenant exactement l’amorce de l’enquête sur le jazz menée par Schaeffner et Cœuroy dans Paris-Midi (voir Anthologie), il n’est pas reproduit ici. Le reste correspond intégralement au chapitre « Le jazz et nous » clôturant la première édition de Le Jazz. Ce texte présente une longue et vibrante apologie de la nouvelle musique.
Paris qui danse, II – Musique
La signature de Raymond de Nys (dates inconnues) apparaît dans quelques articles de presse, notamment en 1914 dans Paris-Midi. Malgré la pénurie d’information sur son compte, on sait qu’il fait partie du jury de la première édition du prix littéraire Théophraste Renaudot en 1926. De Nys livre ici un texte intéressant sur les conditions sociales des musiciens et sur les pratiques professionnelles. Il s’agit de l’un des très rares textes évoquant le roulement entre orchestres de jazz et de tango dans les dancings.
Le jazz – La musique syncopée pour piano
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De la musique de jazz
En 1926, Genève accueille un genre particulier de concert de jazz : un concert historique retraçant l’évolution de cette musique, sur le modèle expérimenté par Paul Whiteman lors du concert de son orchestre à l’Aeolian Hall de New York, le 12 février 1924, inauguré par « Livery Stable Blues » et couronné par la première de la Rhapsody in Blue de George Gershwin. Après avoir pris ses distances avec les débats concernant la valeur du jazz, le chroniqueur du Journal de Genève salue l’intérêt des répertoires de jazz, mais aussi la virtuosité admirable des dix musiciens composant les Georgians. Fondé en 1921, ce groupe est l’une des premières petites formations du jazz entièrement composée des musiciens d’un même orchestre, celui de Phil Specht (1895-1964) qui entretient donc deux orchestres parallèlement, l’un de danse et un plus réduit, de jazz. Après avoir enregistré plusieurs disques pour Columbia au début des années 1920, les Georgians ont réalisé de nombreuses tournées en Europe entre 1922 et 1927. Ils y enregistrèrent notamment pour le label suisse Kalophone en 1926, lors de leur passage à Genève.
Le jazz au concert
Jean Poueigh (1876-1958) est un compositeur, musicologue et folkloriste français. Il a notamment collecté des musiques traditionnelles du Pays basque et du sud de la France. Il écrit abondamment dans diverses publications musicales dont L’Ère nouvelle et Le Carnet de la semaine. L’Artistic, une salle de concert située au 61 rue de Douai dans le 9e arrondissement de Paris organise des « Concerts de l’Artistic ». La Semaine de Paris du 12 novembre 1926 en décrit ainsi le principe : « À l’Artistic – Curieuse et louable idée, le rapprochement de la Symphonie et du Jazz. C’est là le principe des nouveaux concerts que dirige à l’Artistic un chef alerte, M. Henri Morin, dont le geste est d’une élégante symétrie et la musicalité subtile. En vérité la grâce d’un Mozart et la trépidation nègre accouplées, cela ne manque point d’agrément ! Ces concerts ont un bon départ. En des programmes bien composés prennent place des vedettes de choix. À la première séance, c’étaient ces deux princes du rythme, Jean Wiener et Doucet ; à la seconde, Benedetti, qui n’attend pas le nombre des années pour accomplir, sur son violon, des coups de maître ; à la troisième, voici le violoncelliste André Lévy. J’apprécie sa sensibilité, son aisance, sa qualité de son et la vigueur de son archet. En tous points, son interprétation du Concerto de Saint-Saëns fut excellente » (Anonyme 1926). On notera aussi que, dans le même numéro, l’annonce du programme du concert du dimanche 14 novembre aux Concerts de l’Artistic mentionne « Rapsodie des Pyrénées, première audition (Jean Poueigh) » (ibid., p. 44). Les alliages possibles du jazz et de la musique symphonique est un des thèmes les plus en vogue dans la littérature sur le jazz de cette époque.
Le jazz se démode-t-il ?
La méthode journalistique consistant à collecter les avis d’éminences musicales est plusieurs fois utilisée à cette époque : il suffit de penser à l’enquête de Schaeffner et Cœuroy publiée sur Paris-Midi. C’est le cas ici, par un auteur non identifié.
Le jazz – La musique syncopée pour piano
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Toutes les danses modernes et leurs théories complètes [extrait]
Rédigé par un professeur de danse célèbre dans le Paris des années 1920, Toutes les danses modernes et leurs théories complètes reprend de manière systématique les « théories de la danse » que l’on retrouve dès les premières années du XXe siècle en guise de préface aux morceaux de danse diffusés par les éditeurs de musique français, et qui visent à décrire aux amateurs la manière dont les pas liés à chacune d’entre elles doivent être exécutés. Sont ici rassemblés les descriptions détaillées des pas spécifiques à quinze danses : fox-trot, fox-blues, blues, schottisch espagnole, paso doble, java, valse, boston simple, boston hésitation, tango, samba, five step, charleston français, charleston américain. Le pas de « Jazz » est utilisé dans le fox-trot, le fox-blues et le blues, alors considéré comme un genre de danse, au même titre que le fox-trot, le shimmy et le charleston. N’ont été retenus ici que les paragraphes reprenant le terme « jazz », utilisé ici pour qualifier une danse.
1927
Musique nègre
Boris de Schlœzer (1881-1969) est un critique musical et musicologue français d’origine russe. Collaborateur régulier de nombreuses revues (La Nouvelle Revue française, La Revue musicale, Critique, Les Temps modernes), il est l’auteur de monographies sur Alexandre Scriabine (dont il est le beau-frère) et Igor Stravinsky. Dans Introduction à J.-S. Bach. Essai d’esthétique musicale (1947) et Problèmes de la musique moderne (1959, écrit avec sa nièce Mariana Scriabine), il développe une véritable théorie d’esthétique de la musique. Il est également traducteur de grands auteurs russes : Fiodor Dostoïevski, Nicolas Gogol, Anton Tchekov, Léon Tolstoï, Leon Chestov et d’autres encore. Cette recension du livre Le Jazz (Schaeffner et Cœuroy 1926) semble être sa seule publication sur le jazz. Relativement démuni sur un sujet sortant de son domaine et contraint par les impératifs de courtoisie envers des pairs, l’auteur se déporte rapidement de l’objet originel (le livre) pour décrire une expérience musicale vécue à l’écoute d’une prestation publique des Fisk Jubilee Singers. À cette occasion, il démontre une justesse d’appréciation qu’on ne retrouve pas toujours chez ses contemporains en mettant l’accent sur le traitement vocal original prenant le pas sur les compositions qui apparaissent alors plutôt comme un support pour une interprétation devant être jugée sur des critères différents de ceux de la pratique savante. Revenant au texte du livre à la fin de l’article, Boris de Schlœzer se montre également clairvoyant en relevant des différences fondamentales, en termes de conception du son, de place de la musique dans la société et enfin de ce qu’on appellerait aujourd’hui les transferts culturels.
