Le jazz dans la presse francophone : une édition en ligne annotée et commentée
textes réunis et annotés par Laurent Cugny et Martin Guerpin, avec la collaboration éditoriale d’Alessandro Garino
Le projet Le Jazz dans la presse francophone est le fruit de près de 10 années de recherches menées par Martin Guerpin et Laurent Cugny sur l’histoire du jazz dans la France de l’entre-deux-guerres. Elle propose une édition critique de textes francophones sur le jazz publiés à partir de 1918 (date de publication du premier article francophone connu sur le jazz) jusqu’en 1929. Son objectif est triple :
Réunir des textes parfois difficiles d’accès, souvent méconnus des mélomanes, des musiciens et des chercheurs, et dispersés dans diverses publications, bibliothèques ou fonds d’archives, afin de proposer un volume cohérent susceptible d’être utilisé par les chercheurs, les enseignants et les étudiants chez qui l’histoire du jazz (en général et dans l’espace francophone en particulier) suscite un intérêt croissant.
Ne pas se limiter à la France et son Empire colonial, mais envisager l’espace francophone dans son ensemble : la Belgique, la Suisse et le Québec, notamment. Cet élargissement permettra de dépasser une historiographie du jazz encore dominée par les perspectives nationales, et d’étudier les circulations de textes et de savoirs propres à l’espace francophone.
Enrichir les textes pour en faciliter la lecture. Chacun des textes est ainsi doté d’un appareil critique composé d’un chapeau introductif présentant l’auteur.e et le contexte de publication, et d’un appareil de notes des éditeurs. Afin de ne pas influencer la lecture des textes mais seulement de l’informer, ces notes se limitent à des éléments factuels. Elles renseigneront les lecteurs sur les personnes nommées dans chaque texte, les morceaux cités, ou encore les termes techniques employés. L’usage récurrent de mots tels que « nègre » peut choquer les sensibilités contemporaines, mais on comprendra qu’il est indispensable, dans un travail anthologique de ce type, de retranscrire exactement les textes concernés. Aux lecteurs et aux lectrices de replacer les termes utilisés dans le contexte de l’époque à laquelle ils ont été utilisés.
Cette édition annotée et commentée se compose de deux éléments :
Un volume Écrits francophones sur le jazz (presse, essais, roman, théâtre, poésie). Une anthologie annotée et commentée (1918-1929), préparé par Martin Guerpin et Laurent Cugny, et qui paraîtra chez Vrin. Il réunit une soixantaine de textes jugés les plus représentatifs, accompagnés de plusieurs essais signés des auteurs, qui analysent le corpus global et en proposent plusieurs interprétations.
La présente édition en ligne annotée et commentée. Elle complète l’anthologie papier par de nombreux autres textes.
Dès 1918, le jazz trouve sa place en première page du Journal, l’un des quatre quotidiens français les plus lus avec Le Petit Parisien, Le Matin et Le Petit Journal. L’auteur de cet article, l’un des premiers en français sur le jazz, est l’écrivain et chroniqueur franco-belge Clément-Henri Vautel (1876-1854) qui, après avoir collaboré à des journaux satiriques tels que Le Charivari ou Le Rire, devient entre 1918 et 1940 l’un des piliers du Journal. Comme dans la plupart des articles parus en 1918, le jazz y est associé avec les avant-gardes artistiques et avec le bruit de la Première Guerre mondiale qui vient à peine de se taire.
En 1918, le directeur de l’Opéra de Paris, Jacques Rouché, propose à Colette de Jouvenel de travailler en collaboration avec Maurice Ravel à l’élaboration d’une pièce musicale à partir d’un de ses poèmes, Divertissement pour ma fille. Les deux protagonistes accueillent favorablement la proposition mais Ravel, de son propre aveu, n’est pas très assidu. L’œuvre verra finalement le jour, mais seulement en
1925, sous le titre L’Enfant et les sortilèges. En 1919, Ravel adresse une lettre à Colette qui y répond immédiatement. La correspondance montre que l’idée d’inclure un ragtime dans l’œuvre ressort plutôt de la trouvaille que d’une idée mûrement réfléchie. La légèreté du ton et un certain amusement provocateur laissent entrevoir à ce moment un rapport distant à des musiques qui peuvent servir à l’occasion – et vraisemblablement au mieux – d’appoint. Mais il faut dire que cette date de 1919 nous place très tôt dans le processus d’assimilation du jazz en France. Cet échange apparaît alors comme un indice de la progression de ce processus, confirmant le statut du jazz comme nouveauté potentiellement féconde pour un renouvellement de l’inspiration en matière de musique savante.
Robert de Traz (1884-1951) est un romancier et essayiste suisse. Dans ses premières œuvres, publiées avant la Première Guerre mondiale, il s’intéresse aux vertus militaires et à la vie quotidienne des soldats. Devenu pacifiste après avoir été confronté aux combats, il fonde en 1920 La Revue de Genève, dont la vocation internationale, explicitement démarquée de l’internationalisme communiste, se veut proche de l’esprit de Genève et de la Société des Nations. Dans cet article, publié alors que l’armée étatsunienne est encore présente en Europe, de Traz en décrit avec admiration la discipline, l’efficacité, mais aussi la bonne humeur. Autant de qualité qui reflètent de la « foi dans l’homme », « l’amour de la vie » et le « souci pratique de la race […] de l’Américain » (p. 1). Après avoir évoqué le rôle des pratiques sportives et de la Croix Rouge, Robert de Traz évoque celui de la Youth Men’s Christian Association (YMCA) dans le maintien du moral des troupes américaines. Cette organisation fondée à Londres en 1844 connaît un développement rapide dans de nombreux pays. En 1917, elle accompagna le contingent étatsunien débarqué en France pour contribuer aux soins des blessés de guerre et au maintien du moral des troupes, en organisant notamment des spectacles. À ce titre, la YMCA fut l’un des premiers acteurs
de la diffusion du jazz sur le territoire français.
Identifié dès 1918 comme un phénomène de société, le jazz-band attire l’attention des plus grands quotidiens français. Après avoir fait la une du Journal en 1918, il trouve sa place en première page d’un autre grand quotidien français des années 1900, 1910 et 1920 : Le Matin (les deux autres sont Le Petit Parisien et Le Petit journal). Tirant comme eux à plus d’un million d’exemplaires, Le Matin soutient en 1919 les positions nationalistes et conservatrices du Président de la République Raymond Poincaré. Cette orientation politique explique peut-être la teneur de cet article où l’auteur refuse au jazz le statut de musique et retrace ses origines avec une ironie mordante.
Créé à la Chaux-de-Fonds en 1882, L’Impartial fait partie en 1919 des quotidiens les plus lus dans le canton de Neuchâtel. Dans cet article, l’un des premiers consacrés au jazz dans la presse généraliste suisse, l’auteur cite un article français publié dix-sept jours auparavant dans Le Matin, Il y prolonge la discussion engagée par cet article sur les origines du jazz-band. En plus d’illustrer l’attention qu’apportent les journaux suisses à leurs confrères français, cet article montre que, dès 1919, la circulation des savoirs sur le jazz ne se limite pas à des transferts univoques des États-Unis vers l’un ou l’autre des pays de l’espace francophone. Il existe en effet des circulations internes à cet espace
Fondé en 1848 et publié jusqu’en 1933, le Journal amusant (intitulé Journal pour rire jusqu’en 1856) fait partie des grands titres de la presse satirique française, avec Le Charivari (1832-1837) et La Caricature (1830-1843). Dans ces trois journaux, fondés par le dessinateur et journaliste Charles Philippon (1800-1862), la caricature tient une place aussi importante que les textes, souvent anonymes. La « Fête nègre » organisée à la Comédie des Champs Élysées par Paul Guillaume le 10 juin 1919, en clôture de son exposition « L’Art nègre » (Galerie Devambez, 10-31 mai 1919), fournissait aux auteurs du journal un sujet de choix. La présence de hautes figures de la politique française dans une manifestation placée sous le signe du primitivisme est en effet une situation à fort potentiel burlesque ! Pour l’exploiter, l’article associe la musique des jazz-bands avec une folie collective, perçue comme une séquelle de la Première Guerre mondiale. De ce point de vue, la description à l’eau-forte proposée par le Journal amusant est parfaitement représentative de la première réception du jazz en France (entre 1918 et 1923), une réception influencée par de nombreux stéréotypes racistes. Elle contribue également à créer l’association entre le jazz et l’« art nègre », et donc entre modernité et primitivisme.
Fondée en 1915 par le journaliste Georges Schmitt et le publiciste Bernard de Puybelle et publiée jusqu’en 1934, La Rampe propose chaque semaine une revue des spectacles donnés dans les théâtres, les music-halls, les salles de concerts et les cinémas. Elle contient également des billets d’humeur traitant des sujets au goût du jour dans le monde artistique français. En 1919, le jazz en est un. Alors que plusieurs textes publiés la même année l’associent avec la folie du carnaval (Anonyme 1919a ; 1919b), de la guerre (Vautel 1918) ou – pour ses détracteurs – de l’avant-garde cubiste (Anonyme 1919c), l’auteur de cet article compare le jazz découvert par les Français l’année précédente avec une bouffonnerie musicale de Louis-Auguste-Florimond Ronger dit Hervé (1825-1892), considéré comme l’inventeur de l’opérette. Ici encore, le choc suscité par la nouveauté sonore des jazz-band pousse le commentateur à le rapprocher de référents associés à la déraison.
Dès 1920, le jazz est connu et débattu jusque dans les régions rurales du Québec, celle de Trois-Rivières en l’occurrence (la Mauricie), où est publié Le Bien public. Dans ce journal conservateur et clérical, fondé en 1909, un éditorialiste sous pseudonyme condamne violemment la vogue du jazz au Québec. L’imprécation prend ici un tour religieux : la nouvelle musique est présentée comme un sacrilège pour l’art, mais aussi comme une chute pour une humanité tombée en décadence sous les coups d’une « américanisation » dénoncée avec virulence. Autre fait notable, l’article souligne la filiation établie dès 1920 entre le ragtime et le jazz.
Compositeur, chef d’orchestre, critique musical et écrivain suisse, Gustave Doret (1866-1943) a étudié à l’École supérieure de musique de Berlin et au Conservatoire de Paris. De 1910 à 1914, il travaille pour le journal libéral Berliner Tagelblatt en tant que correspondant à Paris. Devenu familier de la vie musicale française, il continue de la suivre après la Première Guerre mondiale, alors même qu’il devient professeur au Conservatoire de Genève et rédacteur de la chronique musicale de La Gazette de Lausanne, quotidien libéral du canton de Vaud. Dans cet article, Doret évoque le difficile retour à la normale du monde musical parisien, et surtout des concerts classiques. Selon lui, le renouveau musical français est menacé par le retour en vogue des « grosses sonorités » du wagnérisme d’avant-guerre, et surtout par celle, nouvelle, des jazz-bands. Comme très souvent entre 1919 et le début des années 1920, ceux-ci sont renvoyés au primitivisme, à l’hystérie, et à la décadence du goût contemporain.
Dans cet article l’auteur se moque de l’engouement éprouvé par les Européens pour le jazz, au travers d’un renversement de point de vue et d’une micro-fiction d’anticipation. L’Afrique prend la place de l’Europe et le narrateur, professeur que l’on imagine malien puisqu’il enseigne à « Timbouctou », s’étonne de ce qu’une Europe arriérée et à coloniser pour être civilisée puisse s’enthousiasmer pour le jazz. On retrouvera ce renversement associé au genre de l’anticipation, dans une perspective de valorisation cette fois, dans le film Sur un air de charleston de Jean Renoir (1926). Le renversement de point de vue entre Européennes et Africains est également à l’œuvre dans la fantaisie opérette Olive chez les Nègres de Jean Wiéner (1926).
Georges Auric (1899-1983) fait partie des premiers compositeurs français à s’être intéressés au jazz. Son intérêt pour cette musique est indissociable de son admiration pour Erik Satie, mais aussi de l’amitié artistique et personnelle qui le lie à Francis Poulenc (1899-1963) et Darius Milhaud (1892-1974). Auric fait ainsi partie de ces jeunes artistes qui, faisant leurs débuts dans le monde musical français au lendemain de la Première Guerre mondiale, se démarquent de leurs prédécesseurs et tentent de renouveler la musique française, sous l’égide de Jean Cocteau (1889-1963) et de son manifeste, Le Coq et l’Arlequin (1918). Comme le poète, dont il partage alors la plupart des positions, Auric estime que la musique française, dominée par les figures de Claude Debussy (1862-1918), Maurice Ravel (1875-1937) et Richard Wagner (1813-1883), doit être renouvelée. Dans cette perspective, les premiers jazz-bands et leur répertoire lui apparaissent comme une source d’inspiration majeure. En 1920, cet intérêt pour le jazz rapproche Auric, Milhaud et Cocteau des milieux dadaïstes. Le rapprochement est même tout à fait concret : le 20 décembre 1920, Poulenc, Cocteau et Auric assistent au vernissage d’une exposition de Francis Picabia (1879-1953), au cours de laquelle ils forment un fantaisiste « Jazz-band de Paris ». Fondé par Cocteau en 1920, le journal Le Coq témoigne également de l’influence dadaïste : le ton des numéros est volontiers provocateur, les textes y voisinent de percutants aphorismes, disposés en tous sens
(horizontal, vertical) et publiés dans plusieurs polices de caractère de taille différente. Profession de foi artistique, cet article d’Auric peut donc être considérée comme celui d’un disciple de Cocteau, et comme un décalque du Coq et l’Arlequin. Le jeune compositeur en reprend d’ailleurs le style aphoristique, s’appuyant sur des phrases brèves et percutantes.
Le 19 juin, Comœdia organise une « protestation officielle contre la vie chère » ciblant particulièrement le prix des vêtements. Cette protestation prend la forme d’une « journée des salopettes » pendant laquelle « artistes dramatiques, auteurs, peintres, musiciens, chansonniers, sportsmen, étudiants et humoristes », ainsi que tout ce que Paris compte de « célébrités mondaines » sont invités, lors des déjeuners et des dîners en ville puis aux spectacles du soir, à porter une salopette pour les hommes, une jupe de toile et une veste bleue pour les femmes. Annoncée à partir du 2 juin, cet événement placé sous le signe de l’humour s’achève sur une soirée à l’Olympia que les organisateurs intitulent « Salopette-redoute » (une redoute est un bal masqué), précédée de plusieurs attractions : une pêche miraculeuse, un championnat de mât de Cocagne, une bataille de serpentins et de confettis. De minuit à une heure du matin, le bal est animé par le « Famous Miami Four Entertainers » et le jazz-band féminin de Blanche Toutain. Cet événement mondain (y participent notamment Tristan Tzara et Francis Picabia, principaux animateurs du groupe dadaïste de Paris, les chansonniers Fursy Saint Granier et Georgius, qui interprète sa chanson « Il a mis sa salopette », Léon Volterra, directeur du Casino de Paris, Léo Statts, maître de ballet de l’Opéra, l’actrice et courtisane Émilienne d’Alençon) est également ponctué par un concours de jazz-band au cours duquel les participants sont invités à faire preuve de la plus grande fantaisie. Cette fête, organisée au profit de l’Association des artistes dramatiques, témoigne de l’idée que se font du jazz l’élite mondaine et artistique de Paris : une musique carnavalesque.
L’auteur de l’article est peut-être Thomas Auguste Esparbès, dit aussi Georges d’Esparbès (1863-1944), écrivain français, principalement de littérature militaire. Il rend compte ici du vernissage d’une exposition de Francis Picabia (1879-1953) dans le plus pur esprit Dada, où se produisit notamment un « jazz band » dirigé par Jean Cocteau, que Georges Auric évoquera dans ses mémoires sous le nom de « Jazz parisien ».
Francis Durand (1880-1959), dit Francis de Miomandre, est un écrivain français à la production très abondante (romans, nouvelles, essais, poèmes, chroniques en tout genre). Il reçoit le Prix Goncourt en 1908 pour son roman Écrit sur de l’eau... Le texte présenté ici suit une introduction où l’auteur égratigne les « personnes moroses » reprochant à leur époque de donner trop de place aux amusements. Miomandre leur répond malicieusement qu’au contraire, on ne sait plus s’amuser. L’article, précieux témoignage sur la présence des jazz-bands dans les salons privés, déplore avec humour que tout amusement se réduise désormais à la danse au son des jazz-bands. L’extrait précède une évocation de « fêtes d’autrefois » susceptibles de donner lieu à d’autres formes de réjouissances.