Qu’est-ce que le jazz ? Un ouvrage d’ignorants…
Le Progrès de Saguenay est un journal publié à Chicoutimi dans la région du Saguenay au Québec depuis 1887. Ce texte se joint à la liste déjà longue des rejets implacables du jazz, en particulier dans la Belle Province. L’argument principal est, tout simplement, que le jazz n’est pas de la musique. C’est un exemple très pur de condamnation du jazz appuyée sur la vision primitiviste et raciste très répandue à cette époque. On note de plus que les références (un article français de 1918 et un autre étatsunien de 1921) sont anciennes au regard de la date de publication, 1927, moment où précisément le rejet du jazz commence à s’estomper, cette musique gagnant progressivement, en allant vers la fin de la décennie, sinon une légitimité, mais à tout le moins une acceptabilité.
Variété – Les nègres et nous
L’Impartial est un journal suisse francophone créé à La Chaux-de-Fonds en 1881 par deux frères, Paul et Alexandre Courvoisier, appartenant à une famille d’éditeurs et d’imprimeurs. Le journal se veut « complètement étranger aux luttes de partis », comme l’indique un numéro spécimen du 27 décembre 1880, quelques jours avant le numéro 1 officiel, daté 1er janvier 1881. La première partie de cet article tranche par rapport à la production habituelle de cette époque par la lucidité ironique avec laquelle sont présentés l’esclavage et le colonialisme. En revanche, la catégorie de la race subsume toujours celles de l’origine et a fortiori de la culture : l’Afro-Américaine Joséphine Baker représente une incarnation de l’Afrique, elle-même lieu d’élection naturelle de la négrité.
Sous le signe du jazz
La Revue des vivants publie son premier numéro en février 1927. Son programme est précisé ainsi : « La Revue des vivants n’est pas un organe de parti. Elle est ouverte à toutes les idées. Elle étudie, dans leur vif, les problèmes capitaux de l’époque et donne ses solutions en toute loyauté et en toute indépendance. […] [Elle] est publiée avec le concours de l’Association Générale des Mutilés de Guerre. Elle a pour collaborateurs, au côté des écrivains et des techniciens les plus réputés de notre temps, les principaux dirigeants de tous les groupements d’anciens combattants. […] [Elle] est l’organe des générations de la guerre. Elle souhaite révéler leur communauté de pensée » (Anonyme 1927, p. i).
Émile Vuillermoz (1878-1960) a mené conjointement des études juridiques, littéraires et musicales. Renonçant rapidement à ses ambitions de compositeur, il devient l’un des observateurs les plus attentifs de la vie musicale de son époque, et plus particulièrement de toutes les innovations stylistiques et technologiques susceptibles de faire évoluer la musique. À ses yeux, le jazz constitue bien plus qu’une simple mode, comme certains chroniqueurs de l’époque peuvent l’écrire. Attentif à une musique dont il pressent les bouleversements qu’elle porte en elle, il en propose dans le quotidien du matin L’Éclair (fondé en 1888) la première analyse sérieuse en 1919 (article repris dans Vuillermoz 1923). Pionnier de la critique cinématographique, Vuillermoz fut également l’un des initiateurs de la critique de jazz. Dans cet article, Vuillermoz reprend ses arguments habituels sur la valeur et la pérennité du jazz, dans un style toutefois plus lyrique et poétique que dans les organes plus spécialisés. Il ne fait pas de doute qu’avec la pique à l’attention des « musiciens d’orchestre allemands » et l’allusion au « massacre », l’auteur garde à l’esprit le lectorat particulier de la revue qui l’accueille ici.
Jeanneret, Albert, « Le nègre et le jazz », La Revue musicale, vol. 8, no 9, juillet 1927, p. 24-27.
Le nègre et le jazz
Albert Jeanneret est un violoniste et compositeur suisse, frère de l’architecte Le Corbusier. À partir de 1919, il enseigne à la Schola Cantorum à Paris avant de fonder sa propre école, l’École française de rythmique et d’éducation corporelle. Il s’est particulièrement intéressé au travail musical avec les enfants. L’Esprit nouveau est une revue dirigée par Le Corbusier et Amédée Ozenfant, qui représente le mouvement puriste en France. Très ouverte sur l’avant-garde artistique, elle inclut un suivi systématique du music-hall, lequel dispose d’une rubrique. Dès 1920, Jeanneret place le rythme au centre de ses préoccupations, au point de lui consacrer un long essai (Jeanneret 1920a ; 1920b) axé sur les travaux menés par Émile Jaques-Dalcroze sur la rythmique. Cet article offre le parfait exemple du socle essentialiste qui imprègne toute la pensée de l’époque : le noir, le nègre, l’ Espagnol, l’Américain, la femme…
De la musique moderne
Jean Wiéner est un défenseur infatigable du jazz. Lors du premier de ses « concerts-salade », organisé le 6 décembre 1921 à la Salle des Agriculteurs à Paris, il fait entendre l’orchestre du pianiste étatsunien (blanc) Billy Arnold pour ce qui est un des premiers, sinon le premier, concerts de jazz en France. Lui- même praticien, il s’exprime aussi à travers conférences (le plus souvent, comme c’est le cas ici, données en lever de rideau de concerts du duo de pianos qu’il forme avec Clément Doucet) et articles. Le texte qui suit est le premier de trois textes d’importance. Parmi les arguments clés qui parcourent l’ensemble, le plus saillant est que le jazz est indiscutablement pour l’auteur une nouveauté digne d’intérêt et ne doit donc en aucun cas être rejeté au nom d’un caractère supposé mineur d’une musique populaire. Plus généralement, Jean Wiéner lance un vibrant appel à un relativisme de la valeur qui sera au cœur du postmodernisme quelques cinq décennies plus tard : pas de « grande » ni de « petite » musique, que des musiques, toutes égales en dignité. Plus encore, le jazz se montre apte à contribuer à un renouvellement de la musique savante occidentale. Le texte présenté ici retrace une vision dont Jean Cocteau s’est fait le chantre le plus bruyant, selon laquelle la musique de Claude Debussy s’est d’abord présentée comme une alternative régénératrice à un wagnérisme trop académique, avant que les émules de Debussy n’affadissent eux-mêmes cette nouveauté sous la forme d’un impressionnisme devenu lui aussi académique. Le salut ne peut alors venir que d’un retour à une forme de vitalité essentielle, incarnée par les musiques populaires. Le jazz trouve ainsi naturellement sa place comme vecteur important de ce retour à des sources vitales. Du côté de la musique savante, les acteurs de ce bain de jouvence se nomment Igor Stravinski, Darius Milhaud, Arthur Honneger, Georges Auric, Francis Poulenc, parrainés par la figure tutélaire que représente leur aîné, Erik Satie. On notera encore cette intuition, paradoxalement erronée et visionnaire en un sens. Elle concerne la notation sur le rythme du jazz, à la fin du texte. Erronée parce que Jean Wiéner est toujours dans la conception originaire du jazz comme corpus de compositions écrites, musique « d’une exécution difficile » qu’on ne « peut jouer que d’une façon, [qu’on] ne peut pas […] interpréter », conception que mettront à mal quelques années plus tard Robert Goffin et Hugues Panassié. Mais dans le même temps, il anticipe ce que sera le swing, celui de Louis Armstrong (que Wiéner et les Français ne connaissent pas encore) en parlant d’« un rythme qu’on doit percevoir et ne pas entendre, qu’on doit vivre et ne pas comprendre », en parlant de « cette mollesse apparente du chant, cette souplesse de ligne, cette extrême liberté mélodique sur un fond qui ne bouge pas, sur un fond automatiquement régulier mais sans rigueur, et qui n’est autre chose que le pouls, que le mouvement même de la marche normale de l’homme ous.
Musique exotique – Une histoire du jazz
Paul Le Flem (1881-1984) est compositeur et critique musical. Formé à la Schola Cantorum, il y devient professeur de contrepoint jusqu’en 1939. Il est critique à Comœdia de 1906 à 1960. Dans cet article, il livre un compte-rendu détaillé du livre Le Jazz d’André Schaeffner et André Cœuroy, publié en 1926. Ce livre, souvent cité comme l’un des premiers sinon le premier ouvrage consacré entièrement au jazz, bien que cosigné des deux auteurs, est entièrement de la plume du premier, à l’exception du dernier chapitre.
Chantons les chants du pays
Dès 1920, le jazz est connu et débattu au Québec (Anonyme 1921, Saucier 1921, Comte 1922, Anonyme 1925a, Anonyme 1925b, Anonyme 1926), jusque dans les régions rurales (Le Passant 1920, Anonyme 1927, le présent texte). La consultation de ces textes incite à penser que le rejet du jazz a pu être majoritaire dans la presse de cette province entre 1920 et 1927. L’Avenir du Nord est un hebdomadaire fondé à Saint- Jérôme en 1897 par Wilfrid Gascon et Henri Prévost avec le sous-titre « Organe libéral du district de Terrebonne ». Ce texte est exemplaire d’un rejet radical du jazz au nom d’un argument provincialiste- protectionniste.
Réflexions sur la musique – Le jazz
André Schaeffner (1895-1980) est un anthropologue et ethnomusicologue français. Maître de recherches au CNRS, il crée en 1929 le Musée d’ethnographie du Trocadéro, qui deviendra le département d’ethnomusicologie du Musée de l’Homme. Il le dirigera jusqu’à sa retraite en 1965. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont une étude sur Stravinski (1931). Origine des instruments de musique. Introduction ethnologique à l’histoire de la musique instrumentale (Schaeffner 1936) restera longtemps une référence en matière d’organologie. Il est par ailleurs l’auteur principal de Le Jazz (Schaeffner et Cœuroy 1926), considéré comme l’un des tout premiers livres sur cette musique. Cet article constitue une réponse d’André Schaeffner à celui d’Arthur Hoérée paru dans La Revue musicale le mois précédent.
Sur une étoile morte – Florence Mills…
Florence Mills (1896-1927) est une chanteuse afro-américaine qui s’illustra à Paris dans les revues Dixie to Paris et Black Birds. Le 1er novembre 1927, elle décède tragiquement à l’âge de 31 ans, des suites d’une opération. Elle avait triomphé l’année précédente à Paris aux Théâtre des Ambassadeurs dans Black Birds of 1926 (voir Martin 1926, Bizet 1926 et Cugny 2014, p. 227-233). Paul Achard (1887-1962) est écrivain, scénariste et journaliste. Il est notamment l’auteur de huit romans parus entre 1927 et 1945 et d’une dizaine de scénarios écrits entre 1931 et 1948. Dans cette courte notice nécrologique, l’auteur revient sur le contraste que Florence Mills avait illustré par rapport à Joséphine Baker, laquelle venait de triompher l’année précédente dans la Revue nègre. Là où cette dernière s’était imposée par ce qui fut perçu comme une animalité sauvage, d’une vitalité débridée, la première avait présenté au contraire une image de fragilité et de délicatesse en complète opposition.
1928
Musiques populaires
Pierre Dumarchey, dit Pierre Mac Orlan (1882-1970), est un écrivain français, auteur de très nombreux romans (dont Le Quai des brumes), essais, reportages et autres textes de chanson. En 1925, il avait fait paraître un roman, Aux lumières de Paris, dans lequel le jazz était déjà évoqué. Il livre à La Revue musicale en 1928 cet article où, si le « jazz-band » est cité, il n’est pas question exclusivement de jazz, mais de considérations plus générales sur les « musiques populaires » qui donnent de précieuses indications sur une certaine perception de l’époque venant d’un des littérateurs les plus perméables à l’esprit de son temps. Comme le vibrant hommage aux musiques populaires qu’est ce texte, il participe en effet à cette affirmation de la revue, novatrice pour l’époque, selon laquelle la « grande » musique ne serait pas la seule digne d’intérêt (bien que l’on peine à penser en dehors de ses cadres). C’est d’abord une apologie de l’émotion prodiguée par la musique populaire, laquelle pourrait être d’une autre sorte que celle distillée par son équivalent savant. La chanson en est le vecteur alternatif privilégié, par les paroles certes, mais peut-être surtout pour le supplément apporté par cette forme spécifique, courte, qui tire sa force de sa simplicité, de son caractère rudimentaire. Ce n’est pas toutefois la seule chanson française qui est concernée, mais toute une puissance contenue dans les musiques populaires du monde entier. Vient ensuite le jazz-band, présenté comme une étape ultérieure. Hommage certainement, mais quelque peu désenchanté aussi : le rythme, certes élan vital, n’en a pas moins établi son empire en congédiant la lettre, transformant ainsi « les traditions les plus pures de la musique populaire », pour le meilleur ou pour le pire. Mais il peut être loisible de se consoler de cet abandon en se raccrochant au magnétisme des voix que Mac Orlan entend célébrer. On notera que l’auteur lie étroitement la musique au phonographe (et à la radio) par lequel elle lui parvient. Mais, en regroupant les artistes citées, en l’occurrence des chanteuses, sous la catégorie « voix anglo-saxonnes » sans plus préciser, il marque cette particularité induite par la musique transmise via les nouvelles technologies : on ne voit pas les artistes dont il est, par conséquent, plus difficile de déterminer l’appartenance communautaire, alors que les caractéristiques supposées des communautés ou des « races » occupaient une si grande place dans l’imaginaire de l’époque. Comme le rappelle Yannick Séité, Pierre Mac Orlan est « celui qui a le plus constamment dispersé dans son œuvre le jazz (ce que l’on admet comme tel) et les éléments de sa diffusion, phono, TSF, music-hall ». Mais, d’une part, le terrain analytique (recherche de spécificités, d’essences) ne l’intéresse pas, de l’autre, il est plus attiré par les musiques populaires en général, comme le titre de l’article l’indique, sans être toujours persuadé que le jazz en fait partie ou craignant qu’il les dénature. Il continuera pourtant de s’occuper de jazz, à travers une rubrique sur les disques dans Le Crapouillot.