Dans cet article où pointe une ironie mordante caractéristique des premiers textes francophones dénonçant la vogue du jazz, l’auteur fait de cette musique une mode aussi puissante que passagère, à laquelle cèdent, l’une après l’autre, des élites politiques, économiques et culturelles de chaque pays toutes enclines au snobisme. En plus de souligner que le jazz fut avant tout une musique de danse, cet article inaugure une longue série de textes qui, dès le début des années 1910, prédisent le déclin ou la disparition du jazz. En l’espèce, la critique de la « dansomanie » peut être comprise à la lumière des positions du Nationaliste, organe (entre 1904 et 1910) de la Ligue nationaliste canadienne fondée par Henry Bourassa. Le journal promouvait en effet une indépendance politique, économique et culturelle du Canada envers la Grande-Bretagne et les États-Unis.
En mai 1921, Pierre Bertin monte un spectacle d’avant-garde dont le programme comprenait plusieurs actes, respectivement de Max Jacob, Raymond Radiguet (avec une musique de Georges Auric), Cocteau et Satie, ainsi que Caramel mou, une œuvre de Darius Milhaud composée en avril 1921, avant son voyage aux États-Unis. Milhaud indique dans son autobiographie Ma vie heureuse : « Le Noir Gratton dansa un shimmy de moi Caramel mou (pour lequel Cocteau avait écrit quelques paroles [...]) » (Milhaud 1973, p. 100). Ces paroles témoignent de l’intérêt plusieurs fois manifesté par Cocteau pour le dadaïsme à la fin des années 1910 et au début des années 1920 mais aussi le lien qu’il fait entre la musique des jazz-bands et le mouvement fondé par Tristan Tzara. Le 7 avril 1919, dans une « Carte blanche » publiée dans Paris-Midi, cette association est clairement explicitée : « Tristan Tzara va venir publier à Paris deux numéros de la revue Dada qu’il dirige en Suisse et qui fait scandale. J’y trouve simplement l’atmosphère excitante de l’entracte au Casino de Paris où une foule cosmopolite se pressait pour entendre le jazz-band. Si on accepte le jazz-band (dont l’ancêtre est notre brave homme-orchestre), il faut accueillir aussi une littérature que l’esprit goûte comme un cocktail » (Cocteau 1919, p. 3).
Fondé en 1901, et publié à Montréal, Le Pays est un journal hebdomadaire caractérisé par un engagement politique clairement affirmé contre l’emprise temporelle de l’Église catholique et contre la politique du Parti Libéral, qui régit la politique québécoise de manière ininterrompue entre 1897 et 1936. Cet article contient l’une des premières évocations connues du personnage de Jasbo Brown et de son rôle dans la généalogie du mot jazz.
Les œuvres et les hommes – Un orchestre nègre à Paris
Poète, romancier et critique d’art, fervent catholique, Maurice (Moïse de son vrai prénom) Brillant (1881-1953) fut secrétaire de rédaction de la revue bimensuelle Le Correspondant. Fondée en 1829, cette revue d’obédience catholique, alors proche des milieux royalistes modérés, compte parmi les revues intellectuelles et artistiques les plus sérieuses. Que Brillant lui accorde une place dans sa chronique « Les œuvres et les hommes », consacrée à l’actualité des expositions, au théâtre et aux concerts, montre qu’au début des années 1920, l’intérêt suscité par le jazz ne se limite pas aux seuls milieux avant-gardistes. Ce compte rendu porte sur l’un des événements majeurs de l’année 1921 dans la vie musicale parisienne : la série de concerts donnés entre le 7 et le 19 mai 1921 au Théâtre des Champs-Élysées par le Southern Syncopated Orchestra, formation issue de celle qui 2 ans plus tôt, à Londres, avait attiré l’attention d’Ernest Ansermet.
En 1921, Jean Saucier (1899-1968) n’est pas encore l’éminent neuropsychiatre qui contribua à la réputation de la Faculté de médecine de Montréal et intégra le Collège royal des médecins du Canada. Doctorant en médecine, il est également mélomane et pratique lui-même le violon. Ardent défenseur de la tradition musicale classique, le futur fondateur (en 1948) de la Société Pro Musica fait également partie des plus virulents contempteurs du jazz. Publié contre ce dernier dans La Canadienne, un journal féminin dont le but affiché par ses fondateurs est d’« instruire, d’amuser et de servir la famille », le réquisitoire de Saucier contre le jazz rassemble toutes les facettes de la rhétorique anti-jazz du début des années 1920 : exclusion du domaine de la musique ; flatterie des bas instincts du corps et de l’esprit ; association à l’humanité primitive. Ce texte, dont le style trahit parfois la culture médicale de Saucier, fait également apparaître une opposition souvent formulée en les années 1920, entre deux types de musiques populaires : les chansons traditionnelles rurales, censées incarner l’identité et la mentalité d’un peuple, et le jazz, incarnation d’un goût international et perçu pour cette raison comme une menace pour les premières.
Albert Jeanneret est un violoniste et compositeur suisse, frère de l’architecte Le Corbusier. À partir de 1919, il enseigne à la Schola Cantorum à Paris avant de fonder sa propre école, l’École française de rythmique et d’éducation corporelle. Il s’est particulièrement intéressé au travail musical avec les enfants. L’Esprit nouveau est une revue dirigée par Le Corbusier et Amédée Ozenfant, qui représente le mouvement puriste en France. Très ouverte sur l’avant-garde artistique, elle inclut un suivi systématique du music-hall, lequel dispose d’une rubrique. Dès 1920, Jeanneret place le rythme au centre de ses préoccupations, au point de lui consacrer un long essai (Jeanneret 1920a ; 1920b) axé sur les travaux sur la rythmique menés par Émile Jaques-Dalcroze.
Le 6 décembre 1921, Jean Wiéner organise à la Salle des Agriculteurs, 8 rue d’Athènes à Paris, le premier de ses « concerts-salade » dont le propos est de présenter au même programme des musiques savantes et populaires. Lors de cette manifestation inaugurale, on entend « l’orchestre américain de Billy Arnold, des fragments du Sacre du printemps joué sur un Pleyela (piano mécanique conçu par la maison Pleyel) et la Sonate pour piano et instruments à vent de Darius Milhaud avec le compositeur au piano » (voir Cugny 2014, p. 339). Ce premier concert donne lieu à plusieurs commentaires parmi lesquels celui d’Albert Jeanneret, violoniste et compositeur suisse, frère de l’architecte Le Corbusier. À partir de 1919, Jeanneret enseigne à la Schola Cantorum à Paris avant de fonder sa propre école, l’École française de rythmique et d’éducation corporelle. Il s’est particulièrement intéressé au travail musical avec les enfants. Dès 1920, Jeanneret place le rythme au centre de ses préoccupations, au point de lui consacrer un long essai (Jeanneret 1920a ; 1920b) axé sur les travaux sur la rythmique menés par Émile Jaques- Dalcroze. L’Esprit nouveau est une revue dirigée par Le Corbusier et Amédée Ozenfant, qui représente le mouvement puriste en France. Très ouverte sur l’avant-garde artistique, elle inclut un suivi systématique du music-hall, lequel dispose d’une rubrique. Le présent article est le deuxième d’Albert Jeanneret dans L’Esprit nouveau.
En 1921, Paul Maran (1887-1960), écrivain d’origine guyanaise né en Martinique, se voit attribuer le Prix Goncourt pour son roman Batouala, sous-titré « Véritable roman nègre ». C’est la première fois qu’un auteur noir est récompensé. De nombreuses réactions hostiles se manifestent, dont celle de l’écrivain français Paul Gaultier (1872-1960). Secrétaire général de l’Union française (« Association nationale pour l’expansion morale et matérielle de la France ») en 1916, il devient directeur de la Revue politique et littéraire en 1919, une publication fort sérieuse, aussi connue sous le nom de Revue bleue. Le racisme le plus décomplexé s’étale dans ces lignes qui, si elles portent sur un roman, ne manquent pas d’associer la musique noire dans le même opprobre.
Au début des années 1920, Francis Picabia fait partie des principaux animateurs de la nébuleuse dadaïste parisienne. Il compte également parmi les premiers artistes à s’intéresser au jazz. Le 10 décembre 1920, lors du vernissage d’une exposition de ses œuvres à la Galerie La Cible, il invite un « jazz-band » dirigé par Jean Cocteau, que Georges Auric évoquera dans ses mémoires sous le nom de « Jazz parisien ». Au-delà de cette anecdote, l’intérêt d’un artiste dadaïste comme Francis Picabia pour le jazz vient du fait qu’il y perçoit une remise en cause des règles et des présupposés esthétiques sur lesquels reposait jusqu’alors la musique. Au même moment, Dada cherche à s’émanciper de l’Art avec son A majuscule et remet en cause les conventions régissant la hiérarchie des genres artistiques, la définition du Beau et même les frontières entre le domaine de l’art et celui de la vie quotidienne. Pour Picabia, le jazz doit inciter les compositeurs à entreprendre une démarche comparable à celle des poètes et peintres Dada : une « reconstruction totale de tous les systèmes ». Dans l’histoire de la musique toute personnelle que Picabia esquisse à grands traits dans la deuxième partie de cet article, les compositeurs susceptibles d’opérer cette reconstruction ne sont autres que ceux du Groupe des Six et de celui qui fut considéré comme leur aîné : Erik Satie (1866-1925). Picabia profite toutefois de l’exposition importante de son article publié dans le journal le plus lu dans le monde artistique français – Comoedia – pour adresser une pique à Jean Coteau (1889-1963) : le principal promoteur du Groupe empêcherait ses membres
Émile Vuillermoz (1878-1960) a mené conjointement des études juridiques, littéraires et musicales. Renonçant rapidement à ses ambitions de compositeur, il devient l’un des observateurs les plus attentifs de la vie musicale de son époque, et plus particulièrement de toutes les innovations stylistiques et technologiques susceptibles de faire évoluer la musique. À ses yeux, le jazz constitue bien plus qu’une simple mode, comme certains chroniqueurs de l’époque peuvent l’écrire. Pionnier de la critique cinématographique, Vuillermoz est également l’un des initiateurs de la critique de jazz. Attentif à une musique dont il pressent les bouleversements qu’elle porte en elle, il en propose, dès 1918, dans le quotidien L’Éclair, la première analyse sérieuse (Vuillermoz 1923). Figure éminente du Paris musical de l’époque, collaborateur à la Revue musicale, L’Édition musicale vivante et autres publications, profite de l’une de celles-ci, donnée à l’Excelsior à l’occasion d’un concert au Châtelet, pour contester l’opinion d’un collègue sur le jazz. Roland Hayes (1887-1977) est avec Marian Anderson (1897-1993) l’un des représentants les plus prestigieux de ce que l’on appelle aujourd’hui le « spiritual de concert » qui consiste en une adaptation orchestrée des spirituals originels des esclaves afro-américains.
Revue éphémère dont la durée de vie se limite à l’année 1922, Les Feuilles critiques se consacrent à la musique, au théâtre, aux lettres et aux arts contemporains. Son directeur, le jeune Philippe Parès (1901-1979), le fils du chef de l’orchestre de la Garde Républicaine, Gabriel Parès (1860-1934), la conçoit sur le modèle des Feuilles libres du poète Marcel Raval (1900-1956). En 1922, Parès n’a pas encore entamé la collaboration musicale dans le domaine de l’opérette avec son ami Georges van Parys (1902-1971), rencontré au lycée Charlemagne. Il suit toutefois de près l’actualité de la musique légère, ce qui le mène naturellement à s’intéresser au jazz. Son enquête, motivée par les écrits d’Émile Vuillermoz (1878-1960), critique pionnier de la légitimation du jazz en France, vise à interroger le rôle du jazz dans l’évolution de la musique contemporaine. Première du genre pour ce qui concerne le jazz, cette enquête a été éclipsée dans l’historiographie du jazz en France par celle réalisée trois ans après dans Paris- Midi par les critiques André Schaeffner (1895-1980) et André Cœuroy (1891-1976), autour de questions similaires.
Émile Vuillermoz (1878-1960) a mené conjointement des études juridiques, littéraires et musicales. Renonçant rapidement à ses ambitions de compositeur, il devient l’un des observateurs les plus attentifs de la vie musicale de son époque, et plus particulièrement de toutes les innovations stylistiques et technologiques susceptibles de faire évoluer la musique. À ses yeux, le jazz constitue bien plus qu’une simple mode, comme certains chroniqueurs de l’époque peuvent l’écrire. Pionnier de la critique cinématographique, Vuillermoz est également l’un des initiateurs de la critique de jazz. En 1923, il est l’un des critiques les plus en vue dans le monde musical français et contribue à la Revue musicale, L’Édition musicale vivante et autres publications. Signe de cette reconnaissance, l’éditeur Crès et Cie l’invite à reprendre une série de chroniques publiées dans différents journaux ou revues, notamment l’Excelsior, afin d’en faire un volume sur les musiques de son temps, dont il apparaît déjà comme l’un des plus fervents défenseurs. On retrouve dans cet article les thèmes privilégiés à cette époque du primitivisme et de la valeur générative du rythme, qui aurait été progressivement délaissé par la tradition savante de la musique occidentale.
Au Music-hall – Le jazz et les nains du Casino de Paris
Émile Vuillermoz (1878-1960) a mené conjointement des études juridiques, littéraires et musicales. Renonçant rapidement à ses ambitions de compositeur, il devient l’un des observateurs les plus attentifs de la vie musicale de son époque, et plus particulièrement de toutes les innovations stylistiques et technologiques susceptibles de faire évoluer la musique. À ses yeux, le jazz constitue bien plus qu’une simple mode, comme certains chroniqueurs de l’époque peuvent l’écrire. Attentif à une musique dont il pressent les bouleversements qu’elle porte en elle, il en propose, dès 1918, dans le quotidien du matin L’Éclair la première analyse sérieuse (Vuillermoz 1923). Pionnier de la critique cinématographique, Vuillermoz fut également l’un des initiateurs de la critique de jazz. L’essentialisme racial que l’on trouve dans ce texte, monnaie courante à cette époque, ne doit pas éloigner d’un auteur dont le rôle fut décisif dans l’acclimatation du jazz en France.
Francis Durand, dit Francis de Miomandre (1880-1959), est un écrivain français à la production très abondante (romans, nouvelles, essais, poèmes, chroniques en tout genre). Il reçoit le Prix Goncourt en 1908 pour son roman Écrit sur de l’ eau… Dans ce texte publié dans l’hebdomadaire Candide , il livre un compte-rendu documentaire passablement ironique sur les lieux de danse parisiens de 1924, dancings de l’après-midi et cabarets du soir. Le jazz et le jazz-band trouvent leur place dans les premiers, sous le regard bienveillant et raisonnablement paternaliste de l’auteur.
Émile Vuillermoz (1878-1960) a mené conjointement des études juridiques, littéraires et musicales. Renonçant rapidement à ses ambitions de compositeur, il devient l’un des observateurs les plus attentifs de la vie musicale de son époque, et plus particulièrement de toutes les innovations stylistiques et technologiques susceptible de faire évoluer la musique. À ses yeux, le jazz constitue bien plus qu’une simple mode, comme certains chroniqueurs de l’époque peuvent l’écrire. Attentif à une musique dont il pressent les bouleversements qu’elle porte en elle, il en propose dans le quotidien du matin L’Éclair (fondé en 1888) la première analyse sérieuse (Vuillermoz1923). Pionnier de la critique cinématographique, Vuillermoz fut également l’un des initiateurs de la critique de jazz. Défenseur infatigable du jazz, dans ce texte donné à l’hebdomadaire Candide il s’insurge une nouvelle fois contre l’image d’un jazz tapageur et grossier.
Philibert de Puyfontaine, écrivain français né en 1870, est notamment l’auteur d’une pièce de théâtre, Dannémorah, représentée au Théâtre de l’Odéon en 1913. Symétriquement opposé au texte contemporain de Francis de Miomandre sur le même sujet, portant un regard amusé sur une certaine inconsistance de l’époque, l’auteur livre ici un portrait sombre et désabusé d’une période d’après-guerre qui ne se remet du cataclysme que par un abandon généralisé des valeurs et un grimaçant oubli de soi. Le jazz, qui prend sa part dans ce tableau crépusculaire, n’est pourtant pas vilipendé mais plutôt vu comme une bande- son lugubre et cependant salvatrice de temps par ailleurs mortifères.