La semaine au music-hall
Gustave Fréjaville (1877-1955) est un écrivain français et chroniqueur musical attitré de Comœdia. Spécialiste du music-hall, il a écrit plusieurs ouvrages sur ce sujet. Il livre ici un commentaire enthousiaste de celui qui est vu comme l’un des plus brillants représentants du jazz, toutes catégories confondues : le chef d’orchestre anglais Jack Hylton. Ce dernier, qui a repris la formule du jazz symphonique à son initiateur étatsunien Paul Whiteman, joue avec sa formation pour la première fois à Paris au théâtre de l’Empire entre les 30 ou 31 décembre 1927 et 12 ou 13 janvier 1928.
Lettre de Paris – Vers la fin du jazz-band ? Maurice Chevalier nous dit…
André de Wissant (1895-1982) est un écrivain, critique littéraire et journaliste français. Sa première œuvre, le roman Voluptueux sillage…, ne paraîtra qu’en 1932. À la fin des années 1920, il gagne sa vie comme collaborateur de plusieurs journaux, et c’est à ce titre qu’il livre aux lecteurs de L’Impartial une interview à Maurice Chevalier. Comme beaucoup d’autres à cette époque, Chevalier annonce ici le déclin du jazz, dont il se réjouit personnellement, et préfère plutôt parler de sa propre musique.
Jack Hylton and His Boys
Georges Henri Rivière (1897-1985) est un muséologue français, fondateur du Musée national des arts et traditions populaires et l’un des initiateurs du Musée de l’Homme de Paris. Henri Monnet (1896-1983) est un homme d’affaires et homme politique français passionné de musique. Pianiste et violoniste proche de Stravinski, il est le fondateur de l’Orchestre symphonique de Paris. Dans cet article sur Jack Hylton et sa formation, la description de la musique est nettement plus analytique et argumentée qu’à l’ordinaire. La volonté d’un didactisme éclairé est manifeste. On notera également une des premières apparitions du vocable « hot ». Jack Hylton joue avec sa formation pour la première fois à Paris au théâtre de l’Empire entre les 30 ou 31 décembre 1927 et 12 ou 13 janvier 1928. C’est probablement de l’une de ces prestations que les auteurs rendent compte ici. Le ton ici plus analytique et moins dithyrambique que dans la chronique de Gustave Fréjaville (1928).
Petites hypothèses – Et si le jazz était français ?
Ancien élève de l’École Normale Supérieure, Fortunat Strowksi (1866-1952) est un historien de la littérature et critique littéraire français solidement installé dans le paysage institutionnel français des Lettres lorsqu’il publie ce récit de voyage à New York, où le jazz joue les premiers rôles. Couronné par l’Académie française dès 1909 pour son Saint François de Sales (1898), il est depuis 1921 membre du jury du prestigieux prix littéraire La Renaissance. La thèse d’une origine française du jazz a été plusieurs fois défendue, notamment à travers l’hypothèse d’une étymologie du mot remontant au verbe « jaser ». Elle sera développée par André Cœuroy dans son Histoire générale du jazz publié en 1942.
Le Jazz et la Musique
Jean Wiéner est un défenseur infatigable du jazz. Lors du premier de ses « concerts-salade » organisé le 6 décembre 1921 à la Salle des Agriculteurs à Paris, il fait entendre l’orchestre du pianiste étatsunien (blanc) Billy Arnold pour ce qui est un des premiers, sinon le premier, concerts de jazz en France. Lui-même praticien, il s’exprime aussi à travers conférences (le plus souvent, comme c’est le cas ici, données en lever de rideau de concerts du duo de pianos qu’il forme avec Clément Doucet) et articles. Le texte qui suit est le premier de trois textes d’importance. Parmi les arguments clés qui parcourent l’ensemble, le plus saillant est que le jazz est indiscutablement pour l’auteur une nouveauté digne d’intérêt et ne doit donc en aucun cas être rejeté au nom d’un caractère supposé mineur d’une musique populaire. Plus généralement, Jean Wiéner lance un vibrant appel à un relativisme de la valeur qui sera au cœur du postmodernisme quelques cinq décennies plus tard : pas de « grande » ni de « petite » musique, que des musiques, toutes égales en dignité. Plus encore, le jazz se montre apte à contribuer à un renouvellement de la musique savante occidentale. Le texte présenté ici, publié dans la revue Conferencia 5, semble être la transcription d’une de ces conférences. Jean Wiéner y développe les thématiques qui lui sont chères : le jazz est la musique du cœur et non de la tête, des sensations plutôt que de l’intellect ; la musique de Debussy a d’abord constitué une nouveauté régénératrice mais qui s’est ensuite ossifiée dans ce qu’on a appelé l’impressionnisme, lequel s’est vu dépassé par Stravinsky et l’humour détachant de Satie ; enfin apparaît le jazz, l’ultime révélation, à laquelle le conférencier ne cesse d’attribuer toutes les vertus, et confie sa conviction qu’il est là pour durer (qu’il doive rester une musique de danse ou pas).
J’ai trois amies
Édouard Schneider (1880-1960) est un écrivain français. Écrit à Ravello en septembre 1928, cet article est assez singulier, pour deux raisons. La première est que peu de textes sont consacrés à des chanteurs alors associés au jazz, le jazz vocal n’étant pas encore un genre consacré, sauf peut-être à travers The Revelers, Layton et Johnstone, Roland Hayes, les Fisk Jubilee Singers et moins souvent les Comedian Harmonists (qui sont l’équivalent allemand des Revelers). La deuxième raison est qu’il s’agit de l’un des premiers textes francophones sur l’aura particulière que le disque donne à ses premières stars, une aura comparable peut-être à celle des premières étoiles du cinéma par rapport aux acteurs de théâtre.
Ted Lewis à Paris
Émile Vuillermoz (1878-1960) a mené conjointement des études juridiques, littéraires et musicales. Renonçant rapidement à ses ambitions de compositeur, il devient l’un des observateurs les plus attentifs de la vie musicale de son époque, et plus particulièrement de toutes les innovations stylistiques et technologiques susceptibles de faire évoluer la musique. À ses yeux, le jazz constitue bien plus qu’une simple mode, comme certains chroniqueurs de l’époque peuvent l’écrire. Attentif à une musique dont il pressent les bouleversements qu’elle porte en elle, il en propose dans le quotidien du matin L’Éclair (fondé en 1888) la première analyse sérieuse en 1919 (article repris dans Vuillermoz 1923). Pionnier de la critique cinématographique, Vuillermoz fut également l’un des initiateurs de la critique de jazz. Ted Lewis, de son vrai nom Theodore Friedman (1892-1971), chanteur, clarinettiste étatsunien, remporte un immense succès dans l’entre-deux-guerres, notamment par le disque. Il est en tout cas placé au firmament des meilleurs musiciens de jazz par la critique parisienne. Il ne semble pas s’être produit en France avant un passage aux Ambassadeurs de Max Sayag en 1928. C’est probablement cette prestation dont Vuillermoz rend compte dans cet article plus qu’élogieux.