Émile Vuillermoz (1878-1960) a mené conjointement des études juridiques, littéraires et musicales. Renonçant rapidement à ses ambitions de compositeur, il devient l’un des observateurs les plus attentifs de la vie musicale de son époque, et plus particulièrement de toutes les innovations stylistiques et technologiques susceptibles de faire évoluer la musique. À ses yeux, le jazz constitue bien plus qu’une simple mode, comme certains chroniqueurs de l’époque peuvent l’écrire. Attentif à une musique dont il pressent les bouleversements qu’elle porte en elle, il en propose dans le quotidien du matin L’Éclair (fondé en 1888) la première analyse sérieuse en 1919 (article repris dans Vuillermoz 1923). Pionnier de la critique cinématographique, Vuillermoz fut également l’un des initiateurs de la critique de jazz. Le texte présenté ici, quatrième d’une série parue en feuilleton dans L’Impartial français, constitue l’une des premières chroniques de disques substantielles. On peut y lire l’apologie d’un enregistrement de Paul Whiteman, unanimement considéré en France comme le « Roi du jazz ». La musique est louée à la fois pour ses qualités d’écriture et pour ce qui représente, selon Vuillermoz et de nombreux observateurs spécialistes de musique savante, une caractéristique du jazz : « une grande rigidité métrique conduisant à une extrême souplesse rythmique ».
De l’influence du jazz sur la musique américaine, d’après Paul Whiteman, l’empereur millionnaire du superjazz
Paul Whiteman (1890-1967), est un altiste et chef d’orchestre étatsunien formé à la musique classique. Musicien du rang dans le San Francisco Symhponic Orchestra, il forme son propre orchestre de danse en 1918. Les enregistrements qu’il réalise pour la Victor Talking Machine Company (la plus importante firme discographique aux États-Unis) fait de son orchestre le principal représentant du jazz dans les années 1920. Sa réputation, aussi importante aux États-Unis qu’en Europe, où sa première tournée a lieu en 1926, fait grand bruit et suscite de nombreux articles. Sa musique, qui privilégie les arrangements sophistiqués à l’improvisation individuelle, a suscité l’admiration de nombreux musiciens de jazz dans les années 1920. Dans son autobiographie Duke Ellington (1899-1974) a dit de lui que « personne n’a encore porté ce titre avec autant de conviction et de dignité » (Ellington 1973, p. 103, traduction de l’éditeur). Dans cet article, Whiteman met en récit son succès, qui a consisté, selon lui, à discipliner un jazz naguère primitif au moyen de procédés issus de la musique classique, afin de le rendre acceptable pour le grand public tout en conservant son énergie. Cet argumentaire sera repris et développé deux ans plus tard dans Jazz, autobiographie et manifeste publié avec la collaboration de Margaret McBride.
Sa traduction dans l’une des principales revues musicales québécoises des années 1920, La Lyre (rattachée à l’éditeur musical du même nom), constitue le premier texte francophone dans lequel un musicien de jazz s’exprime directement.
Louis Schneider (1861-1934) est un critique musical, traducteur et auteur dramatique. Il a publié deux monographies, respectivement sur Jules Massenet (1908) et Claudio Monteverdi (1921). Il est l’auteur des paroles de La Reine et l’écuyer !... (1903, musique de Georges Charton) et de Noël de fleurs sur une musique de Massenet (1912). Il a également collaboré à La Revue de France en 1923. Dans cet article, il entonne le thème du déclin voire de la mort du jazz que l’on va voir enfler à partir de cette époque.
Réflexions sur le rythme du plain-chant et du jazz-band
L’on sait peu de choses sur Jean-Gustave Schencke si ce n’est qu’il a publié en plus de ce curieux article, deux autres petits essais dans l’une des revues les plus influentes dans le monde musical français du début des années 1920 : Le Courrier musical. Le premier, publié dans le numéro de décembre 1923, tente une mise en correspondance fondée scientifiquement entre le spectre des couleurs et celui des sons. Les « Réflexions sur le rythme du plain-chant et du jazzband » tentent un autre rapprochement inattendu, entre la souplesse de la prosodie du plain-chant et celle du blues. L’originalité de la comparaison mérite l’attention, car elle propose une vision inédite du jazz, et un lien avec le passé qui ne se réduit pas au « primitivisme nègre » déjà devenu un lieu commun du discours sur le jazz en 1924. Toutefois, les tentatives de Schencke pour établir une filiation historique et musicale (au moyen d’exemples musicaux) sont parfois difficiles à suivre.
Pierre de Régnier (1898-1943), connu aussi par le pseudonyme de Tigre, est un écrivain, poète, dessinateur et chroniqueur français. Les recensions de revues et de concerts sont relativement nombreuses dans la littérature de l’époque, mais les clubs ne rencontrent apparemment pas le même intérêt de la part des chroniqueurs. Ce texte est l’un des rares qui évoquent les clubs parisiens, localisés pour la grande majorité dans le quartier de Pigalle. N’ont été retenu de ce texte que les passages directement reliés au jazz.
Marcel Thiébaut (1897-1961) est un critique littéraire français. Il entre en 1919 au Journal des débats politiques et littéraires avant de diriger la Revue de Paris. Il assure ensuite la direction des éditions Calmann-Lévy et devient conseiller littéraire chez Hachette. Dans cet article, sans se positionner lui- même vis-à-vis du jazz, il adopte ce ton détaché et semi-ironique courant à cette époque, qui témoigne de la présence de ce thème dans la société française du moment.
André Schaeffner (1895-1980) est un anthropologue et ethnomusicologue français. Maître de recherche au CNRS, il crée en 1929 le Musée d’ethnographie du Trocadéro, qui deviendra le département d’ethnomusicologie du Musée de l’Homme. Il le dirige jusqu’à sa retraite en 1965. Parmi ses nombreux ouvrages, l’Origine des instruments de musique (Schaeffner 1936) est longtemps restée une référence incontournable en matière d’organologie. Il est par ailleurs l’auteur principal de Le Jazz (Schaeffner et Cœuroy 1926), considéré comme l’un des tout premiers livres sur cette musique. Il livre ici un compte rendu très enthousiaste d’un concert du groupe le plus représentatif de ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui le « spiritual de concert ».
Yvon Novy est un homme de lettres et un critique de théâtre. Le palindrome formé par son prénom et son nom suggère l’utilisation d’un pseudonyme. Outre de nombreux articles sur la vie théâtrale française, il est l’auteur, en 1927, d’une comédie dramatique en trois actes intitulée L’Ouragan co-écrite avec l’auteur dramatique René Bastien (1884-1960). Initialement publié dans Comœdia le 25 juin 1925, cet article est intégralement repris dans Les Spectacles, un journal régional créé en 1923 pour annoncer et commenter la vie musicale et théâtrale de l’agglomération lilloise.
Le lancement de La Revue nègre, dont la première a lieu le 2 octobre 1925, fait l’objet d’une véritable campagne de publicité de la part de Comœdia. Michel Georges-Michel (pseudonyme de Michel Georges Dreyfus [1883-1985], écrivain, journaliste et peintre français) livre dans le numéro du 28 septembre ce reportage sur une « Soirée nègre » qui se serait donnée « hier soir » (soit le 27). De quelle soirée s’agit-il ? La générale n’aura lieu que quatre jours plus tard. L’a-t-il anticipée ? S’agit-il d’une répétition ? Ou de quelques scènes présentées en avant-première (Gustave Fréjaville, dans sa chronique parue dans Comœdia du 4 octobre indique : « La direction des Champs-Élysées avait eu l’idée de nous présenter quelques scènes de cette revue en séance privée, avant de montrer le spectacle complet au public » [Fréjaville 1925, p. 2]) ? L’invente-t-il de toutes pièces ? Difficile de le dire. Il n’en reste pas moins que La Revue nègre est un événement au retentissement considérable, qui suscite un très grand nombre de réactions (sur l’histoire de cette revue, et sa réception voir Cugny 2014, p. 198-227).
Il a été impossible d’identifier l’auteur de cet article. La Revue nègre, dont la première a lieu le 2 octobre 1925 au Champs-Élysées Music-Hall (le Théâtre des Champs-Élysées momentanément rebaptisé) est un événement au retentissement considérable, qui suscite un très grand nombre de réactions.
Au théâtre des Champs-Elysées Music-hall – La revue nègre
Yvon Novy est un homme de lettre et un critique de théâtre. Le palindrome formé par son prénom et son nom suggère l’utilisation d’un pseudonyme. Outre de nombreux articles sur la vie théâtrale française, Novy est l’auteur, en 1927, d’une comédie dramatique en trois actes intitulée L’Ouragan co-écrite avec l’auteur dramatique René Bastien (1884-1960). La Revue nègre, dont la première a lieu le 2 octobre 1925 au Champs-Élysées Music-Hall (le Théâtre des Champs-Élysées momentanément rebaptisé) est un événement au retentissement considérable, qui suscite un très grand nombre de réactions.
Henri Jeanson (1900-1970) est très vraisemblablement l’écrivain et journaliste français qui s’est plus tard rendu célèbre par ses scénarios et dialogues pour le cinéma et ses chroniques parfois assassines dans la presse française (Combat, Le Canard enchaîné, L’Aurore notamment). La Revue nègre, dont la première a lieu le 2 octobre 1925 au Champs-Élysées Music-Hall (le Théâtre des Champs-Élysées momentanément rebaptisé) est un événement au retentissement considérable, qui suscite un très grand nombre de réactions (voir, entre autres, Bizet 1925, Fréjaville 1925, Georges-Michel 1925, Novy 1925 ou, encore, Régnier 1925 ; voir aussi Anthologie). Le compte-rendu qu’il en donne prend la forme d’un récit onirique. Il témoigne de ses convictions internationalistes et d’un certain anti-américanisme, qui pointe en fin de chronique.
René Bizet (1887-1947) est un écrivain, poète et journaliste français. Il est notamment l’auteur d’un recueil de poèmes publié cette même année 1925, intitulé Saxophone (voir Anthologie). La Revue nègre, dont la première a lieu le 2 octobre 1925 au Champs-Élysées Music-Hall (le Théâtre des Champs-Élysées momentanément rebaptisé) est un événement au retentissement considérable, qui suscite un très grand nombre de réactions (Cugny 2014, p. 198-227). Cet article représente l’une des rares réactions négatives à la présentation de la revue. Il reprend le schéma évolutionniste, dans sa version la plus empreinte de racisme.
Gustave Fréjaville (1877-1955), écrivain français, est un chroniqueur musical attitré de Comœdia. La Revue nègre, dont la première a lieu le 2 octobre 1925 aux Champs-Élysées Music-Hall (le Théâtre des Champs-Élysées momentanément rebaptisé) est un événement au retentissement considérable, qui suscite un très grand nombre de réactions (voir Cugny 2014, p. 198-227). L’auteur, tout en louant le spectacle et ses participants, laisse apparaître à la fin de l’article, la thèse évolutionniste qui était de règle à l’époque dans la réception généraliste mais aussi académique.
Pierre de Régnier (1898-1943), connu aussi par le pseudonyme de Tigre, est un écrivain, poète, dessinateur et chroniqueur français. La Revue nègre, dont la première a lieu le 2 octobre 1925 au Champs-Élysées Music-Hall (le Théâtre des Champs-Élysées momentanément rebaptisé) est un événement au retentissement considérable, qui suscite un très grand nombre de réactions (Cugny 2014, p. 198-227). Cette chronique est la plus tardive (la dernière représentation de la revue aura lieu le 19 novembre) et aussi la plus descriptive.
André Cœuroy (1891-1976), de son vrai nom Jean Belime, est l’un des critiques musicaux les plus influents de l’entre-deux-guerres. Germaniste de formation, il crée La Revue musicale avec Henry Prunières en 1920. Il est l’auteur de très nombreux ouvrages (sur Wagner, Puccini, la musique française, etc.) et d’innombrables articles. Il est aussi l’un des premiers défenseurs de la phonographie. En décembre 1925, peu après avoir mené avec André Schaeffner (1895-1980) l’importante « Enquête sur le Jazz-Band » dans Paris-Midi (voir Anthologie), il livre une entrée consacrée à ce type d’orchestre pour le dictionnaire Larousse.
Édouard Combe (1866-1942) est un critique musical suisse doté d’une solide formation musicale, reçue aux conservatoires de Genève et de Paris. Il est chroniqueur pour de nombreuses revues dont la Gazette musicale de la Suisse romande, La Vie musicale,, la Gazette de Lausanne, et la Tribune de Genève. À partir d’une pièce de théâtre créée au Théâtre des Nouveautés le 22 septembre 1924, il livre ici des considérations personnelles sur le jazz naissant (ainsi que, accessoirement, sur la guitare, le clavecin et la remise au goût du jour de répertoires anciens).
Paul Le Flem (1881-1984) est compositeur et critique musical. Formé à la Schola Cantorum, il y devient professeur de contrepoint jusqu’en 1939. Il est critique à Comœdia de 1906 à 1960. Dans cet article, il évoque notamment une thèse, que l’on retrouvera jusque dans l’Histoire générale du jazz d’André Cœuroy, publiée en 1943, selon laquelle non seulement le mot « jazz », mais aussi la musique elle-même, auraient une origine française.
Petite-fille de Sarah Bernhardt, Lysiane Bernhardt (1896-1977) est elle-même comédienne et également femme de lettres. Elle est l’auteure de plusieurs romans et contes (Ombres et reflets, 1921, Le Loyal Séducteur, 1926) ainsi que de deux romans policiers sous le pseudonyme de M.-T. Bernard (Surprise- partie, 1941, L’Arbre qui saigne, 1944). En 1945, elle publie un livre dédié à sa grand-mère (Sarah Bernhardt, ma grand-mère). Elle évoque ici le jazz sur le mode de l’ironie pour un magazine féminin créé en 1901 par le patron de presse Pierre Lafitte. Si le lectorat (féminin) est principalement bourgeois et conservateur, pourtant le périodique traite notamment du sport féminin et prendra parti pour le vote des femmes. Un ton de légèreté parcourt le texte par une description mettant l’accent sur le cosmopolitisme, la variété sonore et le caractère souvent démonstratif des orchestres de jazz. L’auteure évite les jugements de valeur ou la réflexion musicale et anthropologique que l’on retrouve plus souvent à cette époque. Une myriade d’instruments sont évoqués, certains probablement inventés, sous la forme de conseils donnés à des lectrices possiblement intéressées par la pratique d’une musique présentée sous l’angle de l’amusement.
Créé à la Chaux-de-Fonds en 1882, L’Impartial fait partie des quotidiens les plus lus en Suisse, particulièrement dans le canton de Neufchâtel. L’article qu’y publie le juriste belge Charles du Bus de Warnaffe (1894-1965) s’intéresse aux questions liées au droit du travail aux États-Unis, un thème cher à ce membre actif du Parti Catholique et futur ministre belge. C’est dans ce contexte que Du Bus de Warnaffe consacre la seconde partie de son texte au jazz, dont il décrit l’importance socio-économique dans le monde musical new yorkais. L’étonnement dont témoigne Du Bus de Warnaffe est d’autant plus ironique qu’il ne tient pas le jazz en haute estime.
Maurice Delage (1879-1961) est un compositeur français, disciple et ami de Ravel, et membre du cercle des Apaches. Dans cet article, il s’essaie à un exercice de passage en revue des différents éléments de la musique nouvelle. Le résultat est un exemple très caractéristique des représentations de l’époque.
Le 28 mai 1926, quelques mois après le triomphe de La Revue nègre, ouvre aux Théâtre des Ambassadeurs – alors dirigé par Edmond Sayag – Black Birds of 1926, dont la vedette afro-américaine Florence Mills présente un contraste très net par rapport à la référence qu’est devenue Joséphine Baker. Là où cette dernière s’était imposée par ce qui fut perçu comme une animalité sauvage, d’une vitalité débridée, la première avait présenté au contraire une image de fragilité et de délicatesse en complète opposition. À son propos, Maurice Chevalier déclare : « Vous allez voir Florence Mills. C’est une grande artiste. Vous n’avez pas idée de ce qu’est le véritable art noir » (Schmitt 1926, p. 16). L’auteur de cet article – Louis Léon-Martin ou Louis-Léon Martin (1883-1944) – est un écrivain français, auteur principalement d’ouvrages historiques. Il ne se contente pas de l’inévitable comparaison avec Joséphine Baker mais décrit en détail l’ensemble de la revue, ce qui confère à ce texte un caractère documentaire intéressant (voir aussi Bizet 1926, Achard 1927 et Cugny 2014, p. 227-233).
Le music-hall – La revue Black Birds aux Ambassadeurs
Le 28 mai 1926, quelques mois après le triomphe de La Revue nègre, ouvre aux Théâtre des Ambassadeurs – alors dirigé par Edmond Sayag – Black Birds of 1926, dont la vedette afro-américaine Florence Mills présente un contraste très net par rapport à la référence qu’est devenue Joséphine Baker. Là où cette dernière s’était imposée par ce qui fut perçu comme une animalité sauvage, d’une vitalité débridée, la première présente au contraire une image de fragilité et de délicatesse en complète opposition. À son propos, Maurice Chevalier déclare : « Vous allez voir Florence Mills. C’est une grande artiste. Vous n’avez pas idée de ce qu’est le véritable art noir » (Schmitt 1926, p. 16). René Bizet (1887-1947), écrivain, poète et journaliste français, est notamment l’auteur d’un recueil de poèmes publié en 1925, intitulé Saxophone (voir Anthologie). Inévitablement, il procède à la comparaison avec La Revue nègre, représentée l’année précédente avec le succès que l’on sait. Le ton est ici résolument critique, au nom précisément de l’« instinct » et du « primitif » qui seraient absents dans cette production (voir aussi Léon-Martin 1926, Achard 1927, et Cugny 2014, p. 227-233).
"J’adore le jazz!" Voilà ce que nous dit M. André Messager, le compositeur de tant de belles œuvres françaises
Ce texte répond à un usage répandu consistant à consulter des personnalités éminentes pour recueillir leur opinion, en l’occurrence ici sur le jazz. André Messager, élu donc en ce panthéon, est l’une de ces éminences les plus sollicitées : en 1923 par Philippe Parès dans Les Feuilles critiques, en 1925 par André Cœuroy dans son enquête pour Paris-Midi (voir Anthologie) et en 1926 par un auteur anonyme dans L’Intransigeant (C. R. 1926). Ici, il réitère son soutien au jazz dans un vibrant hommage à la modernité et au mouvement. La référence musicale en termes de jazz est toujours l’omniprésent Paul Whiteman.
[Une question du Soir] – Aimez-vous le jazz...? [I] : M. Gabriel Astruc nous dit
Depuis la fin du XIXe siècle, l’enquête journalistique, variante de l’interview, s’impose comme un genre à part entière dans la presse généraliste. Dans les sujets abordés, la musique ne fait pas exception et, dans les années 1920, pas moins de trois enquêtes d’ampleur sont consacrées au jazz. La plus connue est celle menée par André Cœuroy et André Schaeffner pour le compte de Paris-Midi en 1925. Les travaux menés dans cette anthologie ont permis d’en redécouvrir deux autres : celle de 1922-1923, engagée par Philippe Parès dans Les Feuilles critiques et cette enquête, feuilletonnée dans onze numéros de l’un des principaux quotidiens français : Le Soir. Du 15 juin au 18 juillet 1926, Philippe Georges Emmanuel Gordolon, dit Paul Gordeaux (1891-1974) – que l’on retrouve sous le pseudonyme de Philippe d’Olon – a interrogé de nombreuses personnalités du monde musical français, avec la collaboration de René Jolivet (1898-1975) et de Pierre Lazareff (1907-1972). Journaliste, romancier et scénariste, dont les sympathies se tournèrent vers le courant royaliste dans les années 1930, le premier est alors un collaborateur régulier du Soir. Le second, ami du musicien de jazz Ray Ventura, devient journaliste dès 1925, lorsque Gordeaux l’engage pour tenir la rubrique théâtrale du Soir. Dans ce journal, comme dans Paris-Midi, il s’impose comme l’un des chroniqueurs les plus appréciés de la vie artistique et mondaine française. Les réponses des quatorze musiciens, compositeurs, critiques et romanciers qui répondent à cette enquête dessinent un panorama aussi varié que représentatif des différents discours sur le jazz en circulation au milieu des années 1920. L’un des aspects de ce discours que l’on ne retrouve pas de manière aussi saillante dans l’enquête de Cœuroy et Schaeffner est le rôle du jazz pour l’évolution du statut du saxophone. Cela deviendra un enjeu important pour les compositeurs classiques français à la fin des années 1920. La première personnalité à y répondre, Gabriel Astruc (1864-1938), a été le principal impresario parisien de la Belle-Époque. On lui doit notamment la venue des Ballets russes de Serge Diaghilev (1872-1929) à Paris en 1909. Co-directeur, avec Pierre Lafitte (1872-1938), de la luxueuse revue Musica, Astruc a également été un organisateur de concerts infatigable. De 1905 à 1912, il organise au Pavillon de Hanovre les fastueuses « Grandes saisons de Paris », avant de faire construire le Théâtre des Champs-Élysées, dont il a été à partir de 1913 le premier directeur. Chroniqueur actif de la vie artistique parisienne, Astruc livre sur le jazz sa vision d’impresario : cette musique est la nouveauté du moment, une nouveauté à laquelle il serait impossible de ne pas prêter attention, une nouveauté préparée par l’arrivée du cake-walk au début des années 1900, et une nouveauté à laquelle il attribue des antécédents français.
[Une question du Soir] – Aimez-vous le jazz...? II : Le jazz est né d’une invention française. Ce que dit M. Adolphe Sax, fils de l’inventeur du saxophone
Depuis la fin du XIXe siècle, l’enquête journalistique, variante de l’interview, s’impose comme un genre à part entière dans la presse généraliste. Dans les sujets abordés, la musique ne fait pas exception et, dans les années 1920, pas moins de trois enquêtes d’ampleur sont consacrées au jazz. La plus connue est celle menée par André Cœuroy et André Schaeffner pour le compte de Paris-Midi en 1925. Les travaux menés dans cette anthologie ont permis d’en redécouvrir deux autres : celle de 1922-1923, engagée par Philippe Parès dans Les Feuilles critiques et cette enquête, feuilletonnée dans onze numéros de l’un des principaux quotidiens français : Le Soir. Du 15 juin au 18 juillet 1926, Philippe Georges Emmanuel Gordolon, dit Paul Gordeaux (1891-1974) – que l’on retrouve sous le pseudonyme de Philippe d’Olon – a interrogé de nombreuses personnalités du monde musical français, avec la collaboration de René Jolivet (1898-1975) et de Pierre Lazareff (1907-1972). Journaliste, romancier et scénariste, dont les sympathies se tournèrent vers le courant royaliste dans les années 1930, le premier est alors un collaborateur régulier du Soir. Le second, ami du musicien de jazz Ray Ventura, devient journaliste dès 1925, lorsque Gordeaux l’engage pour tenir la rubrique théâtrale du Soir. Dans ce journal, comme dans Paris-Midi, il s’impose comme l’un des chroniqueurs les plus appréciés de la vie artistique et mondaine française. Les réponses des quatorze musiciens, compositeurs, critiques et romanciers qui répondent à cette enquête dessinent un panorama aussi varié que représentatif des différents discours sur le jazz en circulation au milieu des années 1920. L’un des aspects de ce discours que l’on ne retrouve pas de manière aussi saillante dans l’enquête de Cœuroy et Schaeffner est le rôle du jazz pour l’évolution du statut du saxophone. Cela deviendra un enjeu important pour les compositeurs classiques français à la fin des années 1920. Dans cet épisode, Pierre Lazareff donne la parole à Adolphe Sax fils (né en 1859), fils de l’inventeur du saxophone et continuateur de l’œuvre de son père dont il a repris l’entreprise. Adolphe Sax fils a joué un rôle décisif dans l’amélioration de la facture du saxophone. C’est donc tout naturellement qu’il aborde le rôle du cet instrument dans le jazz, mais aussi et surtout le rôle du jazz dans le développement du saxophone. Afin d’attirer le lecteur, Lazareff propose une variation du topos des origines françaises du jazz déjà établi dans quelques textes de 1919.
[Une question du Soir] – Aimez-vous le jazz...? [III] : C’est un enfer sonore...
Depuis la fin du XIXe siècle, l’enquête journalistique, variante de l’interview, s’impose comme un genre à part entière dans la presse généraliste. Dans les sujets abordés, la musique ne fait pas exception et, dans les années 1920, pas moins de trois enquêtes d’ampleur sont consacrées au jazz. La plus connue est celle menée par André Cœuroy et André Schaeffner pour le compte de Paris-Midi en 1925. Les travaux menés dans cette anthologie ont permis d’en redécouvrir deux autres : celle de 1922-1923, engagée par Philippe Parès dans Les Feuilles critiques et cette enquête, feuilletonnée dans onze numéros de l’un des principaux quotidiens français : Le Soir. Du 15 juin au 18 juillet 1926, Philippe Georges Emmanuel Gordolon, dit Paul Gordeaux (1891-1974) – que l’on retrouve sous le pseudonyme de Philippe d’Olon – a interrogé de nombreuses personnalités du monde musical français, avec la collaboration de René Jolivet (1898-1975) et de Pierre Lazareff (1907-1972). Journaliste, romancier et scénariste, dont les sympathies se tournèrent vers le courant royaliste dans les années 1930, le premier est alors un collaborateur régulier du Soir. Le second, ami du musicien de jazz Ray Ventura, devient journaliste dès 1925, lorsque Gordeaux l’engage pour tenir la rubrique théâtrale du Soir. Dans ce journal, comme dans Paris-Midi, il s’impose comme l’un des chroniqueurs les plus appréciés de la vie artistique et mondaine française. Les réponses des quatorze musiciens, compositeurs, critiques et romanciers qui répondent à cette enquête dessinent un panorama aussi varié que représentatif des différents discours sur le jazz en circulation au milieu des années 1920. L’un des aspects de ce discours que l’on ne retrouve pas de manière aussi saillante dans l’enquête de Cœuroy et Schaeffner est le rôle du jazz pour l’évolution du statut du saxophone. Cela deviendra un enjeu important pour les compositeurs classiques français à la fin des années 1920. René Wisner (1872-1970) était un auteur et critique dramatique assez connu en 1926 pour que Paul Gordeaux ne juge pas nécessaire de le présenter en introduction de cet épisode de son enquête. Ses comédies légères et ses articles de critique théâtrale et d’opérette ont pourtant disparu des mémoires. Le récit d’un concert de jazz qu’il propose ici reprend tous les topoi de ceux de la fin des années 1910 et du début des années 1920 : insistance sur les bruits produits par l’orchestre, sur les corps des musiciens et sur l’atmosphère de folie créée par l’orchestre. On peut par exemple le rapprocher des extraits de La Ronde de nuit dans lesquels Sem (Georges Coursat, 1863-1934) décrit un jazz-band en train de jouer lors d’une soirée dansante.
Depuis la fin du XIXe siècle, l’enquête journalistique, variante de l’interview, s’impose comme un genre à part entière dans la presse généraliste. Dans les sujets abordés, la musique ne fait pas exception et, dans les années 1920, pas moins de trois enquêtes d’ampleur sont consacrées au jazz. La plus connue est celle menée par André Cœuroy et André Schaeffner pour le compte de Paris-Midi en 1925. Les travaux menés dans cette anthologie ont permis d’en redécouvrir deux autres : celle de 1922-1923, engagée par Philippe Parès dans Les Feuilles critiques et cette enquête, feuilletonnée dans onze numéros de l’un des principaux quotidiens français : Le Soir. Du 15 juin au 18 juillet 1926, Philippe Georges Emmanuel Gordolon, dit Paul Gordeaux (1891-1974) – que l’on retrouve sous le pseudonyme de Philippe d’Olon – a interrogé de nombreuses personnalités du monde musical français, avec la collaboration de René Jolivet (1898-1975) et de Pierre Lazareff (1907-1972). Journaliste, romancier et scénariste, dont les sympathies se tournèrent vers le courant royaliste dans les années 1930, le premier est alors un collaborateur régulier du Soir. Le second, ami du musicien de jazz Ray Ventura, devient journaliste dès 1925, lorsque Gordeaux l’engage pour tenir la rubrique théâtrale du Soir. Dans ce journal, comme dans Paris-Midi, il s’impose comme l’un des chroniqueurs les plus appréciés de la vie artistique et mondaine française. Les réponses des quatorze musiciens, compositeurs, critiques et romanciers qui
répondent à cette enquête dessinent un panorama aussi varié que représentatif des différents discours sur le jazz en circulation au milieu des années 1920. L’un des aspects de ce discours que l’on ne retrouve pas de manière aussi saillante dans l’enquête de Cœuroy et Schaeffner est le rôle du jazz pour l’évolution du statut du saxophone. Cela deviendra un enjeu important pour les compositeurs classiques français à la fin des années 1920. Dans cet épisode, sous le pseudonyme de Philippe d’Olon, Paul Gordeaux donne la parole à Vincent d’Indy (1851-1931) et à Alfred Bruneau (1857-1934). En 1926, d’Indy (1851-1931) est une figure majeure de la vie musicale française, dont il est un acteur central depuis les années 1890 et la création de son action lyrique en trois actes, Fervaal (1897). Ce compositeur anti-dreyfusard et monarchiste est également théoricien : au-delà de ses œuvres musicales, son autorité provient de la publication de son Cours de composition musicale (1902), réalisé avec le concours d’Auguste Sérieyx (1865-1949). D’Indy est aussi connu et reconnu pour avoir fondé la Schola Cantorum en 1894 avec les compositeurs Charles Bordes (1863-1909) et Alexandre Guilmant (1837-1911). Le but de cette école de musique privée consistait alors à réhabiliter le chant grégorien, qui n’était pas enseigné au conservatoire de Paris. La composition y est également enseignée dans la perspective de la défense d’une identité française de la musique fondée sur le recours aux chants populaires. Ces différentes données permettent de comprendre l’ignorance teintée de mépris dans laquelle d’Indy maintient le jazz. Alfred Bruneau appartient à la même génération que d’Indy : celle qui connut le jazz après l’âge de soixante ans. Critique musical actif dans les années 1890, pour le journal Gil Blas, Le Figaro et Le Matin, notamment, il se fit surtout connaître en tant que compositeur d’opéra, genre pour lequel il tenta d’adapter les théories naturalistes d’Émile Zola (1840-1902). En 1926 à près de soixante-dix ans, Bruneau adopte une attitude prudente face au jazz, qu’il avoue ne pas connaître, pas plus que les dancings dans lesquels le public parisien peut l’entendre tous les soirs.