Musique – Deuxième concert Wiéner et Doucet
Pendant l’entre-deux-guerres, Lucienne Jean-Darrouy (1898-1986) fut l’une des figures plus en vue de la vie algéroise. Journaliste et écrivaine, défenseure fervente de la cause féministe, elle collabora régulièrement aux pages culturelles de L’Écho d’Alger (1912-1961), quotidien classé à gauche alors possédé par le sénateur radical-socialiste Jacques Duroux (1878-1944). Le 5 novembre 1928, le duo Jean Wiéner et Clément Doucet donne un concert à l’opéra d’Alger (un autre aura lieu au théâtre municipal d’Oran). Le compte rendu qu’en donne Lucienne Jean-Darrouy tranche par rapport aux dithyrambes habituels sur cette formation, par ses questionnements sur les répertoires et la notion d’arrangement, le rythme et la phonographie.
Le Jazz et la musique d’aujourd’hui
Arthur Hoérée (1897-1986), auteur et compositeur belge, est un collaborateur régulier de La Revue musicale. À partir des années 1930, il est actif surtout dans la musique de film. En 1927, il livrait à La Revue musicale un long article simplement intitulé « Le Jazz » dans lequel il proposait une longue analyse technique, principalement à partir de partitions de fox-trots. André Schaeffner lui répondait dans le même organe (Schaeffner 1927), à quoi Hoérée produisait une contre-réponse qui constitue le présent texte. Ce texte ne s’éloigne pas significativement de celui de 1927 et en confirme les partis pris marquants : le cadre de la réflexion est résolument celui de l’écriture, de la composition, de l’orchestration, à l’aune desquels le jazz (du moins ce que l’auteur considère comme tel) est exclusivement scruté. Les musiciens de référence sont toujours les mêmes : Paul Whiteman, Jack Hylton, les Revelers, Wiéner et Doucet. Toujours point de Louis Armstrong ou de Duke Ellington à l’horizon, bien que leurs disques commencent à être disponibles en France.
1929
Critique des disques – Extraits choisis
Émile Vuillermoz (1878-1960) a mené conjointement des études juridiques, littéraires et musicales. Renonçant rapidement à ses ambitions de compositeur, il devient l’un des observateurs les plus fins de la vie musicale de son époque, et plus particulièrement de toutes les innovations stylistiques et technologiques susceptibles de faire évoluer la musique. À ses yeux, le jazz constitue bien plus qu’une simple mode, comme certains chroniqueurs de l’époque peuvent l’écrire. Attentif à une musique dont il pressent les bouleversements qu’elle porte en elle, il en propose, dès 1918, dans le quotidien L’Éclair, la première analyse sérieuse. Pionnier de la critique cinématographique, Vuillermoz a également été l’un des initiateurs de la critique de jazz. Comme Henry Prunières (1886-1942), il est lui aussi un grand soutien de la phonographie naissante. En 1923, il est l’un des critiques les plus en vue dans le monde musical français, et à partir de 1929, il délivre une chronique régulière pour L’Édition musicale vivante (dont il est le « directeur artistique »), et dont nous donnons ici quelques extraits significatifs de cette première année. On sait que les disques de jazz « hot », enregistrés dès 1917 (Original Dixieland Jazz Band, Kid Ory, King Oliver, Louis Armstrong, Fletcher Henderson, etc.) sont totalement absents du paysage français. Quelques-uns seulement commencent à arriver timidement à partir de 1927. C’est le cas d’enregistrements de Louis Armstrong, Duke Ellington, Carroll Dickerson, Earl Hines, Red Nichols, Bix Beiderbecke, Joe Venuti et quelques autres encore. En 1929, ces disques sont donc accessibles pour les amateurs. Pourtant, Émile Vuillermoz a encore le regard résolument tourné vers le jazz « straight », le jazz symphonique ou plus simplement la musique de danse. L’évaluation se porte essentiellement sur l’arrangement. Si les couleurs orchestrales sont plaisantes à ses oreilles, son jugement est le plus souvent positif. Tout au long de cette année 1929, on verra ce goût s’éteindre progressivement chez le critique. Ou est-ce une prise de conscience progressive mais non encore avouée que le jazz, en réalité, est ailleurs que dans ces disques de danse ?
À la Société de Géographie, Lucienne Jean-Darrouy nous entretient de la musique de jazz
Pendant l’entre-deux-guerres, Lucienne Jean-Darrouy (1898-1986) a été l’une des figures de la vie culturelle et mondaine algéroise. Journaliste et écrivaine, défenseure fervente de la cause féministe, elle collabore régulièrement aux pages culturelles de L’Écho d’Alger (1912-1961), quotidien classé à gauche alors possédé par le sénateur radical-socialiste Jacques Duroux (1878-1944). Si l’on trouve dans cet article les cadres de pensée racialiste et évolutionniste propres à l’époque ainsi que l’élection inévitable de Paul Whiteman en sommet de l’art jazzistique, on n’en relève pas moins des observations d’une certaine perspicacité, notamment sur la vocalité, le rythme, le blues et les origines du spiritual dans la liturgie protestante. La conclusion toutefois ne laisse planer aucun doute sur les hiérarchies en matière de musique.
Les œuvres et les hommes – Le double piano de Wiéner et Doucet. Les classiques du jazz et le jazz élevé au classique
Poète, romancier et critique d’art, fervent catholique, Maurice (Moïse de son vrai prénom) Brillant (1881- 1953) fut secrétaire de rédaction de la revue bimensuelle Le Correspondant. Fondée en 1829, cette revue d’obédience catholique, alors proche des milieux royalistes modérés, compte parmi les revues intellectuelles et artistiques les plus sérieuses. Le 25 juin 1929, sa chronique « Les œuvres et les hommes », vaste panorama de l’actualité artistique, est consacrée à la musique. Pour la seconde fois dans Le Correspondant et quatre ans après avoir répondu à l’enquête d’André Cœuroy (1891-1976) et André Schaeffner (1895-1980), Brillant y fait une place substantielle au jazz à travers un compte rendu élogieux d’un concert du duo Wiéner-Doucet qui jouit d’un succès similaire à celui rencontré de ses débuts au disque en 1925. La description de Brillant nous fournit de nombreux détails visuels sur ces concerts, mais aussi sur la manière dont les deux complices jouaient avec les attentes du public au moment du bis. Mais l’intérêt de ce texte de Brillant réside aussi dans sa description de l’originalité du jazz (au regard de la musique classique) qui, en insistant sur ses origines métissées et sur sa nouveauté rythmique et mélodique, reprend les positions développées par Arthur Hoérée (1897-1986) dans sa grande analyse du foxtrot. Brillant y ajoute une intéressante réflexion sur la notion de développement dans le jazz, qu’il distingue du développement classique hérité de la forme sonate et d’un modèle rhétorique. L’autre intérêt de la réflexion de Brillant concerne le statut « classique » du jazz : après dix ans de présence européenne, les éléments nouveaux de cette musique ont été appropriés par les musiciens classiques. En plus de cette reconnaissance, certains morceaux de jazz datés désormais de plusieurs années peuvent toujours être réécoutés avec plaisir et forment ainsi un répertoire, un canon, au même titre que celui de la musique de chambre, de la musique symphonique ou de la musique lyrique.