Depuis la fin du XIXe siècle, l’enquête journalistique, variante de l’interview, s’impose comme un genre à part entière dans la presse généraliste. Dans les sujets abordés, la musique ne fait pas exception et, dans les années 1920, pas moins de trois enquêtes d’ampleur sont consacrées au jazz. La plus connue est celle menée par André Cœuroy et André Schaeffner pour le compte de Paris-Midi en 1925. Les travaux menés dans cette anthologie ont permis d’en redécouvrir deux autres : celle de 1922-1923, engagée par Philippe Parès dans Les Feuilles critiques et cette enquête, feuilletonnée dans onze numéros de l’un des principaux quotidiens français : Le Soir. Du 15 juin au 18 juillet 1926, Philippe Georges Emmanuel Gordolon, dit Paul Gordeaux (1891-1974) – que l’on retrouve sous le pseudonyme de Philippe d’Olon – a interrogé de nombreuses personnalités du monde musical français, avec la collaboration de René Jolivet (1898-1975) et de Pierre Lazareff (1907-1972). Journaliste, romancier et scénariste, dont les sympathies se tournèrent vers le courant royaliste dans les années 1930, le premier est alors un collaborateur régulier du Soir. Le second, ami du musicien de jazz Ray Ventura, devient journaliste dès 1925, lorsque Gordeaux l’engage pour tenir la rubrique théâtrale du Soir. Dans ce journal, comme dans Paris-Midi, il s’impose comme l’un des chroniqueurs les plus appréciés de la vie artistique et mondaine française. Les réponses des quatorze musiciens, compositeurs, critiques et romanciers qui répondent à cette enquête dessinent un panorama aussi varié que représentatif des différents discours sur le jazz en circulation au milieu des années 1920. L’un des aspects de ce discours que l’on ne retrouve pas de manière aussi saillante dans l’enquête de Cœuroy et Schaeffner est le rôle du jazz pour l’évolution du statut du saxophone. Cela deviendra un enjeu important pour les compositeurs classiques français à la fin des années 1920. Dans cet épisode, Paul Bordeaux donne la parole à Charles Levadé (1869-1948) et à Darius Milhaud (1892-1974). Si Levadé n’est pas resté dans les histoires de la musique, il n’en fut pas moins un compositeur renommé dans la France de la Belle-Époque, après l’obtention du Prix de Rome en 1899 et la création de son opéra Les Hérétiques en 1905. Selon lui, l’influence que peut avoir le jazz sur la musique classique concernera avant tout l’orchestration. En 1926, Milhaud s’est déjà amplement exprimé sur le jazz. Son article de 1923 reste alors l’une des analyses les plus fouillées qui en ait été produite en français. Au début des années 1920, le compositeur de La Création du monde est à l’avant- garde de la reconnaissance du jazz, en le décrivant comme une nouveauté féconde, sur la base d’un voyage aux États-Unis pendant lequel il fréquenta les bars de Harlem (de décembre 1922 à février 1923). Trois ans plus tard, cet article annonce un changement d’attitude que l’on retrouvera développé dans deux autres textes publiés dans L’Humanité en août 1926 puis dans son livre Études en 1927 : « Déjà l’influence du jazz est passée, comme un orage bienfaisant après lequel on redécouvre un ciel pur, un temps plus sûr. Petit à petit le classicisme renaissant remplace les halètements brisés de la syncope ».
Depuis la fin du XIXe siècle, l’enquête journalistique, variante de l’interview, s’impose comme un genre à part entière dans la presse généraliste. Dans les sujets abordés, la musique ne fait pas exception et, dans les années 1920, pas moins de trois enquêtes d’ampleur sont consacrées au jazz. La plus connue est celle menée par André Cœuroy et André Schaeffner pour le compte de Paris-Midi en 1925. Les travaux menés dans cette anthologie ont permis d’en redécouvrir deux autres : celle de 1922-1923, engagée par Philippe Parès dans Les Feuilles critiques et cette enquête, feuilletonnée dans onze numéros de l’un des principaux quotidiens français : Le Soir. Du 15 juin au 18 juillet 1926, Philippe Georges Emmanuel Gordolon, dit Paul Gordeaux (1891-1974) – que l’on retrouve sous le pseudonyme de Philippe d’Olon – a interrogé de nombreuses personnalités du monde musical français, avec la collaboration de René Jolivet (1898-1975) et de Pierre Lazareff (1907-1972). Journaliste, romancier et scénariste, dont les sympathies se tournèrent vers le courant royaliste dans les années 1930, le premier est alors un collaborateur régulier du Soir. Le second, ami du musicien de jazz Ray Ventura, devient journaliste dès 1925, lorsque Gordeaux l’engage pour tenir la rubrique théâtrale du Soir. Dans ce journal, comme dans Paris-Midi, il s’impose comme l’un des chroniqueurs les plus appréciés de la vie artistique et mondaine française. Les réponses des quatorze musiciens, compositeurs, critiques et romanciers qui répondent à cette enquête dessinent un panorama aussi varié que représentatif des différents discours sur le jazz en circulation au milieu des années 1920. L’un des aspects de ce discours que l’on ne retrouve pas de manière aussi saillante dans l’enquête de Cœuroy et Schaeffner est le rôle du jazz pour l’évolution du statut du saxophone. Cela deviendra un enjeu important pour les compositeurs classiques français à la fin des années 1920. Dans cet épisode, Paul Gordeaux donne la parole à Henri Christiné (1867-1941). Dans la France des années 1920, Christiné fait partie des compositeurs de chansons et d’opérettes les plus en vue. Qu’il s’agisse de La Petite tonkinoise (1906) ou de Phi-Phi (1918), opérette qui connut le plus de représentation en France pendant l’entre-deux-guerres, sa musique fait partie de la bande son quotidienne des Français d’alors, au concert comme au disque et à la radio. Bien que réputé pour avoir créé la formule moderne de l’opérette, Christiné se défend de toute influence du jazz qu’il considère comme une musique de mauvais goût.
Le 16 juillet 1925, La Lanterne dans un entrefilet, annonce : « Le célèbre jazz américain de Paul Whiteman sera de nouveau cet automne à Londres. Cet orchestre toucherait 1750 livres par semaine [souligné dans le texte original]. Nous ne l’entendrons pas de sitôt à Paris » (Anonyme 1925). Pourtant, Paul Whiteman débarque à Paris avec son orchestre en 1926. Sa notoriété est très forte en France, dans les milieux musicaux informés tout au moins. Il est associé au jazz dans sa généralité. On peut même dire qu’il incarne le jazz pour l’essentiel de la critique française, en bon « roi » qui se plaît à régner sur cette musique. La Rhapsody in Blue qu’il a commandée à Gershwin deux ans plut tôt, dans sa pureté, est unanimement considérée comme l’apogée du genre. Sa venue parisienne de 1926 est présentée – et préparée publicitairement – comme un événement. S’il était initialement prévu une venue en avril 1926, peut-être à l’Opéra, et en mai aux Ambassadeurs, ce n’est que fin juin que le groupe arrive. Le 1er juillet, Le Figaro révèle : « Le célèbre orchestre jazz Paul Whiteman que présentera M. Edmond Sayag vendredi 2 juillet et pour neuf représentations seulement, aux Champs-Élysées Music-hall, est arrivé hier après-midi à 3h30 à la gare du Nord » (Anonyme 1926a). Dans la même colonne, la production publie un encart publicitaire indiquant : « Demain Paris connaîtra aux Champs-Élysées Music-Hall : la merveille des merveilles, le célèbre orchestre jazz de Paul Whiteman ; 32 virtuoses qui ont bouleversé le monde ». Le lendemain, une curieuse confusion s’étale à la page 4 du même Figaro. Deux spectacles sont annoncés séparément. D’une part : « Aux Nouveaux-Ambassadeurs (Théâtre-Restaurant). Pendant le dîner, Florence Mills dans La Revue américaine Black Birds de Lew Leslie, avec Johnny Hudgins, Jones et Jones, Edith Wilson et l’orchestre du Plantation avec Shrimp Jones et Johnny Dunn ». De l’autre : « Aux Champs-Élysées-Music-Hall, à 8h30, Paul Whiteman et son célèbre orchestre-jazz de 32 musiciens. Dans la première partie le danseur Harland Dixon » (Anonyme 1926b). Et enfin, quelques lignes plus loin, un encart publicitaire indiquant : « Ce soir, aux Ambassadeurs, première du nouveau spectacle avec le célèbre orchestre Paul Whiteman et la revue américaine Dixie to Paris, avec Florence Mills et Johnny Hudgins ». En réalité, il semble que l’orchestre de Whiteman devait prendre la suite de Black Birds aux Ambassadeurs, mais le succès de la revue a poussé Edmond Sayag à prolonger et à déplacer Whiteman aux Champs-Élysées-Music-hall, tout en lui laissant assurer la première partie aux Ambassadeurs au moins entre le 2 et le 5 juillet, tel que l’affirme le biographe de Paul Whiteman, Don Rayno. Cela est confirmé par quatre articles parus dans Comœdia, le premier – repris ici – dans le numéro du 3 juillet 1926, les autres (Anonyme 1926c, 1926d, 1926e) dans celui du lendemain, tous en page 5, traditionnellement consacrée aux annonces et comptes-rendus d’événements musicaux et théâtraux. L’article du 3 juillet est de Pierre Darius, l’administrateur du théâtre des Ambassadeurs, l’un des deux établissements où se produit l’orchestre de Paul Whiteman. Deux des trois articles du 4 juillet sont anonymes, le troisième est signé P.D., probablement les initiales de Pierre Darius. Cette abondance et les contenus extrêmement louangeurs sont un bon indicateur de la notoriété dont jouissaient alors à Paris Paul Whiteman et son orchestre, dont la prestation est un événement aussi bien musical que mondain, mais aussi d’un certain système de promotion des spectacles où la ligne entre promoteurs et critiques est loin d’être précisément tracée.
Le 16 juillet 1925, un entrefilet de La Lanterne annonce : « Le célèbre jazz américain de Paul Whiteman sera de nouveau cet automne à Londres. Cet orchestre toucherait 1750 livres par semaine [souligné dans le texte original]. Nous ne l’entendrons pas de sitôt à Paris » (Anonyme 1925). Pourtant, Paul Whiteman débarque à Paris avec son orchestre en 1926. Sa notoriété est très forte en France, dans les milieux musicaux informés tout au moins. Il est associé au jazz dans sa généralité. On peut même dire qu’il incarne le jazz pour l’essentiel de la critique française, en bon « roi » qui se plaît à régner sur cette musique. La Rhapsody in Blue qu’il a commandée à Gershwin deux ans plut tôt, dans sa pureté, est unanimement considérée comme l’apogée du genre. Sa venue parisienne de 1926 est présentée – et préparée publicitairement – comme un événement. S’il était initialement prévu une venue en avril 1926, peut-être à l’Opéra, et en mai aux Ambassadeurs, ce n’est que fin juin que le groupe arrive. Le 1er juillet, Le Figaro révèle : « Le célèbre orchestre jazz Paul Whiteman que présentera M. Edmond Sayag vendredi 2 juillet et pour neuf représentations seulement, aux Champs-Élysées Music-hall, est arrivé hier après-midi à 3h30 à la gare du Nord » (Anonyme 1926a). Dans la même colonne, la production publie un encart publicitaire indiquant : « Demain Paris connaîtra aux Champs-Élysées Music-Hall : la merveille des merveilles, le célèbre orchestre jazz de Paul Whiteman ; 32 virtuoses qui ont bouleversé le monde ». Le lendemain, une curieuse confusion s’étale à la page 4 du même Figaro. Deux spectacles sont annoncés séparément. D’une part : « Aux Nouveaux-Ambassadeurs (Théâtre-Restaurant). Pendant le dîner, Florence Mills dans La Revue américaine Black Birds de Lew Leslie, avec Johnny Hudgins, Jones et Jones, Edith Wilson et l’orchestre du Plantation avec Shrimp Jones et Johnny Dunn ». De l’autre : « Aux Champs-Élysées-Music-Hall, à 8h30, Paul Whiteman et son célèbre orchestre-jazz de 32 musiciens. Dans la première partie le danseur Harland Dixon » (Anonyme 1926b). Et enfin, quelques lignes plus bas, un encart publicitaire indiquant : « Ce soir, aux Ambassadeurs, première du nouveau spectacle avec le célèbre orchestre Paul Whiteman et la revue américaine Dixie to Paris, avec Florence Mills et Johnny Hudgins ». En réalité, il semble que l’orchestre de Whiteman devait prendre la suite de Black Birds aux Ambassadeurs, mais le succès de la revue a poussé Edmond Sayag à prolonger et à déplacer Whiteman aux Champs-Élysées-Music-hall, tout en lui laissant assurer la première partie aux Ambassadeurs au moins entre le 2 et le 5 juillet, tel que l’affirme le biographe de Paul Whiteman, Don Rayno. Cela est confirmé par quatre articles parus dans Comœdia , le premier (Darius 1926) dans le numéro du 3 juillet 1926, les autres – repris ici – dans celui du lendemain, tous en page 5, traditionnellement consacrée aux annonces et comptes rendus d’événements musicaux et théâtraux. L’article du 3 juillet est de Pierre Darius, l’administrateur du théâtre des Ambassadeurs, l’un des deux établissements où se produit l’orchestre de Paul Whiteman. Deux des trois articles du 4 juillet sont anonymes, le troisième est signé P.D., probablement les initiales de Pierre Darius. Cette abondance et les contenus extrêmement louangeurs sont un bon indicateur de la notoriété dont jouissaient alors à Paris Paul Whiteman et son orchestre, dont la prestation est un événement aussi bien musical que mondain, mais aussi d’un certain système de promotion des spectacles où la ligne entre promoteurs et critiques est loin d’être précisément tracée.
Le 16 juillet 1925, un entrefilet de La Lanterne annonce : « Le célèbre jazz américain de Paul Whiteman sera de nouveau cet automne à Londres. Cet orchestre toucherait 1750 livres par semaine [souligné dans le texte original]. Nous ne l’entendrons pas de sitôt à Paris » (Anonyme 1925). Pourtant, Paul Whiteman débarque à Paris avec son orchestre en 1926. Sa notoriété est très forte en France, dans les milieux musicaux informés tout au moins. Il est associé au jazz dans sa généralité. On peut même dire qu’il incarne le jazz pour l’essentiel de la critique française, en bon « roi » qui se plaît à régner sur cette musique. La Rhapsody in Blue qu’il a commandée à Gershwin deux ans plut tôt, dans sa pureté, est unanimement considérée comme l’apogée du genre. Sa venue parisienne de 1926 est présentée – et préparée publicitairement – comme un événement. S’il était initialement prévu une venue en avril 1926, peut-être à l’Opéra, et en mai aux Ambassadeurs, ce n’est que fin juin que le groupe arrive. Le 1er juillet, Le Figaro révèle : « Le célèbre orchestre jazz Paul Whiteman que présentera M. Edmond Sayag vendredi 2 juillet et pour neuf représentations seulement, aux Champs-Élysées Music-hall, est arrivé hier après-midi à 3h30 à la gare du Nord » (Anonyme 1926a). Dans la même colonne, la production publie un encart publicitaire indiquant : « Demain Paris connaîtra aux Champs-Élysées Music-Hall : la merveille des merveilles, le célèbre orchestre jazz de Paul Whiteman ; 32 virtuoses qui ont bouleversé le monde ». Le lendemain, une curieuse confusion s’étale à la page 4 du même Figaro. Deux spectacles sont annoncés séparément. D’une part : « Aux Nouveaux-Ambassadeurs (Théâtre-Restaurant). Pendant le dîner, Florence Mills dans La Revue américaine Black Birds de Lew Leslie, avec Johnny Hudgins, Jones et Jones, Edith Wilson et l’orchestre du Plantation avec Shrimp Jones et Johnny Dunn ». De l’autre : « Aux Champs-Élysées-Music-Hall, à 8h30, Paul Whiteman et son célèbre orchestre-jazz de 32 musiciens. Dans la première partie le danseur Harland Dixon » (Anonyme 1926b). Et enfin, quelques lignes plus bas, un encart publicitaire indiquant : « Ce soir, aux Ambassadeurs, première du nouveau spectacle avec le célèbre orchestre Paul Whiteman et la revue américaine Dixie to Paris, avec Florence Mills et Johnny Hudgins ». En réalité, il semble que l’orchestre de Whiteman devait prendre la suite de Black Birds aux Ambassadeurs, mais le succès de la revue a poussé Edmond Sayag à prolonger et à déplacer Whiteman aux Champs-Élysées-Music-hall, tout en lui laissant assurer la première partie aux Ambassadeurs au moins entre le 2 et le 5 juillet, tel que l’affirme le biographe de Paul Whiteman, Don Rayno. Les trois textes parus le 4 juillet 1926 dans Comœdia à la page 5, apparemment de trois auteurs différents (Anonyme 1926c, 1926d, 1926e), sembleraient confirmer cette hypothèse. Cette abondance et les contenus extrêmement louangeurs sont un bon indicateur de la notoriété dont jouissaient alors à Paris Paul Whiteman et son orchestre, dont la prestation est un événement aussi bien musical que mondain.
L’auteur de cet article, Maurice Bex (1886-?), est un homme de lettres français. Il se joint ici au cœur des louanges pour un orchestre qu’une réputation très flatteuse avait précédé. À noter l’apparition de l’expression « jazz symphonique ».
Au Théâtre des Champs-Elysées – Petit dialogue sur l’orchestre de Paul Whiteman
Le 16 juillet 1925, La Lanterne dans un entrefilet, annonce : « Le célèbre jazz américain de Paul Whiteman sera de nouveau cet automne à Londres. Cet orchestre toucherait 1750 livres par semaine [souligné dans le texte original]. Nous ne l’entendrons pas de sitôt à Paris » (Anonyme 1925). Pourtant, Paul Whiteman débarque à Paris avec son orchestre en 1926. Sa notoriété est très forte en France, dans les milieux musicaux informés tout au moins. Il est associé au jazz dans sa généralité. On peut même dire qu’il incarne le jazz pour l’essentiel de la critique française, en bon « roi » qui se plaît à régner sur cette musique. La Rhapsody in Blue qu’il a commandée à Gershwin deux ans plut tôt, dans sa pureté, est unanimement considérée comme l’apogée du genre. Sa venue parisienne de 1926 est présentée – et préparée publicitairement – comme un événement. S’il était initialement prévu une venue en avril 1926, peut-être à l’Opéra, et en mai aux Ambassadeurs, ce n’est que fin juin que le groupe arrive. Le 1er juillet, Le Figaro révèle : « Le célèbre orchestre jazz Paul Whiteman que présentera M. Edmond Sayag vendredi 2 juillet et pour neuf représentations seulement, aux Champs-Élysées Music-hall, est arrivé hier après-midi à 3h30 à la gare du Nord » (Anonyme 1926a). Dans la même colonne, la production publie un encart publicitaire indiquant : « Demain Paris connaîtra aux Champs-Élysées Music-Hall : la merveille des merveilles, le célèbre orchestre jazz de Paul Whiteman ; 32 virtuoses qui ont bouleversé le monde ». Le lendemain, une curieuse confusion s’étale à la page 4 du même Figaro. Deux spectacles sont annoncés séparément. D’une part : « Aux Nouveaux-Ambassadeurs (Théâtre-Restaurant). Pendant le dîner, Florence Mills dans La Revue américaine Black Birds de Lew Leslie, avec Johnny Hudgins, Jones et Jones, Edith Wilson et l’orchestre du Plantation avec Shrimp Jones et Johnny Dunn ». De l’autre : « Aux Champs-Élysées-Music-Hall, à 8h30, Paul Whiteman et son célèbre orchestre-jazz de 32 musiciens. Dans la première partie le danseur Harland Dixon » (Anonyme 1926b). Et enfin, quelques lignes plus loin, un encart publicitaire indiquant : « Ce soir, aux Ambassadeurs, première du nouveau spectacle avec le célèbre orchestre Paul Whiteman et la revue américaine Dixie to Paris, avec Florence Mills et Johnny Hudgins ». En réalité, il semble que l’orchestre de Whiteman devait prendre la suite de Black Birds aux Ambassadeurs, mais le succès de la revue a poussé Edmond Sayag à prolonger et à déplacer Whiteman aux Champs-Élysées-Music-hall, tout en lui laissant assurer la première partie aux Ambassadeurs au moins entre le 2 et le 5 juillet, tel que l’affirme le biographe de Paul Whiteman, Don Rayno. Cela est confirmé par quatre articles parus dans Comœdia, le premier (Darius 1926) dans le numéro du 3 juillet 1926, les autres (Anonyme 1926c, 1926d, 1926e) dans celui du lendemain, tous en page 5, traditionnellement consacrée aux annonces et comptes rendus d’événements musicaux et théâtraux. L’article du 3 juillet est de Pierre Darius, l’administrateur du théâtre des Ambassadeurs, l’un des deux établissements où se produit l’orchestre de Paul Whiteman. Deux des trois articles du 4 juillet sont anonymes, le troisième est signé P.D., probablement les initiales de Pierre Darius. Cette abondance et les contenus extrêmement louangeurs sont un bon indicateur de la notoriété dont jouissaient alors à Paris Paul Whiteman et son orchestre, dont la prestation est un événement aussi bien musical que mondain, mais aussi d’un certain système de promotion des spectacles où la ligne entre promoteurs et critiques est loin d’être précisément tracée.
Pierre Maudru (1892-1992), l’auteur de cet article, est un cinéaste, écrivain et musicien de film français. Il met ici en scène un dialogue permettant de présenter les arguments pour et contre la nouvelle musique. Tout en louant les qualités techniques de l’orchestre Whiteman, il ne cache pas, en conclusion, son peu d’estime pour la musique de jazz en général.
Depuis la fin du XIXe siècle, l’enquête journalistique, variante de l’interview, s’impose comme un genre à part entière dans la presse généraliste. Dans les sujets abordés, la musique ne fait pas exception et, dans les années 1920, pas moins de trois enquêtes d’ampleur sont consacrées au jazz. La plus connue est celle menée par André Cœuroy et André Schaeffner pour le compte de Paris-Midi en 1925. Les travaux menés dans cette anthologie ont permis d’en redécouvrir deux autres : celle de 1922-1923, engagée par Philippe Parès dans Les Feuilles critiques et cette enquête, feuilletonnée dans onze numéros de l’un des principaux quotidiens français : Le Soir. Du 15 juin au 18 juillet 1926, Philippe Georges Emmanuel Gordolon, dit Paul Gordeaux (1891-1974) – que l’on retrouve sous le pseudonyme de Philippe d’Olon – a interrogé de nombreuses personnalités du monde musical français, avec la collaboration de René Jolivet (1898-1975) et de Pierre Lazareff (1907-1972). Journaliste, romancier et scénariste, dont les sympathies se tournèrent vers le courant royaliste dans les années 1930, le premier est alors un collaborateur régulier du Soir. Le second, ami du musicien de jazz Ray Ventura, devient journaliste dès 1925, lorsque Gordeaux l’engage pour tenir la rubrique théâtrale du Soir. Dans ce journal, comme dans Paris-Midi, il s’impose comme l’un des chroniqueurs les plus appréciés de la vie artistique et mondaine française. Les réponses des quatorze musiciens, compositeurs, critiques et romanciers qui répondent à cette enquête dessinent un panorama aussi varié que représentatif des différents discours sur le jazz en circulation au milieu des années 1920. L’un des aspects de ce discours que l’on ne retrouve pas de manière aussi saillante dans l’enquête de Cœuroy et Schaeffner est le rôle du jazz pour l’évolution du statut du saxophone. Cela deviendra un enjeu important pour les compositeurs classiques français à la fin des années 1920. Dans cet épisode, Paul Gordeaux donne la parole à Adolphe Borchard (1882-1967). Pianiste classique de formation, Borchard fit quelques incursions dans le domaine de la composition dans les années 1910 et 1920 avant de devenir une figure de la musique de film française dans la décennie suivante. Il fut également actif dans le domaine de la presse musicale et dirigea à partir de 1925 la revue Musique et théâtre, qui privilégiait des articles de critique musicale rédigée par des compositeurs et des artistes. Dans cet entretien, il développe le topos du jazz comme révélateur de l’intérêt du saxophone et, de manière secondaire, comme source de renouvellement des genres classiques inspirés par des danses populaires.
Une question du Soir – Aimez-vous le jazz...? VIII : M. Alexandre Georges [et] M. Vincent Scotto
Depuis la fin du XIXe siècle, l’enquête journalistique, variante de l’interview, s’impose comme un genre à part entière dans la presse généraliste. Dans les sujets abordés, la musique ne fait pas exception et, dans les années 1920, pas moins de trois enquêtes d’ampleur sont consacrées au jazz. La plus connue est celle menée par André Cœuroy et André Schaeffner pour le compte de Paris-Midi en 1925. Les travaux menés dans cette anthologie ont permis d’en redécouvrir deux autres : celle de 1922-1923, engagée par Philippe Parès dans Les Feuilles critiques et cette enquête, feuilletonnée dans onze numéros de l’un des principaux quotidiens français : Le Soir. Du 15 juin au 18 juillet 1926, Philippe Georges Emmanuel Gordolon, dit Paul Gordeaux (1891-1974) – que l’on retrouve sous le pseudonyme de Philippe d’Olon – a interrogé de nombreuses personnalités du monde musical français, avec la collaboration de René Jolivet (1898-1975) et de Pierre Lazareff (1907-1972). Journaliste, romancier et scénariste, dont les sympathies se tournèrent vers le courant royaliste dans les années 1930, le premier est alors un collaborateur régulier du Soir. Le second, ami du musicien de jazz Ray Ventura, devient journaliste dès 1925, lorsque Gordeaux l’engage pour tenir la rubrique théâtrale du Soir. Dans ce journal, comme dans Paris-Midi, il s’impose comme l’un des chroniqueurs les plus appréciés de la vie artistique et mondaine française. Les réponses des quatorze musiciens, compositeurs, critiques et romanciers qui répondent à cette enquête dessinent un panorama aussi varié que représentatif des différents discours sur le jazz en circulation au milieu des années 1920. L’un des aspects de ce discours que l’on ne retrouve pas de manière aussi saillante dans l’enquête de Cœuroy et Schaeffner est le rôle du jazz pour l’évolution du statut du saxophone. Cela deviendra un enjeu important pour les compositeurs classiques français à la fin des années 1920. Ce huitième épisode de l’enquête de Paul Gordeaux (qui utilise ici le pseudonyme de Philippe d’Olon) donne la parole au compositeur et organiste Alexandre Georges (1850-1938) qui se fit connaître pour son opéra Miarka (1905) et pour deux cycles de mélodies : Les Chansons de Miarka (1888) et Les Chansons de Leïlah (1899). Son opinion positive sur le jazz ne l’empêche pas de critiquer toute tentative de le mélanger avec la musique classique. Quant à Vincent Scotto (1874-1952) ami et collaborateur occasionnel d’Henri Christiné, il reprend la vision progressiste et en partie raciste du jazz alors partagée par un grand nombre de critiques. Musique « nègre » à ses origines, le jazz aurait été raffiné par des chefs d’orchestre blancs qui auraient ainsi révélé sa valeur esthétique. On retrouve également dans sa réponse le topos de la valorisation du saxophone à travers le jazz.
Le 16 juillet 1925, La Lanterne dans un entrefilet, annonce : « Le célèbre jazz américain de Paul Whiteman sera de nouveau cet automne à Londres. Cet orchestre toucherait 1750 livres par semaine [souligné dans le texte original]. Nous ne l’entendrons pas de sitôt à Paris » (Anonyme 1925). Pourtant, Paul Whiteman débarque à Paris avec son orchestre en 1926. Sa notoriété est très forte en France, dans les milieux musicaux informés tout au moins. Il est associé au jazz dans sa généralité. On peut même dire qu’il incarne le jazz pour l’essentiel de la critique française, en bon « roi » qui se plaît à régner sur cette musique. La Rhapsody in Blue qu’il a commandée à Gershwin deux ans plut tôt, dans sa pureté, est unanimement considérée comme l’apogée du genre. Sa venue parisienne de 1926 est présentée – et préparée publicitairement – comme un événement. S’il était initialement prévu une venue en avril 1926, peut-être à l’Opéra, et en mai aux Ambassadeurs, ce n’est que fin juin que le groupe arrive. Le 1er juillet, Le Figaro révèle : « Le célèbre orchestre jazz Paul Whiteman que présentera M. Edmond Sayag vendredi 2 juillet et pour neuf représentations seulement, aux Champs-Élysées Music-hall, est arrivé hier après-midi à 3h30 à la gare du Nord » (Anonyme 1926a). Dans la même colonne, la production publie un encart publicitaire indiquant : « Demain Paris connaîtra aux Champs-Élysées Music-Hall : la merveille des merveilles, le célèbre orchestre jazz de Paul Whiteman ; 32 virtuoses qui ont bouleversé le monde ». Le lendemain, une curieuse confusion s’étale à la page 4 du même Figaro. Deux spectacles sont annoncés séparément. D’une part : « Aux Nouveaux-Ambassadeurs (Théâtre-Restaurant). Pendant le dîner, Florence Mills dans La Revue américaine Black Birds de Lew Leslie, avec Johnny Hudgins, Jones et Jones, Edith Wilson et l’orchestre du Plantation avec Shrimp Jones et Johnny Dunn ». De l’autre : « Aux Champs-Élysées-Music-Hall, à 8h30, Paul Whiteman et son célèbre orchestre-jazz de 32 musiciens. Dans la première partie le danseur Harland Dixon » (Anonyme 1926b). Et enfin, quelques lignes plus loin, un encart publicitaire indiquant : « Ce soir, aux Ambassadeurs, première du nouveau spectacle avec le célèbre orchestre Paul Whiteman et la revue américaine Dixie to Paris, avec Florence Mills et Johnny Hudgins ». En réalité, il semble que l’orchestre de Whiteman devait prendre la suite de Black Birds aux Ambassadeurs, mais le succès de la revue a poussé Edmond Sayag à prolonger et à déplacer Whiteman aux Champs-Élysées-Music-hall, tout en lui laissant assurer la première partie aux Ambassadeurs au moins entre le 2 et le 5 juillet, tel que l’affirme le biographe de Paul Whiteman, Don Rayno. Cela est confirmé par quatre articles parus dans Comœdia, le premier – repris ici – dans le numéro du 3 juillet 1926, les autres (Anonyme 1926c, 1926d, 1926e) dans celui du lendemain, tous en page 5, traditionnellement consacrée aux annonces et comptes-rendus d’événements musicaux et théâtraux. L’article du 3 juillet est de Pierre Darius, l’administrateur du théâtre des Ambassadeurs, l’un des deux établissements où se produit l’orchestre de Paul Whiteman. Deux des trois articles du 4 juillet sont anonymes, le troisième est signé P.D., probablement les initiales de Pierre Darius. Cette abondance et les contenus extrêmement louangeurs sont un bon indicateur de la notoriété dont jouissaient alors à Paris Paul Whiteman et son orchestre, dont la prestation est un événement aussi bien musical que mondain, mais aussi d’un certain système de promotion des spectacles où la ligne entre promoteurs et critiques est loin d’être précisément tracée.
Émile Vuillermoz (1878-1960), l’auteur de cet article, a mené conjointement des études juridiques, littéraires et musicales. Renonçant rapidement à ses ambitions de compositeur, il devient l’un des observateurs les plus attentifs de la vie musicale de son époque, et plus particulièrement de toutes les innovations stylistiques et technologiques susceptibles de faire évoluer la musique. À ses yeux, le jazz constitue bien plus qu’une simple mode, comme certains chroniqueurs de l’époque peuvent l’écrire. Attentif à une musique dont il pressent les bouleversements qu’elle porte en elle, il en propose dans le quotidien du matin L’Éclair (fondé en 1888) la première analyse sérieuse en 1919 (article repris dans Vuillermoz 1923). Pionnier de la critique cinématographique, Vuillermoz fut également l’un des initiateurs de la critique de jazz.
Une question du Soir – Aimez-vous le jazz...? [IX]
Depuis la fin du XIXe siècle, l’enquête journalistique, variante de l’interview, s’impose comme un genre à part entière dans la presse généraliste. Dans les sujets abordés, la musique ne fait pas exception et, dans les années 1920, pas moins de trois enquêtes d’ampleur sont consacrées au jazz. La plus connue est celle menée par André Cœuroy et André Schaeffner pour le compte de Paris-Midi en 1925. Les travaux menés dans cette anthologie ont permis d’en redécouvrir deux autres : celle de 1922-1923, engagée par Philippe Parès dans Les Feuilles critiques et cette enquête, feuilletonnée dans onze numéros de l’un des principaux quotidiens français : Le Soir. Du 15 juin au 18 juillet 1926, Philippe Georges Emmanuel Gordolon, dit Paul Gordeaux (1891-1974) – que l’on retrouve sous le pseudonyme de Philippe d’Olon – a interrogé de nombreuses personnalités du monde musical français, avec la collaboration de René Jolivet (1898-1975) et de Pierre Lazareff (1907-1972). Journaliste, romancier et scénariste, dont les sympathies se tournèrent vers le courant royaliste dans les années 1930, le premier est alors un collaborateur régulier du Soir. Le second, ami du musicien de jazz Ray Ventura, devient journaliste dès 1925, lorsque Gordeaux l’engage pour tenir la rubrique théâtrale du Soir. Dans ce journal, comme dans Paris-Midi, il s’impose comme l’un des chroniqueurs les plus appréciés de la vie artistique et mondaine française. Les réponses des quatorze musiciens, compositeurs, critiques et romanciers qui répondent à cette enquête dessinent un panorama aussi varié que représentatif des différents discours sur le jazz en circulation au milieu des années 1920. L’un des aspects de ce discours que l’on ne retrouve pas de manière aussi saillante dans l’enquête de Cœuroy et Schaeffner est le rôle du jazz pour l’évolution du statut du saxophone. Cela deviendra un enjeu important pour les compositeurs classiques français à la fin des années 1920. Dans cet épisode, Paul Gordeaux reproduit ici le dialogue fictif que Pierre Maudru (1892-1992) – un personnage à la carrière multiple de journaliste, de romancier, de librettiste, de scénariste et de parolier – publia dans Comoedia le 5 juillet 1926. Ce dialogue concerne l’orchestre de Paul Whiteman, que le public parisien avait pu découvrir pour la première fois sur scène du Théâtre des Champs-Élysées à partir du 2 juillet 1926. Ensuite, Gordeaux donne la parole à Reynaldo Hahn (1874- 1947), l’une des principales figures du monde musical français des années 1920. Ami proche et conseiller musical de Marcel Proust, dont il fut le compagnon jusqu’en 1896, il se fit connaître pour ses cycles de mélodies (Les Chansons grises, 1892) et ses ballets, en particulier Le Dieu bleu, composé pour les Ballets russes en 1912. Après la Première Guerre mondiale, Hahn fait partie des compositeurs défendant le plus farouchement une identité française de la musique. Il est donc peu surprenant de le retrouver parmi le cercle d’Alfred Cortot, chef de file du nationalisme musical français, et parmi ses collègues à l’École Normale de Musique de Paris. Il n’est pas moins surprenant que Hahn s’oppose fermement à toute influence étatsunienne, néfaste selon lui pour la musique française. Cette opposition concerne autant le jazz que l’opérette.