La Musique de Jazz
Stéphane Mougin (1909-1945) est un pianiste et violoniste de jazz français. Après des études de piano au Conservatoire d’où il sort avec un second prix (on dit qu’il n’eut pas le premier parce qu’on savait qu’il faisait du jazz et qu’on ne voulait pas donner un premier prix à un musicien de jazz), il joue avec le saxophoniste Roger Fisbach à Berlin en 1925, à peine âgé de seize ans. Il se rend ensuite à Paris pour rejoindre l’orchestre de Fred Mélé (1926) et travaille dans les clubs parisiens avec le trompettiste Philippe Brun et les saxophonistes Frank « Big Boy » Goudie et Danny Polo (1928). Par la suite il est membre régulier de l’orchestre Europa Ramblers dirigé par le trompettiste Jean Berson et dirige son propre groupe comprenant Stéphane Grappelli à l’Ermitage Moscovite de Paris (1929). Cette même année il enregistre avec Ray Ventura et ses Collégiens et avec les saxophonistes Serge Glykson et Spencer Clark. Au cours des années 1930, il joue avec Grégor et ses Grégoriens (qu’il a rejoint pour la saison d’hiver 1929-1930) au Paramount Théâtre de Paris (1932) et avec l’orchestre de Radio Paris dirigé par Léon Kartun (1934). Il quitte la France en 1934 pour les États-Unis comme membre de l’orchestre de Fred Waring et joue au Palladium de New York. Il décède à Hollywood en 1945.
À côté de la réception généraliste, une nouvelle réception, spécialisée, est en train de naître, qui va remplacer son homologue savante, en voie d’extinction progressive. La Revue du jazz, un premier organe, voit le jour en 1929, qui sera relayée ensuite par Music en Belgique et Jazz-tango en France, puis, plus tard, par Jazz hot (1935). La Revue du jazz est créée par Krikor Kelekian, plus connu sous le nom de Grégor comme directeur de son orchestre, les Grégoriens. Le premier numéro paraît en juillet avec pour sous-titre « tout ce qui concerne la musique de danse et le disque ». Les bureaux sont à Paris, Grégor porte le titre de rédacteur en chef et un autre musicien, René Cézard (tromboniste, saxophoniste et violoniste dans l’orchestre de Grégor), est « gérant-directeur ». C’est la particularité de la nouvelle revue, mensuelle : elle est entièrement le fait de musiciens de métier et se veut un organe de liaison professionnel, ce qu’annonce l’éditorial en page 1, intitulé « Notre programme » : « Nous manquions en France d’un périodique professionnel pouvant servir d’union entre les éditeurs, les chefs d’orchestre et les musiciens de danse. Les Américains ont le Métronome, les Anglais le Melody Maker, les Allemands Der Artist, nous avons à notre tour la Revue du Jazz. Les rubriques de notre magazine seront toutes confiées à des spécialistes au talent éprouvé. Un grand souci d’impartialité sera la base de toutes nos critiques. Servir la musique de danse sous toutes ses formes, tel est notre but. La confiance que vous nous témoignerez en diffusant la Revue du Jazz dans votre entourage sera pour nous, chers collègues, le plus parfait des stimulants et la première étape vers le succès définitif. Cette Revue vous appartient autant qu’à nous, puisque nos intérêts sont les vôtres. Lisez-nous ! Et faites-nous lire !!! Merci ». En cette aube d’une réception spécialisée, deux tendances qui finiront par se séparer sont encore réunies : un groupe de musiciens que l’on peut appeler de jazz hot ou « authentique » selon la classification sur le point d’être instituée par Robert Goffin et Hugues Panassié, et un autre qu’on qualifierait aujourd’hui de musique de variétés, gens de métier moins attachés à la spécificité et aux valeurs du jazz à proprement parler (notamment l’improvisation). En gros, deux discours leur correspondent : l’un plutôt technique, porté par le premier groupe, un autre plus corporatiste, par les seconds. Stéphane Mougin appartient sans aucun doute au premier. Il livre ici ce qui peut être vu comme un manifeste où l’on détecte plusieurs points de séparation par rapport au discours qui a dominé au cours de la décennie en cours d’achèvement. (1) Le jazz est associé aux États-Unis mais pas exclusivement aux Noirs. Les États-Unis sont le pays de l’origine (plus question d’Afrique) mais aussi du leadership, celui qui montre la voie. Cependant, une autre différence est plus décisive encore : (2) le jazz est toujours vu comme une musique qui a évolué à partir d’une origine primitive, mais cette fois dans un sens tout à fait différent, voire opposé, à la vision évolutionniste qui prévalait jusqu’alors, voyant dans Paul Whiteman et les musiciens blancs disposant d’un savoir musical dont ne jouissaient pas les Noirs des origines, apporter de la sophistication c’est-à-dire mettant en forme le produit certes éclatant de vitalité mais informe des débuts. L’évolution dont parle ici Mougin est celle d’un jazz qui s’est sophistiqué en restant dans la voie qu’il avait ouverte, en particulier celle de l’improvisation, par opposition à l’arrangement à la façon d’un Whiteman ou d’un Jack Hylton qui l’avait en fait dénaturé. Le chemin est ici inverse : parti d’une « simple musiquette pour bals populaires », il est devenu une musique fortement expressive, qui a su créer ses propres codes et usages et conserver son originalité. (3) Le destin du jazz n’est donc pas de se fondre dans la musique savante. Si l’auteur concède que l’une et l’autre peuvent s’influencer mutuellement, elles n’en restent pas moins fondamentalement distinctes. Trahir sa spécificité serait pour le jazz se « suicider ».
Chronique musicale – Le Jazz
Henry Malherbe (1886-1958) est un écrivain et critique musical français. Il a notamment produit une étude sur « la jeune musique française » en 1913 (Malherbe 1913) et obtenu en 1917 le Prix Goncourt pour La Flamme au poing (Malherbe 1917). L’auteur se livre dans ce texte à une récapitulation des thèses exposées sur le jazz durant la décennie sur le point de s’achever, en matière d’étymologie, d’histoire et de théories sur la nature du jazz, en se fondant sur les textes de Marion Bauer (1882-1955), Irving Schwerké (1893-1975), André Cœuroy (1981-1976) et André Schaeffner (1985-1980), notamment.