Music-Hall du Théâtre des Champs-Élysées – Orchestre de Paul Whiteman
Le 16 juillet 1925, La Lanterne dans un entrefilet, annonce : « Le célèbre jazz américain de Paul Whiteman sera de nouveau cet automne à Londres. Cet orchestre toucherait 1750 livres par semaine [souligné dans le texte original]. Nous ne l’entendrons pas de sitôt à Paris » (Anonyme 1925). Pourtant, Paul Whiteman débarque à Paris avec son orchestre en 1926. Sa notoriété est très forte en France, dans les milieux musicaux informés tout au moins. Il est associé au jazz dans sa généralité. On peut même dire qu’il incarne le jazz pour l’essentiel de la critique française, en bon « roi » qui se plaît à régner sur cette musique. La Rhapsody in Blue qu’il a commandée à Gershwin deux ans plut tôt, dans sa pureté, est unanimement considérée comme l’apogée du genre. Sa venue parisienne de 1926 est présentée – et préparée publicitairement – comme un événement. S’il était initialement prévu une venue en avril 1926, peut-être à l’Opéra, et en mai aux Ambassadeurs, ce n’est que fin juin que le groupe arrive. Le 1er juillet, Le Figaro révèle : « Le célèbre orchestre jazz Paul Whiteman que présentera M. Edmond Sayag vendredi 2 juillet et pour neuf représentations seulement, aux Champs-Élysées Music-hall, est arrivé hier après-midi à 3h30 à la gare du Nord » (Anonyme 1926a). Dans la même colonne, la production publie un encart publicitaire indiquant : « Demain Paris connaîtra aux Champs-Élysées Music-Hall : la merveille des merveilles, le célèbre orchestre jazz de Paul Whiteman ; 32 virtuoses qui ont bouleversé le monde ». Le lendemain, une curieuse confusion s’étale à la page 4 du même Figaro. Deux spectacles sont annoncés séparément. D’une part : « Aux Nouveaux-Ambassadeurs (Théâtre-Restaurant). Pendant le dîner, Florence Mills dans La Revue américaine Black Birds de Lew Leslie, avec Johnny Hudgins, Jones et Jones, Edith Wilson et l’orchestre du Plantation avec Shrimp Jones et Johnny Dunn ». De l’autre : « Aux Champs-Élysées-Music-Hall, à 8h30, Paul Whiteman et son célèbre orchestre-jazz de 32 musiciens. Dans la première partie le danseur Harland Dixon » (Anonyme 1926b). Et enfin, quelques lignes plus loin, un encart publicitaire indiquant : « Ce soir, aux Ambassadeurs, première du nouveau spectacle avec le célèbre orchestre Paul Whiteman et la revue américaine Dixie to Paris, avec Florence Mills et Johnny Hudgins ». En réalité, il semble que l’orchestre de Whiteman devait prendre la suite de Black Birds aux Ambassadeurs, mais le succès de la revue a poussé Edmond Sayag à prolonger et à déplacer Whiteman aux Champs-Élysées-Music-hall, tout en lui laissant assurer la première partie aux Ambassadeurs au moins entre le 2 et le 5 juillet, tel que l’affirme le biographe de Paul Whiteman, Don Rayno. Cela est confirmé par quatre articles parus dans Comœdia, le premier – repris ici – dans le numéro du 3 juillet 1926, les autres (Anonyme 1926c, 1926d, 1926e) dans celui du lendemain, tous en page 5, traditionnellement consacrée aux annonces et comptes-rendus d’événements musicaux et théâtraux. L’article du 3 juillet est de Pierre Darius, l’administrateur du théâtre des Ambassadeurs, l’un des deux établissements où se produit l’orchestre de Paul Whiteman. Deux des trois articles du 4 juillet sont anonymes, le troisième est signé P.D., probablement les initiales de Pierre Darius. Cette abondance et les contenus extrêmement louangeurs sont un bon indicateur de la notoriété dont jouissaient alors à Paris Paul Whiteman et son orchestre, dont la prestation est un événement aussi bien musical que mondain, mais aussi d’un certain système de promotion des spectacles où la ligne entre promoteurs et critiques est loin d’être précisément tracée.
André Schaeffner (1895-1980) est un anthropologue et ethnomusicologue français. Maître de recherche au CNRS, il crée en 1929 le Musée d’ethnographie du Trocadéro, qui deviendra le département d’ethnomusicologie du Musée de l’Homme. Il le dirigera jusqu’à sa retraite en 1965. Parmi ses nombreux ouvrages, l’Origine des instruments de musique (Schaeffner 1936) restera longtemps une référence incontournable en matière d’organologie. Il est par ailleurs l’auteur principal de Le Jazz (Schaeffner et Cœuroy 1926), considéré comme l’un des tout premiers livres sur cette musique. Le dernier chapitre de ce livre (rédigé par André Cœuroy) posait précisément l’orchestre de Paul Whiteman comme le modèle le plus abouti de ce qu’était le jazz et ce vers quoi il devait tendre. Dans toute cette première critique francophone du jazz des années 1920 se pose un conflit entre, d’une part une vitalité, une rugosité « nègre », qui vient renouveler le paysage quelque peu grandiloquent de la musique (le wagnérisme) ou somnolent (l’impressionnisme) et de l’autre une nécessaire évolution vers des formes plus « civilisées » que seuls les Blancs seraient capables de produire. Schaeffner semble ici revenir à la première (le primitivisme) après avoir loué la seconde (l’évolution civilisée), avant de reconnaître à la fin du texte qu’il a joui de la grande technicité musicale de l’orchestre.
Depuis la fin du XIXe siècle, l’enquête journalistique, variante de l’interview, s’impose comme un genre à part entière dans la presse généraliste. Dans les sujets abordés, la musique ne fait pas exception et, dans les années 1920, pas moins de trois enquêtes d’ampleur sont consacrées au jazz. La plus connue est celle menée par André Cœuroy et André Schaeffner pour le compte de Paris-Midi en 1925. Les travaux menés dans cette anthologie ont permis d’en redécouvrir deux autres : celle de 1922-1923, engagée par Philippe Parès dans Les Feuilles critiques et cette enquête, feuilletonnée dans onze numéros de l’un des principaux quotidiens français : Le Soir. Du 15 juin au 18 juillet 1926, Philippe Georges Emmanuel Gordolon, dit Paul Gordeaux (1891-1974) – que l’on retrouve sous le pseudonyme de Philippe d’Olon – a interrogé de nombreuses personnalités du monde musical français, avec la collaboration de René Jolivet (1898-1975) et de Pierre Lazareff (1907-1972). Journaliste, romancier et scénariste, dont les sympathies se tournèrent vers le courant royaliste dans les années 1930, le premier est alors un collaborateur régulier du Soir. Le second, ami du musicien de jazz Ray Ventura, devient journaliste dès 1925, lorsque Gordeaux l’engage pour tenir la rubrique théâtrale du Soir. Dans ce journal, comme dans Paris-Midi, il s’impose comme l’un des chroniqueurs les plus appréciés de la vie artistique et mondaine française. Les réponses des quatorze musiciens, compositeurs, critiques et romanciers qui répondent à cette enquête dessinent un panorama aussi varié que représentatif des différents discours sur le jazz en circulation au milieu des années 1920. L’un des aspects de ce discours que l’on ne retrouve pas de manière aussi saillante dans l’enquête de Cœuroy et Schaeffner est le rôle du jazz pour l’évolution du statut du saxophone. Cela deviendra un enjeu important pour les compositeurs classiques français à la fin des années 1920. Dans cet épisode, Paul Gordeaux donne la parole à Raoul Laparra (1876-1943). Comme Charles Levadé et Alexandre Georges, Laparra fait partie des compositeurs français occupant le devant de la scène dans les années 1920, mais dont la mémoire s’est perdue après la Seconde Guerre mondiale. Grand Prix de Rome en 1903, il s’est taillé une solide réputation en 1908 grâce à La Habanera, drame lyrique en trois actes créé à l’Opéra-Comique. La vision du jazz qu’il propose est marquée par des conceptions racistes simplistes, faisant correspondre à chaque race des aptitudes musicales particulières au sein d’un système de valeurs hiérarchisé. Dans les années 1920, une partie non négligeable du monde musical français partageait ces conceptions.
Roland-Manuel (ou Roland Manuel), de son vrai nom Roland Alexis Manuel Levy (1891-1966), compositeur d’origine belge, est un proche de Satie et de Ravel. Outre les activités de musique de film et d’enseignement, il est l’auteur de plusieurs ouvrages musicologiques, notamment des essais sur l’œuvre de Ravel et d’une poétique musicale écrite avec Igor Stravinsky. Il livre ici un vibrant éloge du duo Wiéner-Doucet, considéré avec l’orchestre de Paul Whiteman comme les modèles les plus représentatifs et éminents du jazz et de ce qu’il doit devenir, en l’occurrence une forme « civilisée » qui a pris le meilleur de la musique « primitive », celle des Noirs, mais qui parviennent à l’« élever », forts de leur savoir musical académique (qui est de fait l’apanage des Blancs).
Depuis la fin du XIXe siècle, l’enquête journalistique, variante de l’interview, s’impose comme un genre à part entière dans la presse généraliste. Dans les sujets abordés, la musique ne fait pas exception et, dans les années 1920, pas moins de trois enquêtes d’ampleur sont consacrées au jazz. La plus connue est celle menée par André Cœuroy et André Schaeffner pour le compte de Paris-Midi en 1925. Les travaux menés dans cette anthologie ont permis d’en redécouvrir deux autres : celle de 1922-1923, engagée par Philippe Parès dans Les Feuilles critiques et cette enquête, feuilletonnée dans onze numéros de l’un des principaux quotidiens français : Le Soir. Du 15 juin au 18 juillet 1926, Philippe Georges Emmanuel Gordolon, dit Paul Gordeaux (1891-1974) – que l’on retrouve sous le pseudonyme de Philippe d’Olon – a interrogé de nombreuses personnalités du monde musical français, avec la collaboration de René Jolivet (1898-1975) et de Pierre Lazareff (1907-1972). Journaliste, romancier et scénariste, dont les sympathies se tournèrent vers le courant royaliste dans les années 1930, le premier est alors un collaborateur régulier du Soir. Le second, ami du musicien de jazz Ray Ventura, devient journaliste dès 1925, lorsque Gordeaux l’engage pour tenir la rubrique théâtrale du Soir. Dans ce journal, comme dans Paris-Midi, il s’impose comme l’un des chroniqueurs les plus appréciés de la vie artistique et mondaine française. Les réponses des quatorze musiciens, compositeurs, critiques et romanciers qui répondent à cette enquête dessinent un panorama aussi varié que représentatif des différents discours sur le jazz en circulation au milieu des années 1920. L’un des aspects de ce discours que l’on ne retrouve pas de manière aussi saillante dans l’enquête de Cœuroy et Schaeffner est le rôle du jazz pour l’évolution du statut du saxophone. Cela deviendra un enjeu important pour les compositeurs classiques français à la fin des années 1920. Dans cet épisode, Paul Gordeaux donne la parole à Francis Casadesus (1870- 1954). Il fait partie de la première génération de la célèbre famille de musiciens français du même nom. Formé au Conservatoire de Paris, il devient chef d’orchestre à l’Opéra et à l’Opéra-Comique avant de fonder le Conservatoire américain de Fontainebleau. Casadesus adopte la vision d’un « jazz pur » d’origine africaine, dévoyé par des musiciens étatsuniens en quête d’identité musicale qui n’auraient pas encore réussi à en réaliser une appropriation valable du point de vue esthétique (possibilité que Casadesus n’exclut pas).
André Cœuroy (1891-1976), de son vrai nom Jean Belime, est l’un des critiques musicaux les plus influents de l’entre-deux-guerres. Germaniste de formation, il crée La Revue musicale avec Henry Prunières en 1920, il est l’auteur de très nombreux ouvrages (sur Wagner, Puccini, la musique française, etc.) et d’innombrables articles. Il est aussi l’un des premiers défenseurs de la phonographie. Cet article emprunte largement aux chapitres écrits par André Schaeffner dans Le Jazz (Schaeffner et Cœuroy 1926).
Au milieu des années 1920, le succès du jazz se traduit par une présence de plus en plus importante dans les programmes radiophoniques. Afin de répondre à une demande croissante, plusieurs stations de radio choisissent de créer leur propre orchestre. En résulte une surcharge budgétaire parfois insurmontable. C’est pour cette raison que le chroniqueur musical de La Gazette de Lausanne ne reproche pas à Radio-Lausanne de dissoudre son orchestre de jazz. En revanche, il s’insurge contre les arguments esthétiques invoqués contre le jazz par la station pour justifier cette fermeture. Comme beaucoup de défenseurs du jazz de l’époque, il évoque l’influence que le jazz a eu sur les compositeurs savants comme une raison pour valoriser cette musique.
La signature de Raymond de Nys (dates inconnues) apparaît dans quelques articles de presse, notamment en 1914 dans Paris-Midi. Malgré la pénurie d’information sur son compte, on sait qu’il fait partie du jury de la première édition du prix littéraire Théophraste Renaudot en 1926. De Nys livre ici un texte intéressant sur les conditions sociales des musiciens et sur les pratiques professionnelles. Il s’agit de l’un des très rares textes évoquant le roulement entre orchestres de jazz et de tango dans les dancings.
La méthode journalistique consistant à collecter les avis d’éminences musicales est plusieurs fois utilisée à cette époque : il suffit de penser à l’enquête de Schaeffner et Cœuroy publiée sur Paris-Midi. C’est le cas ici, par un auteur non identifié.
Boris de Schlœzer (1881-1969) est un critique musical et musicologue français d’origine russe. Collaborateur régulier de nombreuses revues (La Nouvelle Revue française, La Revue musicale, Critique, Les Temps modernes), il est l’auteur de monographies sur Alexandre Scriabine (dont il est le beau-frère) et Igor Stravinsky. Dans Introduction à J.-S. Bach. Essai d’esthétique musicale (1947) et Problèmes de la musique moderne (1959, écrit avec sa nièce Mariana Scriabine), il développe une véritable théorie d’esthétique de la musique. Il est également traducteur de grands auteurs russes : Fiodor Dostoïevski, Nicolas Gogol, Anton Tchekov, Léon Tolstoï, Leon Chestov et d’autres encore. Cette recension du livre Le Jazz (Schaeffner et Cœuroy 1926) semble être sa seule publication sur le jazz. Relativement démuni sur un sujet sortant de son domaine et contraint par les impératifs de courtoisie envers des pairs, l’auteur se déporte rapidement de l’objet originel (le livre) pour décrire une expérience musicale vécue à l’écoute d’une prestation publique des Fisk Jubilee Singers. À cette occasion, il démontre une justesse d’appréciation qu’on ne retrouve pas toujours chez ses contemporains en mettant l’accent sur le traitement vocal original prenant le pas sur les compositions qui apparaissent alors plutôt comme un support pour une interprétation devant être jugée sur des critères différents de ceux de la pratique savante. Revenant au texte du livre à la fin de l’article, Boris de Schlœzer se montre également clairvoyant en relevant des différences fondamentales, en termes de conception du son, de place de la musique dans la société et enfin de ce qu’on appellerait aujourd’hui les transferts culturels.
Le Progrès de Saguenay est un journal publié à Chicoutimi dans la région du Saguenay au Québec depuis 1887. Ce texte se joint à la liste déjà longue des rejets implacables du jazz, en particulier dans la Belle Province. L’argument principal est, tout simplement, que le jazz n’est pas de la musique. C’est un exemple très pur de condamnation du jazz appuyée sur la vision primitiviste et raciste très répandue à cette époque. On note de plus que les références (un article français de 1918 et un autre étatsunien de 1921) sont anciennes au regard de la date de publication, 1927, moment où précisément le rejet du jazz commence à s’estomper, cette musique gagnant progressivement, en allant vers la fin de la décennie, sinon une légitimité, mais à tout le moins une acceptabilité.
L’Impartial est un journal suisse francophone créé à La Chaux-de-Fonds en 1881 par deux frères, Paul et Alexandre Courvoisier, appartenant à une famille d’éditeurs et d’imprimeurs. Le journal se veut « complètement étranger aux luttes de partis », comme l’indique un numéro spécimen du 27 décembre 1880, quelques jours avant le numéro 1 officiel, daté 1er janvier 1881. La première partie de cet article tranche par rapport à la production habituelle de cette époque par la lucidité ironique avec laquelle sont présentés l’esclavage et le colonialisme. En revanche, la catégorie de la race subsume toujours celles de l’origine et a fortiori de la culture : l’Afro-Américaine Joséphine Baker représente une incarnation de l’Afrique, elle-même lieu d’élection naturelle de la négrité.
La Revue des vivants publie son premier numéro en février 1927. Son programme est précisé ainsi : « La Revue des vivants n’est pas un organe de parti. Elle est ouverte à toutes les idées. Elle étudie, dans leur vif, les problèmes capitaux de l’époque et donne ses solutions en toute loyauté et en toute indépendance. […] [Elle] est publiée avec le concours de l’Association Générale des Mutilés de Guerre. Elle a pour collaborateurs, au côté des écrivains et des techniciens les plus réputés de notre temps, les principaux dirigeants de tous les groupements d’anciens combattants. […] [Elle] est l’organe des générations de la guerre. Elle souhaite révéler leur communauté de pensée » (Anonyme 1927, p. i).
Émile Vuillermoz (1878-1960) a mené conjointement des études juridiques, littéraires et musicales. Renonçant rapidement à ses ambitions de compositeur, il devient l’un des observateurs les plus attentifs de la vie musicale de son époque, et plus particulièrement de toutes les innovations stylistiques et technologiques susceptibles de faire évoluer la musique. À ses yeux, le jazz constitue bien plus qu’une simple mode, comme certains chroniqueurs de l’époque peuvent l’écrire. Attentif à une musique dont il pressent les bouleversements qu’elle porte en elle, il en propose dans le quotidien du matin L’Éclair (fondé en 1888) la première analyse sérieuse en 1919 (article repris dans Vuillermoz 1923). Pionnier de la critique cinématographique, Vuillermoz fut également l’un des initiateurs de la critique de jazz. Dans cet article, Vuillermoz reprend ses arguments habituels sur la valeur et la pérennité du jazz, dans un style toutefois plus lyrique et poétique que dans les organes plus spécialisés. Il ne fait pas de doute qu’avec la pique à l’attention des « musiciens d’orchestre allemands » et l’allusion au « massacre », l’auteur garde à l’esprit le lectorat particulier de la revue qui l’accueille ici.
Albert Jeanneret est un violoniste et compositeur suisse, frère de l’architecte Le Corbusier. À partir de 1919, il enseigne à la Schola Cantorum à Paris avant de fonder sa propre école, l’École française de rythmique et d’éducation corporelle. Il s’est particulièrement intéressé au travail musical avec les enfants. L’Esprit nouveau est une revue dirigée par Le Corbusier et Amédée Ozenfant, qui représente le mouvement puriste en France. Très ouverte sur l’avant-garde artistique, elle inclut un suivi systématique du music-hall, lequel dispose d’une rubrique. Dès 1920, Jeanneret place le rythme au centre de ses préoccupations, au point de lui consacrer un long essai (Jeanneret 1920a ; 1920b) axé sur les travaux menés par Émile Jaques-Dalcroze sur la rythmique. Cet article offre le parfait exemple du socle essentialiste qui imprègne toute la pensée de l’époque : le noir, le nègre, l’ Espagnol, l’Américain, la femme...
Paul Le Flem (1881-1984) est compositeur et critique musical. Formé à la Schola Cantorum, il y devient professeur de contrepoint jusqu’en 1939. Il est critique à Comœdia de 1906 à 1960. Dans cet article, il livre un compte-rendu détaillé du livre Le Jazz d’André Schaeffner et André Cœuroy, publié en 1926. Ce livre, souvent cité comme l’un des premiers sinon le premier ouvrage consacré entièrement au jazz, bien que cosigné des deux auteurs, est entièrement de la plume du premier, à l’exception du dernier chapitre.
Dès 1920, le jazz est connu et débattu au Québec (Anonyme 1921, Saucier 1921, Comte 1922, Anonyme 1925a, Anonyme 1925b, Anonyme 1926), jusque dans les régions rurales (Le Passant 1920, Anonyme 1927, le présent texte). La consultation de ces textes incite à penser que le rejet du jazz a pu être majoritaire dans la presse de cette province entre 1920 et 1927. L’Avenir du Nord est un hebdomadaire fondé à Saint- Jérôme en 1897 par Wilfrid Gascon et Henri Prévost avec le sous-titre « Organe libéral du district de Terrebonne ». Ce texte est exemplaire d’un rejet radical du jazz au nom d’un argument provincialiste- protectionniste.
André Schaeffner (1895-1980) est un anthropologue et ethnomusicologue français. Maître de recherches au CNRS, il crée en 1929 le Musée d’ethnographie du Trocadéro, qui deviendra le département d’ethnomusicologie du Musée de l’Homme. Il le dirigera jusqu’à sa retraite en 1965. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont une étude sur Stravinski (1931). Origine des instruments de musique. Introduction ethnologique à l’histoire de la musique instrumentale (Schaeffner 1936) restera longtemps une référence en matière d’organologie. Il est par ailleurs l’auteur principal de Le Jazz (Schaeffner et Cœuroy 1926), considéré comme l’un des tout premiers livres sur cette musique. Cet article constitue une réponse d’André Schaeffner à celui d’Arthur Hoérée paru dans La Revue musicale le mois précédent.
Lettre de Paris – Vers la fin du jazz-band ? Maurice Chevalier nous dit…
André de Wissant (1895-1982) est un écrivain, critique littéraire et journaliste français. Sa première œuvre, le roman Voluptueux sillage..., ne paraîtra qu’en 1932. À la fin des années 1920, il gagne sa vie comme collaborateur de plusieurs journaux, et c’est à ce titre qu’il livre aux lecteurs de L’Impartial une interview à Maurice Chevalier. Comme beaucoup d’autres à cette époque, Chevalier annonce ici le déclin du jazz, dont il se réjouit personnellement, et préfère plutôt parler de sa propre musique.
Georges Henri Rivière (1897-1985) est un muséologue français, fondateur du Musée national des arts et traditions populaires et l’un des initiateurs du Musée de l’Homme de Paris. Henri Monnet (1896-1983) est un homme d’affaires et homme politique français passionné de musique. Pianiste et violoniste proche de Stravinski, il est le fondateur de l’Orchestre symphonique de Paris. Dans cet article sur Jack Hylton et sa formation, la description de la musique est nettement plus analytique et argumentée qu’à l’ordinaire. La volonté d’un didactisme éclairé est manifeste. On notera également une des premières apparitions du vocable « hot ». Jack Hylton joue avec sa formation pour la première fois à Paris au théâtre de l’Empire entre les 30 ou 31 décembre 1927 et 12 ou 13 janvier 1928. C’est probablement de l’une de ces prestations que les auteurs rendent compte ici. Le ton ici plus analytique et moins dithyrambique que dans la chronique de Gustave Fréjaville (1928).
Arthur Hoérée (1897-1986), auteur et compositeur belge, est un collaborateur régulier de La Revue musicale. À partir des années 1930, il est actif surtout dans la musique de film. En 1927, il livrait à La Revue musicale un long article simplement intitulé « Le Jazz » dans lequel il proposait une longue analyse technique, principalement à partir de partitions de fox-trots. André Schaeffner lui répondait dans le même organe (Schaeffner 1927), à quoi Hoérée produisait une contre-réponse qui constitue le présent texte. Ce texte ne s’éloigne pas significativement de celui de 1927 et en confirme les partis pris marquants : le cadre de la réflexion est résolument celui de l’écriture, de la composition, de l’orchestration, à l’aune desquels le jazz (du moins ce que l’auteur considère comme tel) est exclusivement scruté. Les musiciens de référence sont toujours les mêmes : Paul Whiteman, Jack Hylton, les Revelers, Wiéner et Doucet. Toujours point de Louis Armstrong ou de Duke Ellington à l’horizon, bien que leurs disques commencent à être disponibles en France.
À la Société de Géographie, Lucienne Jean-Darrouy nous entretient de la musique de jazz
Pendant l’entre-deux-guerres, Lucienne Jean-Darrouy (1898-1986) a été l’une des figures de la vie culturelle et mondaine algéroise. Journaliste et écrivaine, défenseure fervente de la cause féministe, elle collabore régulièrement aux pages culturelles de L’Écho d’Alger (1912-1961), quotidien classé à gauche alors possédé par le sénateur radical-socialiste Jacques Duroux (1878-1944). Si l’on trouve dans cet article les cadres de pensée racialiste et évolutionniste propres à l’époque ainsi que l’élection inévitable de Paul Whiteman en sommet de l’art jazzistique, on n’en relève pas moins des observations d’une certaine perspicacité, notamment sur la vocalité, le rythme, le blues et les origines du spiritual dans la liturgie protestante. La conclusion toutefois ne laisse planer aucun doute sur les hiérarchies en matière de musique.
Henry Malherbe (1886-1958) est un écrivain et critique musical français. Il a notamment produit une étude sur « la jeune musique française » en 1913 (Malherbe 1913) et obtenu en 1917 le Prix Goncourt pour La Flamme au poing (Malherbe 1917). L’auteur se livre dans ce texte à une récapitulation des thèses exposées sur le jazz durant la décennie sur le point de s’achever, en matière d’étymologie, d’histoire et de théories sur la nature du jazz, en se fondant sur les textes de Marion Bauer (1882-1955), Irving Schwerké (1893-1975), André Cœuroy (1981-1976) et André Schaeffner (1985-1980), notamment.
En 1929, Georges Bataille (1897-1962), Georges-Henri Rivière (1897-1985) et Carl Einstein (1885-1940) fondent la revue Documents, à la fois revue d’art, d’histoire de l’art et d’ethnographie. Créée en réaction aux excommunications du groupe surréaliste prononcées par André Breton, elle fédère un grand nombre d’intellectuels et d’artistes parmi lesquels Michel Leiris, André Schaeffner, Jacques Baron, Robert Desnos, André Masson et bien d’autres encore. Dans le no 4, daté septembre 1929, trois textes sont consacrés à la reprise de la revue Black Birds (Georges Bataille, Michel Leiris, André Schaeffner) et une « Chronique du jazz » est inaugurée, présentée par Georges Henri-Rivière et le pianiste Jacques Fray (Fray et Rivière 1929), ce qui marque un intérêt non démenti des animateurs de Documents pour le jazz. La revue Black Birds, dans laquelle s’était illustrée Florence Mills à Paris en 1926, est reprise en 1929 au Moulin Rouge. Georges Bataille en livre ici un commentaire aussi crépusculaire que lapidaire.
En 1929, Georges Bataille (1897-1962), Georges-Henri Rivière (1897-1985) et Carl Einstein (1885-1940) fondent la revue Documents, à la fois revue d’art, d’histoire de l’art et d’ethnographie. Créée en réaction aux excommunications du groupe surréaliste prononcées par André Breton, elle fédère un grand nombre d’intellectuels et d’artistes parmi lesquels Michel Leiris, André Schaeffner, Jacques Baron, Robert Desnos, André Masson et bien d’autres encore. Dans le no 4, daté septembre 1929, trois textes sont consacrés à la reprise de la revue Black Birds (Georges Bataille, Michel Leiris, André Schaeffner) et une « Chronique du jazz » est inaugurée, présentée par Georges Henri-Rivière et le pianiste Jacques Fray (Fray et Rivière 1929), ce qui marque un intérêt non démenti des animateurs de Documents pour le jazz. La revue Black Birds, dans laquelle s’était illustrée Florence Mills1 à Paris en 1926, est reprise en 1929 au Moulin Rouge. En cette fin de période, on voit qu’André Schaeffner, l’un des principaux soutiens du jazz parmi la société savante parisienne, auteur notamment de Le Jazz avec André Cœuroy, conserve le même enthousiasme quelque peu aveugle et inconditionnel envers le jazz, alors que le paysage, aussi bien musical que critique, est en profonde mutation et que la perception originelle du jazz tend à s’estomper pour ouvrir bientôt à un nouveau regard et de nouveaux acteurs.
En 1929, Georges Bataille (1897-1962), Georges-Henri Rivière (1897-1985) et Carl Einstein (1885-1940) fondent la revue Documents, à la fois revue d’art, d’histoire de l’art et d’ethnographie. Créée en réaction aux excommunications du groupe surréaliste prononcées par André Breton, elle fédère un grand nombre d’intellectuels et d’artistes parmi lesquels Michel Leiris, André Schaeffner, Jacques Baron, Robert Desnos, André Masson et bien d’autres encore. Dans le no 4, daté septembre 1929, trois textes sont consacrés à la reprise de la revue Black Birds (Georges Bataille, Michel Leiris, André Schaeffner) et une « Chronique du jazz » est inaugurée, présentée par Georges Henri-Rivière et le pianiste Jacques Fray, ce qui marque un intérêt non démenti des animateurs de Documents pour le jazz. Le choix de Jacques Fray comme spécialiste du jazz a évidemment des conséquences sur la teneur de cette chronique. Alors que les disques de jazz hot de Louis Armstrong, Duke Ellington, Bix Beiderbecke et autres commencent à être disponibles et circuler en France, alors que Hugues Panassié et Robert Goffin commencent d’ourdir leurs armes pour condamner la confusion entre jazz et jazz straight, le membre d’un duo de piano fort semblable à celui de Jean Wiéner et Clément Doucet, emblématique d’une vision du jazz qui est en train de passer, continue à projeter une vision qui apparaîtra très rapidement comme périmée. De la même façon qu’Emile Vuillermoz dans l’Édition musicale vivante, ce sont toujours les disques de danse qui captent l’attention, avec l’incontournable référence que représente l’orchestre de Paul Whiteman, dont l’étoile de « Roi du jazz », va elle aussi pâlir aux yeux de nouvelles générations d’amateurs d’un jazz alternatif que Panassié va qualifier d’« authentique », qui n’est autre que le jazz hot des Armstrong, Ellington et Beiderbecke. La coloration prétendument technicienne donnée par touches
Cet article, qui relève de la chronique mondaine alors prisée des lecteurs de la presse quotidienne, propose une description d’un « café-boîte » (l’équivalent de ce que l’on appelait un « dancing » à Paris) de Damas. Prenant ses distances avec un lieu commun de la description de ces établissements et du jazz, qui les associe à la joie de vivre, l’auteur insiste sur la morosité ambiante et sur l’absence de spontanéité dans les relations entre hommes et femmes.
Lucien Parizeau (1910-1993) était un journaliste et éditeur québécois. Il publie à l’âge de dix-neuf ans ce poème qui reprend les images couramment associées au jazz à cette époque : vitesse, vitalité, stridence et africanité exotique.