Black Birds
En 1929, Georges Bataille (1897-1962), Georges-Henri Rivière (1897-1985) et Carl Einstein (1885-1940) fondent la revue Documents, à la fois revue d’art, d’histoire de l’art et d’ethnographie. Créée en réaction aux excommunications du groupe surréaliste prononcées par André Breton, elle fédère un grand nombre d’intellectuels et d’artistes parmi lesquels Michel Leiris, André Schaeffner, Jacques Baron, Robert Desnos, André Masson et bien d’autres encore. Dans le no 4, daté septembre 1929, trois textes sont consacrés à la reprise de la revue Black Birds (Georges Bataille, Michel Leiris, André Schaeffner) et une « Chronique du jazz » est inaugurée, présentée par Georges Henri-Rivière et le pianiste Jacques Fray (Fray et Rivière 1929), ce qui marque un intérêt non démenti des animateurs de Documents pour le jazz. La revue Black Birds, dans laquelle s’était illustrée Florence Mills à Paris en 1926, est reprise en 1929 au Moulin Rouge. Georges Bataille en livre ici un commentaire aussi crépusculaire que lapidaire.
Les Lew Leslie’s Black Birds au Moulin Rouge
En 1929, Georges Bataille (1897-1962), Georges-Henri Rivière (1897-1985) et Carl Einstein (1885-1940) fondent la revue Documents, à la fois revue d’art, d’histoire de l’art et d’ethnographie. Créée en réaction aux excommunications du groupe surréaliste prononcées par André Breton, elle fédère un grand nombre d’intellectuels et d’artistes parmi lesquels Michel Leiris, André Schaeffner, Jacques Baron, Robert Desnos, André Masson et bien d’autres encore. Dans le no 4, daté septembre 1929, trois textes sont consacrés à la reprise de la revue Black Birds (Georges Bataille, Michel Leiris, André Schaeffner) et une « Chronique du jazz » est inaugurée, présentée par Georges Henri-Rivière et le pianiste Jacques Fray (Fray et Rivière 1929), ce qui marque un intérêt non démenti des animateurs de Documents pour le jazz. La revue Black Birds, dans laquelle s’était illustrée Florence Mills1 à Paris en 1926, est reprise en 1929 au Moulin Rouge. En cette fin de période, on voit qu’André Schaeffner, l’un des principaux soutiens du jazz parmi la société savante parisienne, auteur notamment de Le Jazz avec André Cœuroy, conserve le même enthousiasme quelque peu aveugle et inconditionnel envers le jazz, alors que le paysage, aussi bien musical que critique, est en profonde mutation et que la perception originelle du jazz tend à s’estomper pour ouvrir bientôt à un nouveau regard et de nouveaux acteurs.
Chronique du jazz
En 1929, Georges Bataille (1897-1962), Georges-Henri Rivière (1897-1985) et Carl Einstein (1885-1940) fondent la revue Documents, à la fois revue d’art, d’histoire de l’art et d’ethnographie. Créée en réaction aux excommunications du groupe surréaliste prononcées par André Breton, elle fédère un grand nombre d’intellectuels et d’artistes parmi lesquels Michel Leiris, André Schaeffner, Jacques Baron, Robert Desnos, André Masson et bien d’autres encore. Dans le no 4, daté septembre 1929, trois textes sont consacrés à la reprise de la revue Black Birds (Georges Bataille, Michel Leiris, André Schaeffner) et une « Chronique du jazz » est inaugurée, présentée par Georges Henri-Rivière et le pianiste Jacques Fray, ce qui marque un intérêt non démenti des animateurs de Documents pour le jazz. Le choix de Jacques Fray comme spécialiste du jazz a évidemment des conséquences sur la teneur de cette chronique. Alors que les disques de jazz hot de Louis Armstrong, Duke Ellington, Bix Beiderbecke et autres commencent à être disponibles et circuler en France, alors que Hugues Panassié et Robert Goffin commencent d’ourdir leurs armes pour condamner la confusion entre jazz et jazz straight, le membre d’un duo de piano fort semblable à celui de Jean Wiéner et Clément Doucet, emblématique d’une vision du jazz qui est en train de passer, continue à projeter une vision qui apparaîtra très rapidement comme périmée. De la même façon qu’Emile Vuillermoz dans l’Édition musicale vivante, ce sont toujours les disques de danse qui captent l’attention, avec l’incontournable référence que représente l’orchestre de Paul Whiteman, dont l’étoile de « Roi du jazz », va elle aussi pâlir aux yeux de nouvelles générations d’amateurs d’un jazz alternatif que Panassié va qualifier d’« authentique », qui n’est autre que le jazz hot des Armstrong, Ellington et Beiderbecke. La coloration prétendument technicienne donnée par touches
Potin – Un café, un sourire. 14, 16 Frs…
Cet article, qui relève de la chronique mondaine alors prisée des lecteurs de la presse quotidienne, propose une description d’un « café-boîte » (l’équivalent de ce que l’on appelait un « dancing » à Paris) de Damas. Prenant ses distances avec un lieu commun de la description de ces établissements et du jazz, qui les associe à la joie de vivre, l’auteur insiste sur la morosité ambiante et sur l’absence de spontanéité dans les relations entre hommes et femmes.
Jazz d’abord
Grégor est le nom de scène de Krikor Kelekian (1898-1971). Musicien français d’origine arménienne, il fonde en 1928 un orchestre de jazz, Grégor et ses Grégoriens, qui s’impose vite, avec celui de Ray Ventura et ses Collégiens, comme l’une des phalanges françaises les plus célèbres de la fin des années 1920 et de la décennie 1930.
À côté de la réception généraliste, une nouvelle réception, spécialisée, est en train de naître, venant remplacer son homologue savante qui, en cette fin de décennie, s’intéresse de moins en moins au jazz. La Revue du jazz, un premier organe, voit le jour en 1929. Elle sera relayée ensuite par Music en Belgique et Jazz-tango en France, puis, plus tard, par Jazz hot (1935). La Revue du jazz est créée par Grégor. Le premier numéro paraît en juillet avec pour sous-titre « tout ce qui concerne la musique de danse et le disque ». Les bureaux sont à Paris, Grégor porte le titre de rédacteur en chef et un autre musicien, René Cézard (tromboniste, saxophoniste et violoniste dans l’orchestre de Grégor), est « gérant-directeur ». C’est la particularité de la nouvelle revue, mensuelle : elle est entièrement le fait de musiciens de métier, et se veut un organe de liaison professionnel.
Cet article est très révélateur d’une transformation du monde du jazz français au tournant des décennies 1920 et 1930. Pendant qu’un groupe s’attelle à démontrer la spécificité du jazz (Robert Goffin, Hugues Panassié) et à créer des structures dédiées – le Hot-Club de France (1932), la revue Jazz hot (1935), le label Swing (1936) – , une autre tendance se tourne vers un professionnalisme moins regardant sur la nature de la musique, et bâtit ce qu’on appellerait aujourd’hui un monde de la musique de variétés. Si Charles Delaunay peut être considéré comme un des artisans majeurs du premier groupe, Grégor peut être vu comme un moteur au sein du second, notamment avec la création de La Revue du jazz. Le discours s’articule alors sur quelques thèmes que l’on retrouve ici : les conditions de travail, la qualité des musiciens français et la nécessité de les protéger contre le préjugé favorable accordé aux musiciens étatsuniens créant par là une concurrence déloyale. Le mot « jazz » est encore utilisé uniformément dans l’une et l’autre des sphères, mais les réalités qu’il recouvre sont de plus en plus différentes.
Nos grands arrangeurs – Lucien Moraweck
La Revue du jazz est créée par Krikor Kelekian, plus connu sous le nom de Grégor comme directeur de son orchestre, les Grégoriens. Le premier numéro de la revue paraît en juillet avec pour sous-titre « tout ce qui concerne la musique de danse et le disque ». Les bureaux sont à Paris, Grégor porte le titre de rédacteur en chef et un autre musicien, René Cézard (tromboniste, saxophoniste et violoniste dans l’orchestre de Grégor), est « gérant-directeur ». C’est la particularité de la nouvelle revue mensuelle : elle est entièrement le fait de musiciens de métier et se donne pour un organe de liaison professionnel, ce qu’annonce l’éditorial en page 1, intitulé « Notre programme » : « Nous manquions en France d’un périodique professionnel pouvant servir d’union entre les éditeurs, les chefs d’orchestre et les musiciens de danse. Les Américains ont le Métronome, les Anglais le Melody Maker, les Allemands Der Artist, nous avons à notre tour la Revue du Jazz. Les rubriques de notre magazine seront toutes confiées à des spécialistes au talent éprouvé. Un grand souci d’impartialité sera la base de toutes nos critiques. Servir la musique de danse sous toutes ses formes, tel est notre but. La confiance que vous nous témoignerez en diffusant la Revue du Jazz dans votre entourage sera pour nous, chers collègues, le plus parfait des stimulants et la première étape vers le succès définitif. Cette Revue vous appartient autant qu’à nous, puisque nos intérêts sont les vôtres. Lisez-nous ! Et faites-nous lire !!! Merci ». En cette aube d’une réception spécialisée, deux tendances qui finiront par se séparer sont encore réunies : un groupe de musiciens que l’on peut appeler de jazz hot ou « authentique », selon la classification sur le point d’être instituée par Robert Goffin et Hugues Panassié, et un autre qu’on qualifierait aujourd’hui de musique de variétés, gens de métier moins attachés à la spécificité et aux valeurs du jazz à proprement parler (notamment l’improvisation). Deux discours leur correspondent grosso modo : l’un plutôt technique, porté par le premier groupe, un autre plus corporatiste, par les seconds.
Cet « Alcibiade », pseudonyme évident, probablement adopté par un musicien, fait ici l’éloge d’un arrangeur, dans la veine des louanges usuellement adressées aux orchestres du jazz symphonique qui ont « arrangé » le jazz supposé originel de la meilleure ou de la pire des manières pour le rendre présentable. Ce qui est notable ici est une proclamation de compétence pour les musiciens français, que l’on verra indéfiniment renouvelée de la part de ces mêmes musiciens, et où l’on peut voir une revendication protectionniste et en tout état de cause corporatiste.
Le Jardin du poète – Jazz
Lucien Parizeau (1910-1993) était un journaliste et éditeur québécois. Il publie à l’âge de dix-neuf ans ce poème qui reprend les images couramment associées au jazz à cette époque : vitesse, vitalité, stridence et africanité exotique.
[La musique nègre. Introduction]
Stephen-Charles Chauvet, dit Stephen Chauvet (1885-1950) est un médecin passionné d’arts traditionnels africains et océaniens dont il devient un collectionneur avisé. Il est l’auteur de plusieurs centaines d’articles de médecine et également de plusieurs livres reflétant un très grand éclectisme (voir un échantillon dans la bibliographie). Ce texte est le court chapitre introductif d’un essai consacré entièrement aux musiques d’Afrique, comprenant notamment cent dix-huit transcriptions par divers auteurs (dont André Gide, Charles Joyeux et Carl Samuels Myers). À la lecture de la table des matières et de sa bibliographie, on est frappé par la culture ethnographique et, si l’on ne craignait un anachronisme, ethnomusicologique, d’un auteur dont ce n’est pas la profession. Le docteur Chauvet connaît en effet l’essentiel de la bibliographie spécialisée disponible à son époque (on ne citera que Erich von Hornbostel, Curt Sachs et Carl Stumpf). La démarche générale et le texte présenté ici sont particulièrement intéressants, se situant en complète opposition à la démarche d’André Schaeffner et d’André Cœuroy dans leur livre fondateur Le Jazz (qui n’est d’ailleurs pas cité et peut-être inconnu du docteur Chauvet ; on ne pourra que supputer une possible allusion dans le deuxième paragraphe). En effet, là où Schaeffner et Cœuroy (mais surtout le premier) cherchent à raccorder ce qu’ils considèrent comme du jazz à des origines africaines, au prix de contorsions paraissant aujourd’hui très problématiques, Stephen Chauvet s’emploie à montrer que, tout au contraire, la nouvelle musique ne révèle aucun lien avec les musiques traditionnelles africaines, ce sur quoi on est tenté aujourd’hui de lui donner raison. En effet, le racialisme dominant de l’époque tend à retenir la couleur de peau sans s’occuper des diverses cultures. Dans cette vision, les Africains, les Afro-Américains, les Antillais, les descendants d’esclaves brésiliens sont tous indistinctement des Noirs. Le jazz est donc perçu majoritairement comme une musique « nègre » sans voir le plus souvent qu’elle est d’origine nord-américaine et seulement secondairement africaine du fait de l’origine des esclaves déportés, ancêtres des musiciens afro-américains qui ont créé cette musique plus de trente ans après la déclaration d’émancipation et plus encore après la déportation des derniers esclaves nés sur le sol africain. L’ouvrage, dont l’extrait présenté ici se concentre sur la musique des « nègres d’Afrique » (l’auteur mentionne aussi, à la page 3, les « nègres d’Océanie » en Nouvelle-Guinée et îles de l’Amirauté) se veut une tentative de « synthèse provisoire des documents éparpillés, par bribes, de-ci, de-là, afin d’en éviter la disparition » (p. 11). On est également frappé par le caractère visionnaire de certaines intuitions exprimées ici. L’auteur montre sa conscience du problème que rencontreront les ethnomusicologues dans la transcription de musiques répondant à des systèmes musicaux différents de celui pour lequel a été élaboré le système de notation de la musique européenne. Ce qui l’amène tout naturellement à considérer que le meilleur outil, pour la description aussi bien que pour la conservation est la phonographie. Enfin, et surtout, le docteur Chauvet valorise la musique des natifs, victimes d’un « mépris ridicule et profondément injuste », jugée primitive par l’immense majorité des observateurs, et la met en parallèle avec « l’influence, dissolvante, de la civilisation, frelatée que les Européens introduisent ». Il ne s’agit rien de moins qu’une dénonciation du colonialisme qui ne dit pas son nom.